La mort par suicide est une mort évitable ; pourtant, il n’est pas toujours aisé de reconnaître la crise suicidaire et de prévenir le passage à l’acte. Les plus jeunes, en particulier, ont souvent davantage de difficultés à accepter de demander de l’aide concernant leur santé mentale. De quels instruments dispose le médecin généraliste, en première ligne pour veiller au bien-être physique et mental de ces jeunes patients ? Comment identifier les enfants et adolescents à risque suicidaire ? Comment évaluer une crise et orienter ? La HAS vient de publier de nouvelles recos à ce sujet, avec des questionnaires pratiques…

 

En France, depuis plus de 30 ans, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les 15-24 ans (352 décès dans cette tranche d’âge enregistrés en 2016), et la 5ème chez les moins de 13 ans. Des chiffres que la pandémie aggrave : une étude récemment publié dans le JAMA, menée dans le service de psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent de l'hôpital Robert-Debré de Paris, a montré une augmentation très significative des admissions pour tentative de suicide en période de crise sanitaire (en particulier après le deuxième confinement)...

Le tabou qui entoure ce sujet douloureux et intime rend souvent difficile le repérage des enfants à risque. Or, si reconnaître et prendre en charge un enfant ou un adolescent à risque suicidaire demande un engagement collectif et pluridisciplinaire, les professionnels de soins primaires sont un maillon essentiel de la chaîne. Pour ces praticiens en première ligne, les nouvelles recommandations de bonne pratique de la HAS s’articulent en trois axes : repérer les enfants à risque, évaluer une crise suicidaire, orienter le patient suicidant ou suicidaire.

Repérer les enfants et adolescents suicidaires ou à risque suicidaire

Ce repérage repose sur une écoute active et un questionnement direct. Parmi les signes qui doivent alerter, on retient :

– changement brutal du comportement,

– consommation fréquente de drogue ou d’alcool,

– actes d’automutilation,

– propos suicidaires, qui ne doivent jamais être pris à la légère.

Important : poser de façon explicite la question sur la présence d’idées suicidaires n’induira pas de telles idées ou même un passage à l’acte.

Ainsi, lors des consultations pour des difficultés en lien avec la santé mentale (ou lorsque des difficultés se révèlent au cours d’une autre consultation), interroger systématiquement l’enfant ou l’adolescent sur l’existence d’idées et de conduites suicidaires actuelles, récentes ou anciennes. Des outils comme l’Ask Suicide-Screening Questions (ASQ) peuvent être utilisés à cet effet (v. encadré ci-dessous).

Encadré 1

De façon générale, pour le dépistage des idées et conduites suicidaires récentes ou anciennes lors de toute consultation avec enfants et adolescents, on peut utiliser le questionnaire Bullying Insomnia Tobacco Stress Test (BITS, v. tableau ci-dessous), notamment chez l’adolescent de plus de 12 ans. Pour chaque thème, le score le plus haut est retenu. À partir de 3 points sur 8, il est préconisé de questionner le patient sur la présence d’idées ou de conduites suicidaires.

Tableau 1

Évaluer une crise suicidaire de l’enfant ou l’adolescent

Les précédents outils, s’ils servent à orienter l’échange, ne remplacent pas une écoute attentive et un questionnement direct.

Ainsi, pour une appréciation plus complète du risque suicidaire, un entretien avec l’enfant ou l’adolescent seul, dans un contexte propice, doit être réalisé (lieu adéquat, climat d’empathie, de non-jugement et de bienveillance, respect de la confidentialité).

Celui-ci sera complété par le recueil d’informations auprès du ou des titulaires de l’autorité parentale ainsi que d’autres personnes, dans le respect du secret médical (infirmier et/ou médecin scolaire, médecin traitant, pédiatre, etc.), tout en prenant systématiquement en compte l’environnement de l’enfant et de l’adolescent, en particulier ses interactions avec sa famille et ses pairs. Ces échanges permettront notamment de recueillir des éléments sur d’éventuels problèmes liés au harcèlement sur les réseaux sociaux. D’autres entretiens peuvent suivre, avec un délai d’autant plus court que le niveau d’urgence et de vulnérabilité est grand.

Dans l’évaluation d’une crise, procédant d’une démarche clinique, on distingue en effet :

‒ L’urgence suicidaire qui correspond à la probabilité, à court terme, que la personne adopte une conduite suicidaire potentiellement létale. Son évaluation comprend, entre autres, l’appréciation du niveau de souffrance, la caractérisation des idées (intensité, fréquence, durée…) et la recherche d’un scénario suicidaire.

‒ La vulnérabilité suicidaire qui correspond à la probabilité, à moyen et/ou long terme, que la personne adopte une conduite suicidaire. Son évaluation comprend, entre autres, la caractérisation des facteurs de risque (antécédents familiaux ou personnels de tentative de suicide ou blessures auto-infligées), existence d’un trouble psychiatrique, d’une maladie chronique, difficultés familiales, harcèlement par les pairs (réseaux sociaux…), violences (physiques, psychologiques, sexuelles), etc.

Des outils validés d’évaluation standardisée comme la version française de la Columbia Suicide Severity Rating Scale (v. fiche HAS ci-dessous) peuvent aider pour un état des lieux des idées suicidaires et du risque de passage à l’acte à court, moyen ou long terme.

Orienter le patient suicidant ou suicidaire

Des propos suicidaires chez un enfant ou un adolescent ne doivent jamais être négligés ou banalisés.

– En cas de tentative de suicide récente : orienter vers un service d’urgences, quel que soit le niveau d’urgence suicidaire actuel.

– En cas d’idées suicidaires mais sans tentative de suicide récente, la conduite à tenir dépend de l’évaluation de l’urgence suicidaire :

. urgence suicidaire élevée : envoyer aux urgences ;

. urgence suicidaire faible à moyenne : orienter vers une prise en charge ambulatoire de deuxième ligne (centre médico-psychologique ou médico-psycho-pédagogique [CMP, CMPP], psychiatre libéral, Maison des adolescents).

Il est donc utile pour le médecin généralise d’établir en amont un carnet d’adresse en répertoriant les services d’urgence générales et spécialisées (CMP, CMPP, psychiatres

libéraux, Maisons des adolescents) sur son secteur d’exercice, ainsi que leurs conditions d’accueil.

En dehors des situations d’urgence élevée, une réévaluation peut être reconduite à 2 ou 3 jours afin de préciser le niveau d’urgence et de vulnérabilité. Il faut alors :

– demander à l’entourage de retirer ou mettre hors de portée l’ensemble des moyens létaux ;

– informer le patient et sa famille sur la conduite à tenir en cas d’aggravation de la crise suicidaire actuelle ou de nouvelle crise suicidaire ;

– informer le patient et sa famille sur l’effet désinhibiteur de l’alcool et des autres substances.

Pour n’importe quel doute ou question, appeler le numéro national de prévention du suicide (3114).

Pour télécharger la fiche dédiée aux professionnels de soins primaires :

HAS. Idées et conduites suicidaires chez l’enfant et l’adolescent : prévention, repérage, évaluation, prise en charge. Acteurs de soins de première ligne. 9 septembre 2021.

Pour en savoir plus :

HAS. Idées suicidaires chez l’enfant et l’adolescent : repérer, évaluer et orienter la prise en charge. 30 septembre 2021.

HAS. Idées et conduites suicidaires chez l’enfant et l’adolescent : prévention, repérage, évaluation, prise en charge. 30 septembre 2021.

À lire aussi :

Karsenty A. Prévenir la récidive suicidaire : le dispositif VigilanS étendu. Entretien avec le Pr Guillaume Vaiva.Rev Prat (en ligne) février 2020.

Jollant F. Dossier – Suicide : une mort évitable.Rev Prat 2020;70(1);31-62.