La pandémie de Covid-19 a provoqué un afflux massif, dans les hôpitaux, de patients atteints de formes sévères, nécessitant souvent des soins intensifs (cathéters vasculaires, ventilation…), qui exposent à des risques élevés d’infections nosocomiales, en particulier d’infections invasives (bactériémies).L’impact de la pandémie sur l’épidémiologie des bactériémies en 2020 a été analysé dans vingt-cinq hôpitaux de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris [AP-HP] (correspondant à près de 20 000 lits, couvrant la région Île-de-France). Jusqu’à un quart des patients admis à l’AP-HP en mars-avril 2020 (pic de la première vague) étaient atteints de Covid-19. L’incidence des bactériémies pour cent admissions a globalement augmenté par rapport aux années précédentes : de 24 % en mars et de 115 % en avril 2020. L’évolution de l’incidence des bactériémies n’a cependant pas été la même pour deux groupes de micro-organismes d’écologie bien différente.Pour les micro-organismes de type « hospitalier » classiquement responsables d’infections nosocomiales, l’incidence a beaucoup augmenté en mars et surtout en avril 2020 : Klebsiella pneumoniae (multipliée par 2,3), Pseudomonas aeruginosa (multipliée par 2,4), Staphylococcus aureus (multipliée par 2,4), entérocoques (multipliée par 3,4) et levures (multipliée par 2,7). Les deux tiers des bactériémies causées par ces micro-organismes ont été considérées comme acquises lors de l’hospitalisation.Fait important, on a aussi constaté une forte augmentation de l’incidence des bactériémies causées par des souches résistantes aux antibiotiques. Les antibiotiques utilisés comme indicateurs étaient les céphalosporines de 3e génération (C3G), antibiotiques majeurs du traitement des infections graves, utilisées comme indicateurs pour la surveillance des résistances bactériennes en Europe et dans le monde (Organisation mondiale de la santé). À titre d’exemple, l’incidence des bactériémies à souches résistantes aux C3G a été multipliée par 3 en avril 2020 pour Klebsiella pneumoniae et Staphylococcus aureus (avec une résistance croisée aux C3G et à la méticilline dans cette espèce). Durant la même période, la consommation de C3G a fortement augmenté dans les mêmes hôpitaux (+131 % en mars et +148 % en avril).Pour Streptococcus pneumoniae (pneumocoque) et Streptococcus pyogenes (streptocoque hémolytique du groupe A), deux pathogènes responsables d’infections essentiellement communautaires et de transmission respiratoire, la pandémie a eu l’effet inverse : l’analyse de séries temporelles a montré une diminution de 34 % et 28 % respectivement de leur incidence en 2020, en particulier au printemps, quand des mesures strictes de confinement, de distanciation physique et de port du masque ont été édictées. Une légère réémergence des infections à ces deux espèces s’est produite pendant l’été 2020, après l’assouplissement des mesures de prévention. Par contraste avec ce qui a été vu plus haut, les quatre cinquièmes des bactériémies causées par ces deux espèces étaient effectivement considérées comme d’origine communautaire.La pandémie de Covid-19, qui a eu un fort impact sur la gestion hospitalière, l’organisation des soins et l’organisation sociale dans la population générale, a donc eu des répercussions opposées sur l’incidence des bactériémies selon les pathogènes et leur mode de transmission.
Rishma Amarsy, Jérôme Robert et Vincent Jarlier, AP-HP Nord, CIMI Paris, Inserm U1135, et Sorbonne Université, Paris
15 novembre 2022