Définir les principes de métrologie des expositions.
Ce concept a été mis en évidence grâce aux progrès de la clinique et de l’épidémiologie des parcours de vie, et consolidé sur le plan mécanistique par les avancées de l’épigénétique. Il a pris, pour des raisons de facilité de communication, le nom des « 1 000 premiers jours », qui recouvre la période majeure de vulnérabilité – et d’opportunité pour la prévention – de la conception à la deuxième année de vie.
Les termes de « programmation développementale ou fœtale » des fonctions physiologiques et surtout de « developmental origins of health and disease » (DOHaD) traduisent la nature du phénomène biologique sous-jacent et ses implications majeures en santé. Quel que soit le terme employé, il permet aujourd’hui d’asseoir sur des bases scientifiques robustes la prévention primaire précoce en santé individuelle comme en santé publique.
Émergences du concept des 1 000 premiers jours et de la programmation développementale
Leur analyse a permis d’établir une corrélation inverse entre le poids de ces sujets à la naissance et le risque de décès à l’âge adulte par maladie coronarienne, ou celui de développer d’autres maladies chroniques telles que le diabète de type 2. L’effet du poids de naissance s’avérait comparable à celui de facteurs de risque majeurs, comme l’hypercholestérolémie ou le tabagisme. Des variations subtiles du poids de naissance, à l’intérieur même de la fourchette normale, témoignant selon toute vraisemblance d’une restriction chronique de la croissance du fœtus par rapport à son potentiel intrinsèque, génétique, semblaient ainsi programmer un risque de pathologie grave qui n’allait se réaliser qu’après une période de latence de plusieurs décennies, à l’âge adulte. Le poids de naissance n’est pas en lui-même la cause de ce phénomène mais un marqueur des véritables sources d’exposition, la malnutrition et le stress fœtal chronique, ainsi que, en amont, leurs propres causes, telles qu’une dénutrition maternelle ou une insuffisance utéro-placentaire. Ce marqueur a, depuis, été repris dans de nombreuses études. Un lien silencieux entre une altération, même subtile, chronique de la nutrition et du bien-être fœtal et la santé à l’âge adulte, après plusieurs décennies, était ainsi établi.
Selon l’hypothèse de Barker, c’est le développement et la programmation durable des fonctions physiologiques du fœtus, typiquement les fonctions cardiovasculaires et métaboliques, qui, durant cette période spécifique, sont altérés. Répondant de façon adaptative à des signaux prédictifs suboptimaux, ou adverses reçus de l’environnement durant la fenêtre de vulnérabilité que constitue le développement, cette programmation se révèle inadaptée lors des phases successives du cours de la vie, lorsque la charge allostatique* augmente, expliquant un risque accru de maladies chroniques (
Les termes de fetal ou de developmental programming employés pour ce mécanisme tendent actuellement, en raison de leur connotation déterministe, à être remplacés par developmental conditioning, ou priming, une notion de risque statistique étant seule en jeu. Des facteurs environnementaux ultérieurs peuvent de plus modifier le risque, favorablement ou défavorablement. Le terme de « conditionnement » implique l’intervention d’un second facteur pour que le risque statistique programmé se réalise (notion de « second hit »). Cette sensibilité particulière durant la période du début de la vie aux influences de l’environnement permet la plasticité du développement, qui explique qu’un génotype puisse s’exprimer sous la forme d’une infinité de phénotypes. L’avantage de ces mécanismes qui, de nature principalement épigénétique, sont en réalité fondamentaux pour la vie, est de permettre une meilleure adaptation des individus et des espèces à leur environnement, dans une perspective évolutionniste, et de favoriser la diversité biologique. Un dimorphisme sexuel, c’est-à-dire une différenciation selon le sexe de la sensibilité aux stimuli environnementaux et de leurs effets, est souvent observé dans ce domaine.
Sources d’exposition
Les sources d’influence principales au cours du développement sont ainsi indirectes, à travers les expositions environnementales et modes de vie de la mère et du père. Les principes généraux de métrologie environnementale ne peuvent donc que s’appliquer de façon indirecte, au moyen de biomarqueurs précoces, tels que le poids de naissance ou l’indice de masse corporelle maternel ou paternel.
Les variations de la nutrition fœtale et post-natale sont des facteurs de programmation typiques, identifiés chez l’humain et dans différents modèles animaux au cours d’études interventionnelles. La dénutrition et l’hypernutrition précoces induisent des complications similaires à long terme, à l’âge adulte, cardiovasculaires, rénales et métaboliques. La combinaison d’une restriction de croissance fœtale avec une hypernutrition post-natale a les effets les plus importants.
Différents autres stimuli ont été également identifiés comme susceptibles d’influencer la programmation développementale : l’environnement relationnel, l’exposition précoce au stress (physique, mental ou social), à la dépression et le stress maternel, la vulnérabilité sociale sont l’objet principal du plan pour l’enfance « Les 1 000 premiers jours » élaboré par les pouvoirs publics en France en 2019. Les conséquences à long terme des expositions précoces au stress et le syndrome de stress post-traumatique associent souvent des troubles comportementaux, psychiques à des anomalies des fonctions cardiovasculaires et métaboliques. Les stimuli peuvent provenir de l’ensemble de l’exposome (
Outre les expositions à des variations environnementales survenant en dehors de tout cadre pathologique, la pathologie périnatale se révèle malheureusement porteuse d’un risque accru de maladies chroniques pour l’enfant lorsqu’il atteint l’âge adulte (
Organes et systèmes biologiques concernés par la programmation développementale
Aspects mécanistiques cellulaires et moléculaires
- la méthylation ou la déméthylation de l’ADN qui permettent, respectivement, l’activation ou la répression d’un ou plusieurs gènes ;
- la modification de la configuration des histones, qui sont les protéines autour desquelles s’enroule l’hélice d’ADN et qui configurent la chromatine ;
- la synthèse de brins d’ARN non codants, notamment des micro-ARN, qui viennent interférer avec la traduction.
Si la période du développement est si sensible aux signaux de l’environnement, avec des marques persistantes, c’est probablement parce que le développement lui-même fait intervenir des mécanismes épigénétiques. Chaque cellule d’un organisme possède le génome entier ; lorsqu’une cellule souche entame un processus de différenciation cellulaire spécifique, par exemple une différenciation neuronale, la mise en silence des parties du génome non nécessaires à cette orientation, et l’activation des séquences qui, au contraire, lui correspondent font vraisemblablement intervenir des phénomènes de nature épigénétique.
Ainsi, la voie suivie par le développement d’un individu est impulsée, certes par une structure stable, le génome, mais surtout par l’épigénome, qu’il acquiert progressivement grâce à ses interactions avec l’environnement, auquel il s’adapte. On retrouve là un mécanisme susceptible de conférer un avantage sélectif pour l’évolution des espèces, associée vraisemblablement à la création d’une diversité bien plus large que celle permise par les seules variations du génome.
Un phénomène tout à fait particulier est la transmission à l’enfant, par les futurs géniteurs, de certaines marques épigénétiques qu’ils ont acquises lors de l’interaction avec leur propre environnement, et qui reflètent certaines caractéristiques de leur propre mode de vie, et sont donc d’origine préconceptionnelle (
Sur le plan cellulaire, la conséquence éventuelle d’interactions suboptimales entre l’environnement et le développement de l’enfant semble impliquer, avec une remarquable similitude dans différents organes et systèmes biologiques, une accélération de la sénescence cellulaire naturelle, en particulier la sénescence induite par le stress oxydatif. Par exemple, les cellules progénitrices de l’endothélium d’un enfant prématuré expriment, paradoxalement, des caractéristiques d’accélération de la sénescence cellulaire liée au stress. Ce phénomène est susceptible d’expliquer les conséquences cardiovasculaires à long terme observées chez les sujets adultes nés prématurément.
L’hypothèse peut être faite que de tels mécanismes et facteurs, associés à l’effet amplificateur du cycle de la reproduction, expliquent en partie l’évolution de type pandémique de maladies chroniques telles que l’obésité, le diabète de type 2 ou l’hypertension artérielle dans le monde. Celles-ci sont devenues les principales causes de mortalité prématurée et de morbidité, y compris dans les pays dont le niveau de ressources économiques est moyen ou faible.
Les connaissances dans ce domaine sont cependant encore partielles, et d’autres hypothèses ont pu être formulées. Le rôle possible du microbiome, qui a également la capacité d’enregistrer de nombreux signaux venus de l’environnement et en particulier de l’alimentation est ainsi également mis en avant. Une persistance de profils métagénomiques suffisamment spécifiques au cours de la vie semble difficile à retrouver, mais il est établi, notamment, que le microbiote intestinal interagit avec le système immunitaire intestinal en y imprimant des marques épigénétiques, et par conséquent avec l’ensemble du système immunitaire.
En outre, l’axe cérébro-intestinal influence considérablement le microbiote en fonction de la sensibilité somato-sensorielle et émotionnelle, en particulier au cours du développement.
Importance du concept des 1 000 premiers jours en santé publique
Le concept DOHaD a confirmé qu’il existe un continuum entre le normal et le pathologique. Toutefois, la pathologie périnatale et les plus fréquentes complications de la grossesse et de la naissance, somatiques comme psychosociales, révèlent désormais, indépendamment de leur mortalité et de leur morbidité à court terme, leurs conséquences à long terme, tant pour la santé de l’enfant à l’âge adulte que pour celle de la mère. Elles constituent un modèle naturel, malheureusement quasi expérimental, d’altération de la programmation développementale et, là aussi, justifient un investissement que l’on voudrait massif pour leur prévention avant même la période préconceptionnelle, leur détection précoce et leur traitement.
Le concept de programmation développementale unifie une compréhension croissante de l’importance des modes de vie et de l’environnement, comme du génome, en tant que piliers de la santé et du bien-être, dans les dimensions somatique, psychique et sociale (
POINTS FORTS À RETENIR
Les stimuli reçus de l’environnement permettent à l’embryon, au fœtus et à l’enfant d’adapter de façon prédictive leur développement dès la période périconceptionnelle et de fixer les références de régulation des principales fonctions homéostasiques, biologiques, émotionnelles, affectives et sociales. Les empreintes de l’environnement sont notamment de nature épigénétique. Elles sont dynamiques, flexibles et réversibles durant le parcours de vie.
Des variations subtiles des conditions environnementales, physiques, biologiques, psychiques et sociales affectant la période périconceptionnelle, la grossesse et la première enfance peuvent entraîner des conséquences durables et, après une période silencieuse de latence, influencer le capital santé de l’adulte et le risque de troubles somatiques, psychiques et sociaux. Ceci, alors que les mêmes stimuli n’auraient qu’un effet temporaire s’ils intervenaient lors d’une autre période de la vie.
Les complications de la période périnatale, telles que la prématurité, la restriction de croissance intra-utérine ou l’exposition à une obésité ou un diabète gestationnel, sont également associées à long terme à un risque accru de maladies chroniques non transmissibles, cardiovasculaires, métaboliques, mentales en particulier. Elles représentent un modèle naturel d’altération de la programmation développementale sous l’effet d’événements stressants.
La programmation développementale, qui sous-tend le concept de DOHaD ou des 1 000 premiers jours, constitue une opportunité de prévention précoce pour la santé individuelle et pour la santé publique, accentuée par l’effet multiplicateur du cycle de la reproduction et la possibilité de transmission épigénétique, transgénérationelle de caractères non génomiques, acquis par les géniteurs.
Drapeaux rouges : erreurs à ne pas commettre
L’appellation des « 1 000 premiers jours » est l’appellation courante du concept scientifique portant sur les origines précoces, dès la période du développement de l’individu, de la santé et des maladies (connu sous l’acronyme DOHaD pour « developmental origins of health and disease »), notamment des maladies chroniques non transmissibles. Il repose en effet sur la sensibilité particulière du développement de l’enfant aux stimuli reçus de l’environnement, qui peuvent, typiquement au cours d’une fenêtre comprise entre la conception et le deuxième anniversaire de l’enfant, avoir un effet durable sur la santé de l’adulte qu’il deviendra. Cette période débute en réalité en préconceptionnel, du fait de la possibilité de transmission à l’enfant de traits acquis par les parents, notamment dans le mode de vie et par des mécanismes de nature épigénétique, et s’étend au-delà de la deuxième année de vie.
Ce sont les influences de l’environnement au sens large qui sont entendues dans le concept des 1 000 premiers jours. Celui-ci inclut notamment les modes de vie (alimentation, activité physique, sommeil, stress), l’environnement relationnel, les expositions à l’environnement physique et chimique, et aux différents types de pollution environnementale.
Si les premières applications ont concerné les dimensions mentale et sociale de la santé publique, le concept de DOHaD peut s’appliquer à l’ensemble des systèmes biologiques et des organes et dans l’ensemble des espèces étudiées. Les affections cardiovasculaires et métaboliques (obésité, diabète), notamment, font partie des maladies chroniques dont le risque peut être limité par des mesures de prévention primaire, précoce, portant sur les modes de vie et les expositions environnementales.
Hughes K, Bellis MA, Hardcastle KA, Sethi D, Butchart A, Mikton C, et al. The effect of multiple adverse childhood experiences on health: A systematic review and meta-analysis. Lancet Public Health. 2017;2(8):e356-e66.
Simeoni U, Armengaud JB, Siddeek B, Tolsa JF. Perinatal origins of adult disease. Neonatology 2018;113(4):393-9.