Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), 13 millions de décès dans le monde, chaque année, sont imputables à des causes environnementales évitables. Ils sont en partie liés au dérèglement climatique – « la plus grande menace sanitaire à laquelle l’humanité est confrontée » (OMS) – auquel s’ajoute le dépassement de huit « limites planétaires » (eau, érosion de la biodiversité, contraction des ressources, etc.), avec leurs impacts sanitaires respectifs.

Le secteur de la santé est responsable de 8 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) en France et d’une pollution significative non liée aux GES.1 La destruction de ce que Bruno Latour décrivait comme le monde « dont on vit » s’opère sous nos yeux, avec une mise en péril de l’habitabilité de la planète à court terme, du fait des activités humaines telles qu’elles existent aujourd’hui, y compris dans le secteur de la santé. En ce sens, ce secteur entretient la crise sanitaire et écologique à laquelle il est confronté. Les publications récentes de grandes revues généralistes insistent sur l’obligation de changer profondément notre façon de concevoir le soin, par une approche holistique dénommée One Health.2 Les solutions, urgentes, sont connues et théoriquement simples à mettre en œuvre. 

Une consultation de médecine générale émet 4 à 66 kgCO2éq selon la prise en compte ou non des prescriptions (60 % du bilan total), le type d’activité et les distances parcourues par les patients.3,4 Il semble donc plus pertinent de réfléchir en ordre de grandeur, à l’échelle d’un individu et du secteur de la santé, afin d’identifier les grands pôles d’émissions pour ensuite agir efficacement dessus. Il faut également considérer le maillage entre la médecine de ville, l’hôpital et les acteurs de la santé. Concernant les émissions du secteur, on compte 54 % pour les produits de soins (médicaments et dispositifs médicaux), 16 % pour les déplacements, 13 % pour les bâtiments (fig. 1).1 Au niveau individuel, un Français moyen émet 10 tCO2éq (l’Accord de Paris prévoit un objectif à 2 tCO2éq d’ici à 2030)5 dont 27 % et 24 % respectivement pour le transport et l’alimentation (fig. 2).6

Enjeu de sobriété : la médecine préventive

La prévention est peu valorisée et représente 1,9 % des dépenses de santé en France. C’est un levier nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.1

Alimentation et mobilité

Grâce à des conseils nutritionnels et sur l’activité physique, le médecin généraliste peut agir sur la morbidité et la mortalité, les dépenses de santé et l’impact écologique. Onze millions de personnes par an meurent précocement du fait d’une alimentation trop sucrée, salée ou carnée.3 Les recommandations de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) fixent un apport protéique à 0,83 g/kg/j, dont 50 % de protéines végétales, bien éloigné de l’alimentation trop carnée des Français, qui a un impact majeur sur la crise climatique (14 fois plus de GES par rapport à un plat végétarien),4 la biodiversité et l’eau. On peut recommander un régime méditerranéen, relativement « bas carbone », qui bénéficie d’un bon niveau de preuve pour le contrôle du risque cardiovasculaire ou des maladies inflammatoires chroniques. Il faut aussi recommander une activité physique régulière (selon les recommandations de l’OMS) et suggérer l’utilisation du vélo, y compris électrique, comme mode de transport sain et durable. Une prescription de telles recommandations non médicamenteuses peut améliorer l’adhésion.

Surdiagnostic, surtraitement

Le surdiagnostic et le surtraitement génèrent des émissions sans améliorer la santé des patients, voire en l’aggravant par iatrogénie. On pourrait citer les études sur les cancers de la thyroïde ou de la prostate et leur surdiagnostic, et, concernant le surtraitement, la polymédication, responsable de 10 000 morts par an.

Donner une place à la décision partagée, utiliser l’evidence-based medicine (EBM), tolérer l’incertitude, prendre le temps, insister sur les mesures non médicamenteuses, etc. sont autant de solutions que l’on pourrait résumer par le concept de « Less is more medicine »7 ou de « prévention quaternaire »,6 qui permettent de limiter ces risques.

Médicaments, un levier d’action majeur

La consommation de médicaments est le premier pôle d’émission de GES du fait de volumes et des processus de fabrication mondialisés. Au-delà de l’empreinte carbone, elle est source de pollution des milieux aquatiques, de dépenses publiques, de contraction des ressources et de déchets non recyclables. 

Moins prescrire

En France, 75 à 90 % des consultations sont suivies d’une prescription (en diminution) dont une part n’est pas justifiée. La nécessité de les réduire s’inscrit par ailleurs dans un contexte de tensions d’approvisionnement – en augmentation de + 1 200 % en dix ans –, selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). On peut citer : 

  • la prescription chronique de benzodiazépines (dans 15 % des situations, la durée n’est pas conforme à la limite préconisée de douze semaines) ;
  • la prescription hors recommandations au long cours d’inhibiteurs de la pompe à protons (mésusage dans 40 à 80 % des situations) ;
  • l’utilisation d’antibiotiques hors indication ou de durée trop longue (40 % des prescriptions hors recommandations) ;
  • la prescription d’antidiabétiques oraux, d’antihypertenseurs ou d’hypolipémiants en première intention avant la mise en place de règles hygiéno-diététiques (non-conformité dans 72 % des cas).
  • Des outils d’aide à la déprescription sont disponibles sur internet (encadré).

Lutter contre le gaspillage

Un médicament remboursé sur deux n’est pas consommé ; cela correspond à un coût de 7 milliards d’euros par an. Malgré de nombreux obstacles, la délivrance à l’unité (DAU), répandue dans d’autres pays, est une solution parmi d’autres.8 Elle est autorisée pour les antibiotiques et obligatoire pour les morphiniques. Des cobénéfices tels que la baisse du risque d’automédication, une meilleure observance et la réalisation d’économies en sont attendues.8 L’apposition d’un tampon pour encourager la DAU pourrait être proposée, en attendant des conditionnements industriels plus adéquats.

Prescrire durablement

À bénéfice égal pour le patient, il est possible de choisir une prescription durable. Les analyses de cycle de vie (ACV)* des médicaments restent limitées, mais se développent. On peut citer Ecovamed, qui a réalisé des travaux comparatifs concernant la metformine, ou l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), qui a réalisé un bilan carbone pour les soixante molécules les plus prescrites. Concernant les effets autres que les émissions de GES, le Comité pour les médicaments et la thérapeutique de Stockholm (CMTS) a publié une liste de médicaments avec leur impact mesuré en milieu aquatique, ce qui permet d’affiner sa prescription selon ce critère.9

Les inhalateurs représentent 25 % des émissions de GES de l’ordonnance d’un médecin généraliste.10 Deux types d’inhalateur existent, avec un équivalent pour chaque classe thérapeutique : les inhalateurs à poudre sèche (IPS) et les aérosols-doseurs (AD). Ces derniers sont composés d’un GES, l’hydrofluorocarbure (HFC), participant au réchauffement climatique 1 000 à 4 000 fois plus que le CO2, avec une empreinte multipliée par 30 par rapport à leur équivalent IPS. L’ACV d’un seul AD contenant du salbutamol (exemple de la Ventoline, en outre non recommandée par la Global Initiative for Asthma [GINA]) entraîne une pollution équivalente à un trajet de 230 km en voiture. Par ailleurs, les IPS permettent une meilleure observance, ont une plus grande facilité d’utilisation et engendrent des économies par une baisse de survenue des exacerbations.11 Ils nécessitent une inhalation forte et ne sont pas recommandés pour les patients ayant un débit inspiratoire trop faible (enfants de moins de 5 ans, patients souffrant d’insuffisance respiratoire chronique terminale...), ce qui ne concerne qu’environ 10 % des prescriptions en Suède contre 50 % en France, probablement par excès.

Replacer le patient au sein d’un système de soin préventif et respecter les indications de l’EBM permet de limiter les prescriptions : éviction des facteurs de risque (tabac, allergènes...), éducation thérapeutique, mesures d’amélioration de la qualité de l’air, pratique d’une activité physique, adaptée au besoin, etc.

Déplacements : deuxième poste d’émissions

Responsables de 16 % des émissions (11 % pour les patients et visiteurs, 5 % pour les professionnels), les déplacements sont le deuxième pôle d’émissions. En France, 35 % de trajets du quotidien sont inférieurs à 5 km, et la voiture est majoritairement utilisée dès le premier kilomètre parcouru. 

Le plan de mobilité établit des mesures visant à optimiser les déplacements, en accord avec les autorités locales. Il considère les utilisateurs d’un lieu avec des actions sur l’accessibilité, le type de transport ou l’aménagement urbain proche. Il peut être appliqué au sein d’une maison de santé.

La télémédecine est un levier significatif : lorsque le contexte est adapté, plusieurs études montrent son efficacité médicale, économique et écologique.12

Bâtiment : 13 % des émissions dans le secteur de la santé

La rénovation thermique permettrait une baisse de 75 % des émissions associées à la consommation d’énergie1 et peut s’appliquer au lieu d’exercice. Parmi les actions quotidiennes, il peut être proposé d’éteindre les appareils en veille, utiliser des ampoules à basse consommation et des minuteurs, limiter la consommation d’eau, du chauffage en hiver et de la climatisation en été, acheter du matériel d’occasion…

700 000 tonnes de déchets par an !

Développer des filières de recyclage est une priorité, mais de nombreux déchets n’y sont pas candidats.

Améliorer la filière déchet du médicament 

Le non-respect de la filière des déchets médicamenteux participe à l’omniprésence de résidus dans le milieu aquatique, avec des conséquences sur la biodiversité.13 Au cabinet, les résidus ou les médicaments non utilisés (MNU) doivent être jetés dans une poubelle de déchets d’activités de soins à risques infectieux (DASRI). L’apposition d’un tampon sur les ordonnances peut encourager le patient à rapporter les MNU en pharmacie.

Revoir les consignes de tri DASRI/DAS

Les DASRI engendrent 3 fois plus d’émissions de GES et 5 fois plus de frais pour leur traitement (chiffres variables en fonction des politiques locales de traitement des déchets) que les déchets d’activité de soins (DAS, correspondant aux déchets ménagers). Une part significative se retrouve considérée en excès comme des DASRI du fait d’erreurs souvent liées à des considérations psycho-émotionnelles plutôt qu’aux recommandations (fig. 3).

Un changement systémique nécessaire 

D’abord une (r)évolution politique 

Au sein d’un projet de réduction des émissions de GES, la santé est liée à d’autres secteurs (agriculture, bâtiment, transport…). Le National Health Service (NHS) – système de santé publique du Royaume-Uni – a diminué de 30 % ses émissions en trente ans alors que son activité a doublé et ce, en partie grâce aux politiques énergétiques du pays.14 Il est également important de repenser le mode de rémunération à l’acte. Il mène à la diminution du temps des consultations et aux dérives vers la multiplication des actes et d’émissions. À l’étranger, d’autres systèmes existent, avec leurs imperfections mais valorisant d’autres dimensions du soin.1  

Une autre vision de la santé

Les soins de santé planétaire nécessitent l’adoption d’une notion élargie du principe « D’abord ne pas nuire », en reconnaissant les liens cruciaux entre les changements écologiques, la santé humaine et notre capacité à prospérer. Il existait, en 2021, une inadéquation entre la demande des étudiants en santé (84 % pensent que les enjeux climatiques devraient être inclus dans leur formation) et l’offre quasi inexistante.1 En ce sens, un module pédagogique, « Médecine et santé environnementale », soutenu par la Conférence des doyens, a été développé dans une dizaine de facultés de médecine. Il est fondé sur une approche systémique, désanthropocentrée, évolutive, nuancée et complexe, transdisciplinaire et à multi-échelle. La conférence des doyens des facultés de médecine a également mis à jour sa charte éthique. Un nouveau chapitre, « La faculté s’engage sur l’environnement et la santé environnementale », est intégré, avec une série de d’actions à mettre en place qui «  doivent s’associer à l’effort commun pour que notre société devienne durablement écoresponsable et contribue à la cohésion sociale et pour la santé publique [...] en accord avec l’objectif global du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ».16

Des changements urgents à considérer comme une vraie opportunité

Selon le GIEC, l’influence de l’homme sur le réchauffement climatique est non équivoque ; chaque fraction de degré compte ; l’impact du changement climatique opère déjà sous nos yeux. 

Nous avons pris un retard conséquent sur les objectifs de l’Accord de Paris et nous sommes seulement aux prémices des conséquences futures. L’urgence climatique et écologique doit être explicitée et comprise sur des bases scientifiques et une métrique, pour mieux passer à l’action. 

La santé se place à la frontière des causes et des conséquences. Elle suit la direction générale de notre société comme modèle non soutenable : en produisant des quantités importantes de GES, en dépendant de chaînes d’approvisionnement mondialisées, en privilégiant des considérations économiques, en agissant sur la gestion des conséquences plutôt que sur leur anticipation. Le changement urgent et nécessaire offre une opportunité inégalée de traiter des problèmes transversaux avec une multitude de cobénéfices. Il remet le patient au centre de son environnement, afin de changer durablement de modèle : un système préventif, une meilleure éducation des patients, des ordonnances allégées, des mobilités sobres, une alimentation saine et une revalorisation de la notion de bien-être. La place du médecin généraliste doit être centrale dans cette transformation (tableau). 

* L’analyse du cycle de vie (ACV) est une méthode normée permettant de quantifier l’impact sur l’environnement d’un produit durant l’ensemble de son cycle de vie ; les résultats sont présentés selon plusieurs indicateurs environnementaux.Travail issu de la thèse Aix-Marseille-Université, de Paul Arnal.
Encadre

Ressources pour aider le praticien dans sa démarche écoresponsable

  • Fiche pratique de la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et du Groupe de pathologie infectieuse pédiatrique (GPIP) sur les durées d’antibiothérapies, infections courantes, non compliquées, en évolution favorable (Info-antibio n° 92 : mai 2021) : https ://bit.ly/3pdVGmi 
  • Algorithmes pour la déprescription (deprescribing.org) : https ://bit.ly/3qMcGAN 
  • The UK’s primary care sustainability network. High Quality and Low Carbon Asthma Care (Réseau de durabilité des soins primaires du Royaume-Uni. Prise en charge de l’asthme avec qualité élevée et faible émission de carbone) [Greener Practice] https ://bit.ly/3N5COhv 
  • Pharmaceuticals and Environment (médicaments et environnement) [site de la région de Stockholm] : https ://bit.ly/3NwljIw
  • « Le plan de mobilité » (Agence de la transition écologique) : https ://bit.ly/43TkgIc
Références
1. The Shift Project. Décarboner la santé pour soigner durablement dans le cadre du plan de transformation de l’économie française. Novembre 2021.
2. The Lancet. One Health: A call for ecological equity. Lancet 2023;401(10372):169.
3. Virtanen HEK, Voutilainen S, Koskinen TT, et al. Dietary proteins and protein sources and risk of death: The Kuopio Ischaemic Heart Disease Risk Factor Study. Am J Clin Nutr 2019;109(5):1462-71. 
4. Empreinte carbone d’un repas. Impact CO2. https://impactco2.fr//repas.
5. L’Accord de Paris. Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques : https://bit.ly/3qMqyLr
6. Widmer D, Herzig L. Prévention quater­naire : agir est-il toujours justifié en médecine de famille ? Rev Med Suisse 2014;10(430):1052-6.
7. Kherad O, Peiffer-Smadja N, Karlafti L, et al. The challenge of implementing Less is More medicine: A European perspective. Eur J Intern Med 2020;76:1-7. 
8. Treibich C, Lescher S, Sagaon-Teyssier L, et al. The expected and unexpected benefits of dispensing the exact number of pills. PLoS One 2017;12(9):e0184420.
9. Stockholm County Council. Environmentally Classified Pharmaceuticals 2014-2015 : https://bit.ly/3Jf2O8N.
10. Greener Practice – The UK’s primary care sustainability network. High Quality and Low Carbon Asthma Care. https://bit.ly/3N5COhv
11. Price DB, Roman-Rodriguez M, McQueen RB, et al. Inhaler Errors in the CRITIKAL Study: Type, Frequency, and Association with Asthma Outcomes. J Allergy Clin Immunol Pract 2017;5(4):1071-81-e9.
12. Purohit A, Smith J, Hibble A. Does tele­medicine reduce the carbon footprint of healthcare? A systematic review. Future Healthc J 2021;8(1):e85-e91.
13. Wilkinson JL, Boxall ABA, Kolpin DW. Pharmaceutical pollution of the world’s rivers. Proc Natl Acad Sci U S A 2022;119(8):e2113947119.
14. Tennison I, Roschnik S, Ashby B, et al. Health care’s response to climate change: a carbon footprint assessment of the NHS in England. Lancet Planet Health 2021;5(2):e84-e92.
15. Carbone 4. MyCO. Empreinte carbone française moyenne, comment est-elle calculée ? https://bit.ly/43FZ1K9
16. Conférence des doyens des facultés de médecine. Santé formation recherche. Charte de la faculté de médecine/santé. 2023

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essentiel

Le secteur de la santé est responsable de 8 % des émissions de GES en France et d’une pollution significative non liée aux GES. 

La prévention est un levier nécessaire pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris.

Moins et mieux prescrire permet de limiter la pollution environnementale ; il existe des outils d’aide à la déprescription.

La filière de déchets doit être mieux connue en limitant la part de DASRI (et de déchets en général), en orientant correctement le traitement des médicaments non utilisés et en favorisant les filières de recyclage.