À âge égal, les femmes ont plus de facteurs de risque cardiovasculaire que les hommes. Un risque sous-évalué, associé à une inégalité préjudiciable de la prise en charge et à une surmortalité.
Les maladies cardiovasculaires demeurent la première cause de mortalité chez la femme et constituent un problème de santé publique d’autant plus inquiétant que leur incidence et la mortalité qui leur sont liées augmentent chez les femmes les plus jeunes. Cette évolution alarmante peut s’expliquer par une modification des comportements ainsi que par une méconnaissance et une sous-estimation du risque cardiovasculaire féminin, entraînant des inégalités de prise en charge.
Une alerte épidémiologique
Première cause de mortalité chez la femme dans les pays industrialisés, les maladies cardiovasculaires sont responsables de 49 % des décès chez les femmes en Europe (contre 40 % chez les hommes).1 Plus de 2,2 millions de femmes meurent ainsi chaque année de maladies cardiovasculaires alors que pour les hommes ce chiffre est de 1,9 million. En France, les maladies cardiovasculaires occupent également la première place des décès féminins en représentant 30 % des causes de mortalité.2 Chez les hommes, elles ne constituent que la deuxième cause de décès (25,1 %), la cause tumorale étant prédominante.
Si l’essor de la prévention et l’amélioration des stratégies thérapeutiques ont permis une diminution de la mortalité cardiovasculaire au cours des dernières décennies, cette décroissance n’est cependant pas homogène selon l’âge et le sexe. Ainsi, si une réduction de la maladie coronaire est observée chez les hommes quel que soit leur classe d’âge, une augmentation inquiétante est retrouvée chez la femme de moins de 55 ans (+ 6,7 %) [fig. 1].3 La proportion de femmes de moins de 60 ans hospitalisées pour infarctus du myocarde en France a ainsi progressé de 11,8 à 25,5 % entre 1995 et 2010 ; et cela en parallèle avec l’augmentation de la prévalence du tabagisme actif de 37,5 à 73,1 % et de l’obésité de 17,6 à 27,1 %. De même, les hospitalisations pour accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques ont augmenté chez les femmes de 35 à 64 ans entre 2002 et 2014.4
Si l’essor de la prévention et l’amélioration des stratégies thérapeutiques ont permis une diminution de la mortalité cardiovasculaire au cours des dernières décennies, cette décroissance n’est cependant pas homogène selon l’âge et le sexe. Ainsi, si une réduction de la maladie coronaire est observée chez les hommes quel que soit leur classe d’âge, une augmentation inquiétante est retrouvée chez la femme de moins de 55 ans (+ 6,7 %) [fig. 1].3 La proportion de femmes de moins de 60 ans hospitalisées pour infarctus du myocarde en France a ainsi progressé de 11,8 à 25,5 % entre 1995 et 2010 ; et cela en parallèle avec l’augmentation de la prévalence du tabagisme actif de 37,5 à 73,1 % et de l’obésité de 17,6 à 27,1 %. De même, les hospitalisations pour accidents vasculaires cérébraux (AVC) ischémiques ont augmenté chez les femmes de 35 à 64 ans entre 2002 et 2014.4
Un risque cardio-vasculaire spécifique et sous-estimé
L’évolution du mode de vie des femmes entraîne une augmentation constante de leur exposition aux facteurs de risque cardiovasculaires, encore trop insuffisamment dépistés et contrôlés. À âge égal, les femmes ont plus de facteurs de risque cardiovasculaire que les hommes (fig. 2).5, 6 Elles ont très fréquemment au moins un facteur de risque, et plus de 80 % des femmes de plus de 45 ans en ont au moins deux. De plus, certains facteurs de risque sont associés à un risque cardiovasculaire plus élevé et un pronostic plus péjoratif chez la femme que chez l’homme. Ainsi, le risque d’infarctus du myocarde lié à l’hypertension artérielle, au diabète ou au facteur psychosocial apparaissait plus important chez la femme dans l’étude INTERHEART (fig. 3).7, 8
Tabac
En France, la prévalence du tabagisme féminin ne cesse d’augmenter. Il est particulièrement toxique pour les artères féminines. Fumer 3 ou 4 cigarettes par jour multiplie par 3 le risque cardiovasculaire chez la femme. La femme fumeuse a son premier infarctus 13,7 ans plus tôt que la non-fumeuse (contre 6,2 ans chez l’homme).9
Hypertension artérielle
La prévalence de l’hypertension artérielle est plus élevée chez la femme après la ménopause que chez l’homme du même âge. L’impact de l’hypertension artérielle est plus important chez la femme que chez l’homme avec davantage d’AVC, d’infarctus du myocarde et d’insuffisances cardiaques. L’association aux autres facteurs de risque cardiovasculaire a également un effet plus néfaste chez la femme, avec une augmentation exponentielle du risque global. Malgré cela, la proportion de femmes traitées a diminué de manière importante de 2006 à 2015 (61,7 vs 49,1 % ; p = 0,008).10, *
Diabète
L’incidence et la mortalité cardiovasculaires sont plus élevées chez la femme diabétique que chez l’homme diabétique. Le risque relatif (RR) de maladie coronaire fatale chez les patients diabétiques par rapport aux non-diabétiques est ainsi 50 % plus élevé chez la femme (RR : 3,5) que chez l’homme (RR : 2,1), après ajustement sur l’âge et les autres facteurs de risque cardiovasculaire.8
Dyslipidémie
Le profil lipidique se modifie avec l’âge chez la femme, du fait des modifications hormonales de la ménopause. Un cholestérol lié aux lipoprotéines de haute densité (HDL- cholestérol) bas et l’hypertriglycéridémie sont associés de manière plus importante au risque cardiovasculaire chez la femme que chez l’homme.8
Surpoids et obésité
Au cours des 10 dernières années, la prévalence du surpoids et de l’obésité a augmenté chez les femmes, particulièrement dans la tranche d’âge de 40 à 54 ans alors qu’une diminution est constatée chez l’homme dans les différentes classes d’âge.11
Sédentarité
En parallèle, seulement 53 % des femmes atteignent les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé en matière d’activité physique, contre 70 % des hommes.11 Le nombre de femmes physiquement actives a baissé de 16 % en 10 ans, de façon plus prononcée chez les femmes de 40 à 54 ans (- 22 %) alors que la proportion d’hommes physiquement actifs a augmenté de 10 %. La sédentarité est un facteur de risque plus fréquent de maladie cardiovasculaire chez la femme, avec un risque attribuable qui rattrape ceux imputables au tabac, à l’hypertension artérielle et au surpoids. En revanche, l’activité physique modérée protège plus la femme que l’homme, avec une diminution du risque de 52 % vs 23 % de maladie coronaire.7
Facteurs psychosociaux
Les femmes sont environ deux fois plus nombreuses que les hommes à souffrir d’un épisode dépressif et sont plus souvent en situation socio-économique défavorable. Ces facteurs de risque psychosociaux sont corrélés à la maladie coronaire de manière plus importante chez la femme que chez l’homme. Ainsi, le facteur psychosocial apparaît aussi puissant chez la femme que l’hypertension artérielle et le diabète sur le risque de maladie coronaire.7
Risque lié aux facteurs reproductifs et hormonaux
À ces facteurs de risque partagés avec l’homme s’ajoute un risque spécifique chez la femme lié aux modifications hormonales au cours de sa vie (contraception, grossesse et ménopause).8 La prééclampsie, l’hypertension artérielle gravidique et le diabète gestationnel sont actuellement reconnus comme des facteurs de risque cardiovasculaire indépendants et des marqueurs précoces d’événements cardiovasculaires.6 Les perturbations hormonales à la ménopause entraînent un véritable syndrome métabolique et vasculaire, avec une augmentation des facteurs de risque cardiovasculaire.
Des inégalités de prise en charge
Chez la femme, les maladies cardiovasculaires restent sous-diagnostiquées et sous-traitées. Les femmes bénéficient moins souvent d’examens complémentaires et ne sont pas aussi bien dépistées sur le plan cardiovasculaire que les hommes. À titre d’exemple, en cas d’angor stable, les femmes bénéficient de 5 fois moins d’épreuves d’effort et de 40 à 50 % de moins de coronarographies que les hommes.12 En cas de syndrome coronaire aigu, malgré des caractéristiques initiales similaires, les hommes ont 57 % de chances supplémentaires d’avoir une coronarographie par rapport aux femmes.13
De manière générale, les femmes sont adressées plus tard pour une exploration coronaire que les hommes.14 Ce retard de prise en charge peut s’expliquer en partie par une symptomatologie féminine souvent « atypique » et méconnue. À lésions coronaires égales, les femmes bénéficient moins de revascularisation coronaire.12 Malgré les recommandations établissant leur bénéfice, plusieurs études ont montré que l’aspirine, les bêtabloquants, l’héparine et les statines étaient sous-prescrits chez la femme, aussi bien en phase aiguë qu’à long terme.14 Les objectifs cibles en prévention secondaire sont moins souvent atteints chez la femme. De même, les femmes bénéficient moins souvent de rééducation cardiaque après un événement coronaire.
De manière générale, les femmes sont adressées plus tard pour une exploration coronaire que les hommes.14 Ce retard de prise en charge peut s’expliquer en partie par une symptomatologie féminine souvent « atypique » et méconnue. À lésions coronaires égales, les femmes bénéficient moins de revascularisation coronaire.12 Malgré les recommandations établissant leur bénéfice, plusieurs études ont montré que l’aspirine, les bêtabloquants, l’héparine et les statines étaient sous-prescrits chez la femme, aussi bien en phase aiguë qu’à long terme.14 Les objectifs cibles en prévention secondaire sont moins souvent atteints chez la femme. De même, les femmes bénéficient moins souvent de rééducation cardiaque après un événement coronaire.
Une surmortalité féminine
À âge égal, la mortalité intrahospitalière du syndrome coronaire aigu est plus importante chez la femme que chez l’homme. Cette différence se retrouve dans toutes les classes d’âge, mais plus la femme est jeune, plus la différence est importante.14 Après ajustement sur différents facteurs de risque, le sexe féminin demeure un facteur de risque de mortalité intrahospitalière. En phase aiguë, les femmes ont également davantage de chocs cardiogéniques, d’insuffisance cardiaque et de complications hémorragiques et vasculaires. Les raisons de cette surmortalité sont multiples : l'âge plus élevé des femmes avec plus de comorbidités et un tableau plus sévère ou moins typique, un risque iatrogène plus important et une inégalité de prise en charge précoce. Cependant, tous ces facteurs ne suffisent pas à expliquer totalement la différence de mortalité entre les deux sexes, notamment chez la femme jeune.
CAMPAGNES D’INFORMATION
Les maladies cardiovasculaires chez la femme constituent un véritable problème de santé publique nécessitant des actions de prévention et une amélioration des prises en charge en vue de diminuer la morbi-mortalité cardiovasculaire et de combler les inégalités selon le sexe. Les spécificités féminines des maladies cardiovasculaires doivent être connues et prises en compte pour une prise en charge optimisée. Des campagnes d’information menées auprès des femmes et des professionnels de santé par la Fédération française de cardiologie (www.fedecardio.org et youtube fedecardio avec « Préjugés » et « Casting » sur les symptômes de l’infarctus du myocarde) permettent d’amener l’information au plus près du public concerné et sensibilise aussi les professionnels de santé à un dépistage plus ciblé. De même, des parcours coordonnés de soins tels que le parcours « Cœur, artères et femmes » au centre hospitalier universitaire de Lille sont d’autres outils concluants pour améliorer la prise en charge des femmes à risque. Le programme « Go Red » mené aux États-Unis par l’American Heart Association (associant des actions d’information, de prévention et de recherche) a ainsi porté ses fruits en 10 ans, avec une meilleure connaissance des facteurs de risque cardiovasculaires, des symptômes et le constat pour la première fois d’un recul des accidents cardiovasculaire chez les femmes. Nous devons suivre cet exemple en nous en donnant les moyens et en poursuivant les actions d’information, de prévention et de recherche en France sur les maladies cardiovasculaires de la femme, devenues un véritable enjeu de santé publique.
Ce thème a fait l’objet d’une présentation à l’Académie nationale de médecine le 30 octobre 2018.* Il n’y a pas d’explication possible. Une analyse plus fine du profil des femmes hypertendues non traitées devra être menée afin de comprendre les raisons de cette diminution.
Références
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