L’infection par H. pylori reste fréquente en France. Asymptomatique dans de très nombreux cas, elle est responsable d’une gastrite qui peut entraîner des complications (ulcères, risque de cancer gastrique). Quand la rechercher et la traiter ? Quelles stratégies thérapeutiques face à l’augmentation de l’antibiorésistance ? De nouvelles recommandations européennes ont récemment été publiées.
La prise en charge de l’infection par Helicobacter pylori a fait l’objet de nouvelles recommandations européennes (consensus Maastricht VI/Florence), présentées en octobre au congrès de l’United European Gastroenterology Week et parues dans la revue Gut.
Nouveautés : la gastrite à H. pylori ayant été reconnue comme une maladie infectieuse à part entière dans le CIM-11, une mise à jour s’imposait par rapport aux dernières recommandations de 2017 ; et, surtout, la hausse continue de l’antibiorésistance de cette bactérie, qui a atteint des « niveaux alarmants à l’échelle mondiale » selon les experts de Maastricht, exigeait une révision des schémas thérapeutiques.
Infection par H. pylori et pathologies associées
H. pylori est une bactérie à Gram négatif très commune de l’intestin humain, présente chez environ la moitié de la population mondiale ; elle colonise exclusivement la muqueuse gastrique et sa transmission est interhumaine. La contamination se fait généralement pendant l’enfance (ingestion d’aliments ou d’eaux contaminées), mais l’infection persiste toute la vie en l’absence d’éradication. Elle peut rester latente dans 70 % des cas ou se manifester par des symptômes divers et d’intensité très variable (épigastralgies, douleurs abdominales, régurgitations, vomissements, nausées, éructations, flatulences…).
En France, sa prévalence, en diminution, est de l’ordre de 15 à 30 % (moins de 20 % chez les moins de 30 ans et environ 50 % après l’âge de 50-60 ans).
La gastrite à H. pylori est une maladie infectieuse classifiée comme une entité à part entière dans le CIM-11 (2019) : les nouvelles recommandations soulignent ainsi que l’infection entraîne toujours une gastrite, quels que soient les symptômes et les complications – un changement majeur de paradigme car cela devrait conduire, en théorie, à traiter tous les patients infectés, indépendamment des manifestations cliniques (v. ci-dessous).
En outre, son rôle majeur dans le développement de certaines pathologies digestives était déjà reconnu : ulcère gastroduodénal (95 % des ulcères duodénaux et 70 % des ulcères gastriques seraient associés à une infection par H. pylori) ; facteur de risque indépendant de cancer de l’estomac (adénocarcinome à plus de 90 %, lymphome gastrique du tissu lymphoïde associé aux muqueuses, dit lymphome de MALT gastrique). L’adénocarcinome gastrique résulte principalement d’une évolution lente et prolongée de la gastrite chronique vers des lésions prénéoplasiques, la gastrite chronique atrophique, la métaplasie intestinale puis la dysplasie ; le risque de développer un adénocarcinome gastrique des années après une infection par H. pylori est estimé à 1 %.
Enfin, ce pathogène peut aussi être impliqué dans des maladies extradigestives : certaines anémies ferriprives, carences en vitamine B12, purpura thrombopénique idiopathique.
Recherche de l’infection par H. pylori
Quels patients ?
Si ces nouvelles recommandations européennes soulignent que la recherche et le traitement de l’infection par H. pylori ne devraient plus être réservés aux cas symptomatiques, la faisabilité de cette stratégie nécessitera des réévaluations.
En pratique, les experts préconisent surtout le recours à une stratégie « test-and-treat » chez les patients ayant des symptômes dyspeptiques non explorés (impression de rassasiement trop rapide, plénitude épigastrique, ballonnements, nausées, éructations postprandiales…). Une gastrite à H. pylori doit ainsi être exclue avant de poser un diagnostic de dyspepsie fonctionnelle.
Les autres indications restent d’actualité : ulcère gastrique ou duodénal ; avant prise d’AINS ou d’aspirine à faible dose en cas d’antécédent d’ulcère gastrique ou duodénal ; avant chirurgie bariatrique ; en présence de facteurs de risque de cancer gastrique, lymphome gastrique de MALT ; anémie ferriprive sans cause retrouvée ou résistante à la supplémentation orale ; carence en vitamine B12 sans cause retrouvée ; purpura thrombopénique immunologique de l’adulte (cf. recos HAS 2017).
Quelles méthodes ?
Plusieurs techniques permettent de détecter la bactérie :
- L’analyse de l’air expiré est le test le plus fiable, non invasif, simple et rapide (2 prélèvements de l’air expiré à 30 minutes d’intervalle), détectant le CO2 marqué, après ingestion d’urée marquée au carbone 13 (en effet, si le patient est infecté, la bactérie métabolise l’urée en CO2). Ce test est très sensible (95,4 %) et très spécifique (98,6 %). Il doit être fait à jeun, et en ayant interrompu la prise d’antibiotiques et d’inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) respectivement 4 semaines et 2 semaines auparavant. Toutefois, en France, ce test n’est remboursé que pour le contrôle de l’éradication (et non pour le diagnostic).
- Une identification par immunochromatographie est possible dans les selles (mais elle n’est pas remboursée).
- Un dosage d’anticorps spécifiques permet de révéler l’infection, mais ne peut ni la dater ni en surveiller la guérison, les anticorps persistant plusieurs mois après l’éradication de la bactérie.
- Ces deux derniers tests sont de moins en moins utilisés.
- En cas de gastroscopie, un test à l’uréase fait directement sur le prélèvement biopsique permet de dépister la bactérie ; la culture et la PCR permettent le diagnostic d’infection à H. pylori et l’évaluation de sa résistance à certains antibiotiques.
Les experts de Maastricht recommandent de privilégier une méthode non invasive pour rechercher l’infection chez un sujet dyspeptique jeune sans signes d’alarme, tandis que chez les patients dyspeptiques de plus de 50 ans, ou en présence de signes d’alarme, l’endoscopie digestive haute est recommandée. De même, une méthode non invasive serait à préférer pour le diagnostic de l’infection inscrite dans une stratégie large de prévention de cancers gastriques (efficacité similaire à celle de l’endoscopie), sauf pour les patients à risque (antécédents de cancers gastriques au premier degré, par exemple) chez qui l’endoscopie est préférée.
Traitement : privilégier une antibiothérapie adaptée
Ces nouvelles recommandations rappellent que l’éradication d’H. pylori est le traitement de première ligne des patients dyspeptiques infectés par ce bacille – auparavant souvent classifiés comme atteints d’une dyspepsie fonctionnelle. Il a montré son efficacité dans la réduction des symptômes et la minimisation des complications ; il est efficace sur la cicatrisation de l’ulcère duodénal et la prévention des récidives d’ulcères gastriques et duodénaux. Les experts soulignent en outre que la détection et l’éradication précoces de ce pathogène sont une stratégie efficace de prévention des cancers gastriques (surtout si le traitement est initié avant l’apparition des lésions précancéreuses). Le traitement entraîne par ailleurs une rémission, voire une guérison, des lymphomes gastriques de MALT de bas grade.
Étant donné la hausse vertigineuse de l’antibiorésistance d’H. pylori au cours des dernières décennies, ces nouvelles recos soulignent l’importance d’instaurer une antibiothérapie adaptée à la souche, en limitant donc le recours à des stratégies probabilistes dans la mesure du possible.
Un test de sensibilité à la clarithromycine, notamment, est ainsi recommandé avant l’instauration d’un traitement. Si jusqu’à présent la détermination de la sensibilité de la souche d’H. pylori aux antibiotiques reposait surtout sur la culture des biopsies gastriques avec antibiogramme – limitant sa généralisation –, des techniques de biologie moléculaire plus aisées à réaliser ont aujourd’hui une meilleure disponibilité (tests d’amplification génique comme la PCR qui permettent de détecter les mutations responsables de la résistance à la clarithromycine, la lévofloxacine, la tétracycline et la rifampicine). Toutefois, ces tests ne sont pas encore remboursés en France dans cette indication, et la réalisation systématique d’un test de sensibilité n’est pas toujours possible en pratique (elle requiert une endoscopie digestive pour le prélèvement).
Ces recommandations rejoignent celles éditées en France en 2021 par la Spilf et la HAS, qui indiquaient que le traitement devait être guidé par l’étude de la sensibilité de la souche aux antibiotiques (v. encadré).
Toutefois, si la souche ne peut être testée, les experts européens recommandent d’orienter la stratégie thérapeutique selon le niveau de résistance aux macrolides dans la région considérée. Ainsi, dans les zones où elle est supérieure à 15 % (en France : 20 %), ils recommandent en première ligne une quadrithérapie avec bismuth (oméprazole, en association avec un sel de bismuth + tétracycline + métronidazole). Cette option correspond à la ligne de traitement préconisée en France pour les souches résistantes à la clarithromycine et la lévofloxacine (v. encadré).
Ces recommandations devront toutefois encore être validées et adaptées à la situation française.
Enfin, l’éradication doit toujours être vérifiée à la fin du traitement, par la négativation du test respiratoire à l’urée pratiqué au moins 1 mois après l’arrêt des antibiotiques (et 15 jours après l’arrêt des IPP).
Traitement guidé de l’infection par Helicobacter pylori chez l’adulte (HAS, Spilf, 2021)
Pour une souche d’H. pylori sensibles à la clarithromycine, trithérapie pendant 10 jours : IPP une dose matin et soir (ésoméprazole 20 mg, lansoprazole 30 mg, oméprazole 20 mg, pantoprazole 40 mg, rabéprazole 20 mg ; pendant le repas) + amoxicilline 50 mg/kg/j en 3 à 4 prises + clarithromycine 500 mg matin et soir.
Pour les souches d’H. pylori résistantes à la clarithromycine :
- si souche sensible à la lévofloxacine, trithérapie pendant 10 jours : IPP une dose matin et soir + amoxicilline 50 mg/kg/j en 3 ou 4 prises par jour + lévofloxacine 500 mg 1 fois par jour ;
- si souche résistance à la lévofloxacine, quadrithérapie pendant 10 jours avec bismuth : oméprazole 20 mg matin et soir + Pylera (association de sous-citrate de bismuth 140 mg, métronidazole 125 mg et tétracycline 125 mg) 3 gélules 4 fois par jour.
Malfertheiner P, Megraud F, Rokkas T, et al. Management of Helicobacter pylori infection: the Maastricht VI/Florence consensus report. Gut 2022;71:1724-62.
HAS. Choix et durée de l’antibiothérapie : traitement guidé de l’infection par Helicobacter pylori chez l’adulte. 27 août 2021.