Les infections urinaires (IU) sont plus fréquentes chez les femmes enceintes que chez les jeunes en dehors de la grossesse, en raison des particularités anatomiques (compression des uretères par l’utérus, reflux vésico- urétéral), hormonales (diminution du péristaltisme urétéral, augmentation de la capacité vésicale), biochimiques (baisse de l’activité bactéricide et hausse du pH urinaire) et d’une immunodépression physiologique.1
Les principaux facteurs de risque de colonisation urinaire sont les antécédents d’IU, l’activité sexuelle et un bas niveau socio-économique, auxquels s’ajoutent – pour la pyélonéphrite aiguë gravidique (PNAG) – le jeune âge maternel et la nulliparité.
L’épidémiologie bactérienne est comparable à celle de l’IU non gravidique : prédominance des entérobactéries (Escherichia coli dans plus de 50 % des cas, puis Klebsiella pneumoniae, Proteus mirabilis et Enterobacter sp.) et Staphylococcus saprophyticus.2
L’antibiorésistance est également similaire, en particulier vis-à-vis des quinolones et par le biais de bêtalactamases à spectre élargi (BLSE).
Compte tenu du faible nombre d’études chez la femme enceinte, les recommandations sont fondées sur des avis d’experts.

Colonisation urinaire gravidique

En dehors de la grossesse, une bactériurie asymptomatique n’est pas considérée comme une infection car elle n’évolue ni vers la cystite ni vers la pyélonéphrite aiguë. À l’inverse, chez les femmes enceintes, elle doit être surveillée et systématiquement traitée car elle est associée à un risque de PNAG3 d’environ 30 % (l’impact fœtal – prématurité et retard de croissance intra-utérin – est incertain). Le traitement systématique diminue l’incidence des PNAG.
Le dépistage est fait par bandelette urinaire (BU), mensuellement à partir du 4e mois. Une BU est considérée comme positive si elle met en évidence des leucocytes ou des nitrites. Sensibilité et valeur prédictive négative sont très bonnes. Si elle est positive, un ECBU est prescrit : une colonisation est affirmée en cas de bactériurie monobactérienne > 105 UFC/mL. Idéalement, un deuxième test montrant le même germe 1 à 2 semaines plus tard permet de distinguer les colonisations des contaminations, mais cela augmente le délai avant traitement. Lorsque le risque d’IU gravidique est élevé (uropathie, diabète, antécédents d’IU récidivante), l’ECBU est fait d’emblée et mensuellement à partir du 4e mois.
Le traitement, systématique,4 est adapté à l’antibiogramme. La SPILF a hiérarchisé les molécules de la 1re à la 5e intention en tenant compte des études portant sur cette indication, puis a privilégié les molécules au spectre le plus étroit et ayant le moins d’impact sur le microbiote intestinal.5 Cette approche est assez discutable et soutenue par peu d’arguments de la littérature.
Pour simplifier, nous proposons une stratification en 2 niveaux – 1re et 2e intention – le choix de la molécule dans chaque groupe étant laissé au clinicien et à la patiente selon ses avantages et inconvénients (tableau 1) :
– en 1re intention (ordre alphabétique) :
. amoxicilline,
. fosfomycine trométamol,
. pivmecillinam,
. nitrofurantoïne ;
– 2e intention (ordre alphabétique) :
.amoxicilline-acide clavulanique,
. céfixime,
. triméthoprime-sulfaméthoxazole.
Bien que la ciprofloxacine soit citée dans les recommandations, elle est à éviter en raison de son spectre très large, de son fort impact sur le microbiote intestinal et du risque de sélection de germes résistants (entérobactéries productives de BLSE-EBLSE, avec risque de transmission au nouveau-né, notamment).
En dehors de la fosfomycine (dose unique), la durée de traitement est de 7 jours, quelle que soit la molécule (pas d’étude ayant testé des antibiothérapies plus courtes chez la femme enceinte).
Un ECBU de contrôle doit vérifier l’éradication de la colonisation une dizaine de jours après la fin du traitement puis l’absence d’une rechute tous les mois.

Cystite aiguë gravidique

L’épidémiologie, la clinique et les critères diagnostiques sont les mêmes que pour les épisodes aigus chez la femme non enceinte.
Pour rappel, les seuils de bactériurie significatifs sont de 103 UFC/mL pour E. coli et S. saprophyticus et 104 UFC/mL pour les autres bactéries.
Contrairement aux cystites aiguës avec risque de complication en dehors de la grossesse (tableau 1) où l’on recommande d’attendre l’antibiogramme, on traite les femmes enceintes dès le diagnostic (clinique et BU), pour diminuer le risque d’évolution vers la PNAG.
En dehors de la fosfomycine qui a l’avantage d’être prescrite en dose unique, il n’y a pas d’argument solide pour préférer une molécule à une autre. Nous proposons donc de simplifier la hiérarchisation des recommandations de 4 degrés d’intention à 2 :
– 1re ligne : fosfomycine ;
– 2e (par ordre alphabétique) : céfixime, nitrofurantoïne et pivmecillinam.
Mêmes durée et suivi que pour les colonisations urinaires.
Là encore, il ne nous semble pas justifié d’utiliser la ciprofloxacine.

Pyélonéphrite aiguë gravidique

Le diagnostic clinique et biologique, et les signes de gravité sont identiques à ceux de la femme non enceinte. On dose NFS, CRP et créatininémie.
L’intérêt des hémocultures, comme en dehors de la grossesse, est discutable : elles sont positives dans environ 20 % des PNAG ; de plus, une bactériémie ne modifie pas la prise en charge. Elles sont donc préconisées uniquement devant une forme grave (sepsis sévère, choc septique ou PNAG obstructive).
Une échographie rénale est recommandée en urgence uniquement en cas de doute sur un obstacle : PNA hyperalgique, colique néphrétique. Hors urgence, cet examen est fait dans les quelques jours qui suivent. Un avis obstétrical est nécessaire quel que soit le terme de la grossesse.
Classiquement, on propose une hospitalisation initiale (de 48 heures si PNAG non grave et d’évolution rapidement favorable). Un traitement ambulatoire après évaluation de la mère et du fœtus peut être proposé en l’absence de signe de gravité, de comorbidités et si une surveillance par l’entourage à domicile est possible.
Le traitement probabiliste doit être débuté avant les résultats de l’antibiogramme :
– C3G (céfotaxime, ceftriaxone) par voie IV associée à un aminoside en cas de gravité (si allergie aux C3G : aztréonam) ;
– si antécédent de colonisation ou d’infection urinaires à EBLSE dans les 6 mois précédant ou en cas de choc septique et au moins un facteur de risque d’EBLSE (encadré) : carbapénème + amikacine.
Après antibiogramme, on peut utiliser en relais (par voie orale, hors EBLSE) : amoxicilline, amoxicilline-acide clavulanique, céfixime, ciprofloxacine, cotrimoxazole (à éviter jusqu’à la 10e semaine d’aménorrhée selon le centre de référence des agents tératogènes, CRAT), tenant compte des avantages et inconvénients (tableau 2).
Durée de l’antibiothérapie : 10 jours. Un ECBU de contrôle doit être réalisé une dizaine de jours après la fin du traitement puis mensuellement jusqu’à l’accouchement.
* Ces recommandations seront probablement mises à jour prochainement.
Encadre

Facteurs de risque d’EBLSE

Antécédent de colonisation ou d’infection urinaires à EBLSE

– Prescription de C2G ou de C3G, de pénicilline avec inhibiteur de pénicillinase ou de fluoroquinolone dans les 6 mois précédents

– Voyage en zone d’endémie dans les 6 mois précédents (Asie du sud-est, Moyen orient, Afrique subsaharienne, Mexique, Brésil, Argentine, Europe du Sud…)

– Hospitalisation dans les 3 mois précédents

Vie en long séjour

Références
1. Andriole VT, et al. Epidemiology, natural history, and management of urinary tract infections in pregnancy. Med Clin North Am 1991;75:359-73.
2. Unlu BS, et al. Urinary tract infection in pregnant population, which empirical antimicrobial agent should be specified in each of the three trimesters? Ginekol Pol 2014;85:371-6.
3. Smaill F, et al. Antibiotics for asymptomatic bacteriuria in pregnancy. Cochrane Database Syst Rev 2007;2:CD000490.
4. Guinto VT, et al. Different antibiotic regimens for treating asymptomatic bacteriuria in pregnancy. Cochrane Database Syst Rev 2010;9:CD007855.
5. SPILF. Infections urinaires au cours de la grossesse. Recommandations de bonne pratique. Décembre 2015.*

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essentiel

Les colonisations urinaires gravidiques doivent être dépistées et traitées (risque d’évolution vers la PNAG).

Un ECBU de contrôle est recommandé une dizaine de jours après la fin d’un traitement puis de façon mensuelle jusqu’au terme.

Il faut préférer les antibiotiques ayant le spectre antibiotique le plus étroit et l’impact écologique le plus faible.