FOCUS
Le terme d’infections urinaires mascu- lines (IUM) a récemment remplacé celui, trop réducteur, de prostatite aiguë. En effet, les IUM sont des entités cliniques hétérogènes qui n’impliquent pas systématiquement la prostate. Elles sont classées comme « à risque de complication »,1 car elles résultent le plus souvent d’anomalies anatomiques ou fonctionnelles du tractus urinaire pouvant générer un résidu post-mictionnel.
La plus fréquente est l’hyperplasie bénigne de prostate (HBP).2 La survenue d’une prostatite aiguë résulte alors d’une contamination urétrale ascendante ou d’un reflux intraprostatique.
Les IUM peuvent également survenir dans les suites d’une biopsie prostatique par voie transrectale, d’un cathétérisme urétral ou d’une cystoscopie.3, 4
Les prostatites aiguës peuvent se compliquer d’un abcès dans 2 à 10 % des cas, le plus souvent s’il y a des comorbidités sous-jacentes, en particulier le diabète (40 à 60 % des cas).
Autre principal risque : la récurrence ou la chronicisation de l’infection, qui survient dans 1,5 à 8 % des cas selon les études et dont les facteurs favorisants sont mal connus (diabète, lithiases intra- prostatiques, biofilm bactérien…).4

Données épidémiologiques

La fréquence des IUM augmente avec l’âge, passant de 0,9-2,4 cas pour 1 000 hommes avant 55 ans à 7,7 pour 1 000 chez les plus de 85 ans.
Escherichia coli est le germe majoritairement responsable (73 % des cas), mais de manière moins prédominante que chez la femme.5
Autres germes impliqués : Klebsiella pneumoniae (7 %), Proteus mirabilis (4 %), Enterococcus faecalis (2,5 %) et Pseudomonas aeruginosa (2 %).
L’antibiorésistance des souches d’E. coli isolées des IUM communautaires est croissante (tableau).5 La résistance du colibacille est plus fréquente chez l’homme que chez la femme (11 % vs 6 % pour le céfotaxime, 19 % vs 13 % pour la ciprofloxacine), et augmente également avec l’âge (8,2 % de souches productrices de β-lactamases à spectre élargi [BLSE] chez les 86-95 ans).

Aspects cliniques

La clinique est très polymorphe. Une prostatite aiguë fébrile peut être cliniquement évidente : fièvre, douleurs « prostatiques » spontanées (sus-pubiennes, rectales et/ou périnéales) ou au toucher rectal, et signes fonctionnels urinaires (SFU) irritatifs et/ou obstructifs.
Parfois, les symptômes dominants sont ceux d’une pyélonéphrite aiguë : SFU associés à des douleurs lombaires sans sensibilité prostatique.
Quelle que soit la clinique, l’examen physique doit systématiquement rechercher une complication : mauvaise tolérance du sepsis, rétention aiguë d’urines, décompensation de comorbidités sous-jacentes.
Enfin, il existe des formes pauci- symptomatiques sans fièvre, où les seuls symptômes sont d’ordre irritatif (dysurie, impériosités mictionnelles, urgenturie) et/ou obstructif (mictions incomplètes, faiblesse du jet, retard à la miction).2 Il est alors parfois difficile de les distinguer de ceux liés à une éventuelle HBP sous-jacente. L’interrogatoire doit donc veiller à préciser le caractère nouveau et/ou inhabituel des SFU.

Bilan paraclinique

La bandelette urinaire détectant leucocytes et/ou nitrites a une excellente valeur prédictive positive (89 à 95 %) et conforte le diagnostic d’IUM en cas de clinique évocatrice. En revanche, sa valeur prédictive négative est médiocre (65 à 70 %).4
L’ECBU doit donc être systématique avant toute antibiothérapie afin de confirmer ou d’écarter le diagnostic : le seuil de bactériurie est fixé à 103 UFC/mL quel que soit le germe.
Les hémocultures sont indiquées en cas de fièvre. On ne dose pas le PSA car il n’a aucune valeur diagnostique. En effet, son élévation, inconstante (60 à 70 % des cas), peut persister pendant 1 à 2 mois après traitement, et n’est pas discriminante vis-à-vis d’une autre pathologie prostatique (adénome, cancer).3, 4
À la phase aiguë, l’imagerie est indiquée uniquement si l’on suspecte une rétention aiguë d’urines, une lithiase ou un sepsis sévère : échographie par voie sus-pubienne ou IRM si on redoute un abcès prostatique non vu à l’écho- graphie.
Après la fin du traitement et résolution de l’infection, un bilan complémentaire peut être envisagé après avis spécialisé à la recherche d’un facteur favorisant (mesure du résidu post-mictionnel, échographie par voie endorectale avec évaluation du volume prostatique, bilan urodynamique, cysto-urétroscopie).

Prise en charge

L’antibiothérapie doit être adaptée, bien diffuser dans la prostate et d’une durée optimale afin d’éviter les rechutes sans favoriser l’émergence de résistances ou d’autres complications iatrogènes.4

Quel antibiotique ?

En cas d’IUM fébrile, l’antibiothérapie probabiliste est urgente, après prélèvements microbiologiques. L’hospitalisation s’impose en cas de comorbidités ou d’immunodépression sous-jacente, de signes de gravité ou d’une rétention aiguë d’urines associée. Dans ces situations, les céphalosporines de 3e génération (C3G) par voie parentérale sont le traitement de choix.4 Des signes de gravité motivent une bithérapie associant une β-lactamine par voie parentérale et un aminoside.1
Chez un patient traité en ambulatoire, en absence de prise de fluoroquinolones (FQ) dans les 6 derniers mois, une FQ orale peut être prescrite en probabiliste, en préférant la ciprofloxacine ou la lévofloxacine dans un premier temps.
En relais de l’antibiothérapie initiale, on privilégie les fluoroquinolones (ofloxacine, ciprofloxacine ou lévofloxacine) ou le cotrimoxazole si la souche est sensible.4 En cas de résistance documentée à l’acide nalidixique (antibiogramme) conférant un premier niveau de résistance aux FQ, il est recommandé de ne pas utiliser cette classe du fait d’un risque élevé d’échec et d’acquisition de résistances supplémentaires.
L’antibiothérapie des IUM fébriles à entérobactérie productrice de BLSE est guidée par l’antibiogramme : FQ, cotrimoxazole, céfoxitine ou β-lactamines par voie parentérale (céfoxitine, témocilline, pipéracilline-tazobactam ou carbapénèmes).1
Pour les IUM non fébriles, il est recommandé de différer le traitement en attendant les résultats de l’ECBU. Selon l’antibiogramme, on prescrit la nitrofurantoïne, (Furadantine) le cotrimoxazole ou une FQ.2
Plusieurs travaux ont démontré l’efficacité de la fosfomycine dans les cystites aiguës de la femme et de l’homme avec des durées variables de traitement (prise unique de 3 g de fosfomycine-trométamol si germe sensible, ou 3 prises de 3 g à J1-J3-J5 pour souches BLSE).

Mesures associées

Une rétention aiguë impose un drainage en urgence par sondage vésical ou cathétérisme sus-pubien. En cas d’abcès prostatique, un drainage par voie transrectale ou périnéale est à discuter s’il est volumineux, ou si échec de l’antibio- thérapie.

Combien de temps traiter ?

La durée optimale n’est pas parfaitement codifiée, elle repose essentiellement sur des avis d’experts et des études cliniques non contrôlées. La Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) recommande 14 jours pour les infections non compliquées traitées par une FQ, le cotrimoxazole ou une β-lactamine par voie parentérale (pas de signes de gravité clinique, pas d’uropathie sous-jacente).1 Des durées moindres sont actuellement en cours d’évaluation.
Un allongement à 21 jours doit être discuté en cas d’uropathie sous-jacente non corrigée, de lithiase urinaire, d’immunodépression, ou lorsque l’antibiothérapie fait appel à d’autres molécules que celles sus-citées.
Pour les pyélonéphrites de l’homme : durée identique à celle recommandée chez la femme, soit 7 jours pour FQ ou β-lactamine par voie injectable.
Peu de données existent concernant la durée de traitement dans les IUM non fébriles, et celle de 7 jours est le plus souvent proposée,2 sauf si on utilise la fosfomycine.
En cas d’évolution favorable, un ECBU de contrôle systématique, pendant ou à distance du traitement, n’est pas recommandé.
Le spectre clinique est varié : paucisymptomatique, non fébrile, prostatite aiguë, voire pyélonéphrite.
Difficile chez le sujet âgé d’attribuer des signes urinaires à une bactériurie sans fièvre quand l’HBP peut expliquer la dysurie.
Traitement probabiliste d’une IUM fébrile : C3G en IV ou FQ per os si pas de prise récente, à relayer selon l’antibiogramme.
Références
1. Caron F, Galperine T, Flateau C, et al. Recommandations pour la prise en charge des infections urinaires communautaires de l’adulte. Med Mal Infect 2018;48:327-58.
2. Schaeffer AJ, Nicolle LE. Urinary Tract Infections in Older Men. N Engl J Med 2016;374:2192.
3. Coker TJ, Dierfeldt DM. Acute Bacterial Prostatitis: Diagnosis and Management. Am Fam Physician 2016; 93:114-20.
4. Lipsky BA, Byren I, Hoey CT. Treatment of bacterial prostatitis. Clin Infect Dis 2010;50:1641-52.
5. Réseau ONERBA. Rapport annuel 2017. onerba.org

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés
essentiel

Le spectre clinique est varié : paucisymptomatique, non fébrile, prostatite aiguë, voire pyélonéphrite.

Difficile chez le sujet âgé d’attribuer des signes urinaires à une bactériurie sans fièvre quand l’HBP peut expliquer la dysurie.

Traitement probabiliste d’une IUM fébrile : C3G en IV ou FQ per os si pas de prise récente, à relayer selon l’antibiogramme.