La méthodologie n’est pas la même, plus axée sur une veille scientifique permanente pour les recommandations européennes, plus pragmatiques pour les françaises.
Les infections urinaires sont un motif fréquent de consultation. Leur prise en charge varie parallèlement à l’évolution des résistances bactériennes et aux résultats des nouvelles études.
Ce sont les recommandations qui guident la prescription pour une prise en charge optimale des patients.
Les recommandations françaises1 résultent d’une collaboration entre la Société de pathologie infectieuse de langue française (SPILF) et l’Association française d’urologie (AFU), travail débuté en 2014 et révisé en 2018, et représentant donc les recommandations francophones. Pour sa part, l’European Association of Urology (EAU) publie des recommandations mises à jour régulièrement.2 Toutefois, il y a des différences entre ces deux recommandations, ce qui rend parfois difficile d’adopter la meilleure attitude en pratique. Nous conduisons un travail pour expliquer ces différences, lequel fait l’objet d’un article paru récemment.3 Nous présentons ici un commentaire général sur ce qui distingue des différences entre les deux recommandations.

Des méthodes de réalisation différentes

Les recommandations françaises et celles de l’EAU sont mises à jour pour un tiers tous les ans afin d’obtenir un renouvellement complet tous les trois ans. Un groupe de « juniors » analyse l’ensemble de la littérature présélectionnée par des méthodologistes en fonction des mots-clés, notifie les biais et sélectionne les meilleures réponses aux questions posées selon la méthode GRADE.4 Ensuite, c’est le groupe de travail qui rédige et propose au bureau central (Guidelines Office) les recommandations finales.
La méthode d’élaboration des recommandations françaises est moins rigoureuse mais plus axée sur les aspects pratiques, même s’il n’existe pas de preuve dans la littérature scientifique. Le panel analyse la littérature mais la sélection des articles est moins méthodique. Cela conduit parfois à des conclusions discutables mais très souvent à une version très pratique de la recommandation. La Haute Autorité de santé (HAS) a tenté d’accompagner les sociétés savantes sur la rédaction des recommandations, mais leur effectif ou leurs priorités n’ont pas permis un accompagnement satisfaisant. Cela explique en partie une méthodologie des recommandations françaises moins rigoureuse que celles de l’EAU. Néanmoins, au final, il existe peu de différences.

Facteurs de risque de complications de l’infection urinaire

Les publications concernant ces facteurs de risque, soit l’âge, l’insuffisance rénale et le diabète, sont parfois contradictoires. De fait, l’EAU n’a retenu que le diabète comme facteur de risque de complications. Il n’existe en effet aucune preuve formelle concernant ces trois éléments. Le choix des critères de Fried (repérage de la fragilité) dans les recommandations françaises repose sur la nécessité de distinguer deux malades de même âge. L’âge au-dessus de 75 ans semble être un facteur de risque clair, mais entre 65 et 75 ans cela dépend des comorbidités.

Infections urinaires chez l’homme

Concernant les infections urinaires masculines, la version des recommandations francophones n’aborde pas l’épididymite et la prostatite chronique bactérienne. L’urétrite n’y figure pas, car des recommandations précédentes existent5, avec une mise à jour de la HAS parue en 2015.6

Pyélonéphrites

Les points de divergence concernant les pyélonéphrites aiguës portent sur l’imagerie et la durée du traitement.
L’EAU recommande2 systématiquement la réalisation d’une imagerie à la phase aiguë d’une pyélonéphrite alors que les recommandations françaises1 ne l’imposent qu’en cas de forte suspicion de rétention purulente du haut appareil. Néanmoins, il est souvent difficile d’être certain de l’absence de dilatation des cavités sans imagerie. Il est probable que cette différence soit expliquée par le fait que la majorité des pyélonéphrites vues par l’urologue sont plus graves que celles observées en ville, qui peuvent être traitées en ambulatoire et ne nécessitent pas systématiquement une imagerie. Les recommandations de l’EAU sont destinées aux urologues alors que les recommandations SPILF-AFU sont destinées à tous les professionnels en charge des ­infections urinaires, dont les médecins traitants.
L’autre différence concerne la durée de traitement, qui est pour l’EAU de 5 jours avec la lévofloxacine. Les études de qualité sur les durées courtes de traitement concernent ce seul médicament. L’augmentation des résistances et l’utilisation potentielle de la lévofloxacine dans les pneumopathies à pneumocoque résistant tendent à faire épargner cette molécule. La réelle différence se situe sur le choix des molécules, qui reste plus ouvert pour l’EAU, eu égard à la nécessité de s’adapter aux médicaments disponibles dans les différents pays de l’Union européenne et aux résistances variables au sein du continent. Il faut retenir que l’ensemble des curseurs va vers un raccourcissement de la durée de traitement et que, lorsque 5 à 7 jours sont préconisés, il faut préférer 5 jours. Concernant les pyélonéphrites aiguës graves, la diminution des durées de traitement est encore la règle, avec une durée minimale de 7 jours pour l’EAU et 10 jours pour les recommandations françaises. Alors que les recommandations françaises sont plutôt en leur défaveur, l’EAU rapporte l’intérêt potentiel de l’utilisation du dosage des lactates et de la procalcitonine dans le suivi de ces formes graves.

Cystite

Pour la cystite aiguë, les choix de traitement proposés par l’EAU sont plus larges, compte tenu de la nécessité pour chaque pays d’avoir des sensibilités bactériennes supérieures à 80 % pour chacune des molécules, du fait de la variabilité des résistances d’Escherichia coli.
Concernant les cystites récidivantes, il n’existe pas de chapitre bien individualisé dans les recommandations européennes qui restent très vagues quant à l’intérêt des mesures générales d’hygiène. Cela est bien sûr lié à une faiblesse de la littérature scientifique sur le sujet. Les ­recommandations françaises insistent sur la nécessité de réserver les antibiotiques en traitement de fond à des récidives importantes d’épisodes de cystite, classiquement plus d’une par mois. L’utilisation de la nitrofurantoïne, du fait de la survenue de fibrose hépatique et pulmonaire, est plus limitée dans les recommandations françaises que dans les recommandations européennes. Pour l’utilisation de la fosfomycine trométamol, l’EAU a strictement respecté la littérature, contrairement aux recommandations françaises. En effet, il n’existe pas de preuve formelle de l’intérêt d’utiliser plusieurs sachets de cette molécule afin de diminuer le nombre d’épisodes de cystite récidivante.
Concernant les infections urinaires masculines, le terme de cystite est cité dans les recommandations européennes, laissant entrevoir son utilisation chez l’homme. Les recommandations françaises ont été plus évasives sur le sujet, les experts ayant été formés avec le dogme de la non-existence probable de la cystite chez l’homme. L’EAU préconise l’utilisation du cotrimoxazole, qui n’a pas été choisi dans les recommandations françaises compte tenu du taux de résistance bactérienne élevé pour cet antibiotique dans notre pays. La durée de traitement des infections urinaires masculines est nettement inférieure pour l’EAU que pour les recommandations SPILF-AFU, mais nous attendons le résultat d’une étude française (PROSTATSHORT) pour aller dans la même direction.
Dans le cas de la rétention aiguë d’urine fébrile chez l’homme, les recommandations françaises précisent que le drainage doit être réalisé par cathétérisme urétral ou sus-pubien alors que pour l’EAU la préférence va au cathéter sus-pubien, qui diminuerait le risque de passage à la chronicité (non démontré). On peut quand même ­avancer que la sonde vésicale est souvent inconfortable et ne permet pas la mesure du résidu post-mictionnel.

Cas de la grossesse

Pour les infections urinaires de la femme enceinte, les ­sociétés savantes s’accordent à recommander le dépistage et le traitement des bactériuries asymptomatiques. Même si le risque est faible, le traitement de la bactériurie chez la femme enceinte vise à réduire le risque de menace d’accouchement prématuré. Le plan de traitement antibiotique reste assez vague dans les recommandations européennes et plus précis dans les recommandations françaises en privilégiant les molécules au spectre le plus étroit et avec le moindre impact sur le microbiote intestinal.

D’abord les recommandations nationales

Les différences existent entre les recommandations françaises et européennes. Ces différences sont le fait d’une littérature scientifique parfois contradictoire et d’une interprétation dépendant des taux de résistance bactérienne intrinsèque au pays. Néanmoins, les experts s’accordent sur le fait de devoir utiliser les recommandations du pays dans lequel nous exerçons. En cas de litige, l’utilisation d’une autre recommandation devra être fortement argumentée, mais cela reste possible. 
Références
1. Caron F, Galperine T, Flateau C, et al. Practice guidelines for the management of adult community-acquired urinary tract infections. Med Mal Infect 2018;48:327-58.
2. EAU. Guidelines on urological infections 2020. https://uroweb.org ou https://bit.ly/3kjCpb1
3. Bruyère F, Goux L, Bey E, et al ; Comité d’infectiologie de l’Association française d’urologie (CIAFU). Infections urinaires de l’adulte : comparaison des recommandations françaises et européennes. Prog Urol 2020;30:472-81.
4. Granholm A, Alhazzani W, Møller MH. Use of the GRADE approach in systematic reviews and guidelines. Br J Anaesth 2019;123:554-9.
5. Haute Autorité de santé. Traitement probabiliste des urétrites et cervicites non compliquées. HAS, avril 2015. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/35BLZBZ
6. Haute Autorité de santé. Urétrites et cervicites non compliquées : stratégie diagnostique et thérapeutique de prise en charge. Rapport d’élaboration. HAS, octobre 2015. www.has-sante.fr ou https://bit.ly/2GWeUXa
7. European Association of Urology. Urological infections. https://uroweb.org ou https://bit.ly/2ZH8u4V

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