Alors que l’on croyait à peu près tout savoir sur l’insuffisance cardiaque (IC), voilà qu’elle redevient un sujet phare de la cardiologie. Les raisons ? Des nouveautés dans la démarche diagnostique et étiologique, avec l’identification de nouvelles formes d’IC, et l’arrivée toute récente de nouvelles thérapeutiques, dans l’insuffisance à fraction d’éjection réduite mais aussi dans celle à fraction d’éjection préservée, forme qui est de plus en plus fréquente. Que doit savoir le MG ? Le point sur les dernières recos avec le Pr Jean-Sébastien Hulot, HEGP, Paris.

Insuffisance cardiaque : quelles nouveautés ?

D’abord, il faut constater une évolution épidémiologique : avec le vieillissement de la population et l’augmentation de la prévalence des comorbidités (HTA, diabète, obésité), le phénotype des patients se modifie : si l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection (FEVG) réduite représentait l’essentiel des formes dans le passé, l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée représente environ 50 % des cas aujourd’hui, et sa fréquence devrait encore augmenter. Compte tenu du fait que la grande majorité des traitements actuels s’adressent à l’insuffisance cardiaque à FEVG altérée*, des efforts sont faits maintenant pour mieux comprendre l’IC à FEVG préservée et trouver des options pharmacologiques.

Quelles nouveautés diagnostiques ?

Devant des signes d’alerte (essoufflement inhabituel, prise de poids rapide – de 2-3 kg en une semaine – œdèmes des membres inférieurs, fatigue excessive), la clé c’est le dosage du BNP (B-type natriuretic peptide), dont la place est renforcée dans les dernières recos : s’il est normal, le diagnostic peut être exclu ; un taux élevé ne suffit pas à poser le diagnostic, mais impose la réalisation d’une échographie transthoracique pour évaluer la fraction d’éjection et rechercher la cause (HTA, coronaropathie, valvulopathie, cardiomyopathie, trouble du rythme, iatrogène, infectieuse...). Cette recherche étiologique est essentielle. On passe souvent à côté des amyloses cardiaques, qui pourraient expliquer 5 à 10 % des insuffisances cardiaques. On peut retrouver dans ce cas des signes associés neurologiques, un syndrome du canal carpien, une grande fatigue, une élévation du BNP. Son diagnostic est important car aujourd’hui un traitement spécifique existe (v. encadré).

Quoi de neuf dans les traitements ?

Aujourd’hui, dans l’insuffisance à fraction d’éjection altérée, nous disposons d’un large éventail thérapeutique, avec 5 classes médicamenteuses de première ligne : les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone (SRAA), les bêtabloquants, les antagonistes de l’aldostérone, les inhibiteurs des récepteurs du SGLT2 (gliflozines), plus, bien sûr, les diurétiques pour traiter la congestion. Ensuite, la stratégie est personnalisée en fonction de la présence de comorbidités ou de la cause de la cardiopathie. Deux nouveautés dans les dernières recos : chez les patients naïfs de tout traitement, on peut prescrire de nouveau l’association sacubitril-valsartan pour bloquer pleinement le SRAA ; les gliflozines sont mises en route d’emblée, en première ligne. Les généralistes ne doivent donc pas être surpris de la prescription d’une gliflozine chez un patient récemment diagnostiqué pour une IC, même en l’absence de diabète.

Et dans l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée ?

Jusqu’à présent, aucun traitement n’avait montré un intérêt dans cette forme : pas de bénéfice des bloqueurs du SRAA sur la morbimortalité, une petite réduction des hospitalisations pour IC en réponse aux antialdostérones, pas de bénéfice non plus des bêtabloquants, et pas de bénéfice significatif de l’association valsartan-sacubitril… Il ne restait donc que les diurétiques pour réduire les signes congestifs. La grande révolution, c’est qu’on dispose enfin d’un traitement spécifique ! Deux gliflozines ont montré leur efficacité dans deux études cliniques très récentes : l’empagliflozine dans étude EMPEROR-Preserved, et la dapagliflozine dans DELIVER. Cette classe thérapeutique devient donc un pilier de la prise en charge de toute insuffisance cardiaque.

Quels autres messages donner aux généralistes ?

Les dernières recommandations soulignent également l’importance de prendre en compte et traiter les comorbidités cardiaques et extracardiaques, puisqu’elles sont associées à un risque accru d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque et de décès d’origine cardiovasculaire. La carence martiale, l’une des plus fréquentes comorbidités extracardiaques, est associée de manière indépendante à un mauvais pronostic (capacité d’effort diminuée, hospitalisations récurrentes pour IC, mortalité CV et toutes causes confondues élevée). Indépendamment de la présence d’une anémie, il faut la rechercher systématiquement par la mesure de la ferritinémie et du coefficient de saturation (CST). Attention : une carence martiale chez l’insuffisant cardiaque est définie par une ferritine sérique < 100 ng/mL, ou une ferritine sérique de 100-299 ng/mL avec un CST < 20 %. Ces valeurs justifient la supplémentation par voie intraveineuse de fer carboxymaltose, qui améliore le pronostic et la fonction. Cette recherche doit donc faire partie du bilan biologique initial, comme le BNP.

Encadre

Amyloses cardiaques : de nouveaux traitements

Il existe trois types d’amylose :

– l’amylose AL : provenant d’une prolifération plasmocytaire anormale ;

– l’amylose à transthyrétine (TTR), qui comprend deux formes :

  • une forme dite sauvage ou « sénile » car souvent vue chez les personnes plus âgées ;
  • une forme héréditaire car d’origine génétique (transmission dominante) et donc avec un contexte familial ;

– l’amylose AA, survenant dans le cadre de maladies inflammatoires chroniques.

Les amyloses AL et TTR peuvent atteindre le cœur et s’exprimer par une insuffisance cardiaque avec ou sans altération de la FEVG. Le mécanisme correspond à des dépôts amyloïdes au niveau de la matrice extracellulaire du muscle cardiaque, ce qui empêche son fonctionnement normal.

Dans l’amylose TTR, un stabilisateur de la transthyrétine, arrivé en 2018, réduit les dépôts dans les organes (dont le cœur), améliorant significativement le pronostic et réduisant les hospitalisations ; cette molécule est actuellement en recommandation temporaire d’utilisation (RTU) dans le traitement de l’amylose cardiaque à TTR de forme sénile ou héréditaire. Deux autres traitements avec des mécanismes d’action différents pourraient être disponibles à terme.

L’amylose AL nécessite une chimiothérapie antiplasmocytaire ou lymphoplasmocytaire.

Les bornes de valeurs de fraction d’éjection ventriculaire gauche ont été précisées dans les dernières recos européennes : ≤ 40 % pour l’IC à FEVG réduite, le concept d’IC « mid-range » devient IC à FEVG légèrement altérée, avec des valeurs de FEVG de 41 % à 49 %, et l’IC à FEVG préservée est définie pour des valeurs ≥ 50 %.