L’insuffisance rénale chronique (IRC) résulte d’une maladie rénale entraînant une détérioration irréversible du débit de filtration glomérulaire (DFG). Sa prévalence est estimée entre 7 et 10 % en France dans la population adulte.1 Elle peut évoluer jusqu’à l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT) nécessitant la mise en place d’un traitement de suppléance rénale. Fin 2019, environ 90 000 patients bénéficiaient d’un traitement de suppléance rénale par dialyse ou greffe rénale.2
Fréquente et potentiellement grave, cette maladie est un problème majeur de santé publique. Par ailleurs, au-delà de l’enjeu économique important qu’elle représente, le coût humain de l’IRC – en termes de morbi-mortalité, notamment cardiovasculaire, et de qualité de vie – est élevé.
Dans un cas sur deux, l’IRC est liée à une hypertension artérielle ou à un diabète. Des mesures préventives, l’identification et la prise en charge précoce de la maladie rénale chronique (MRC) permettent de ralentir sa progression.
Du fait des complications et des multiples comorbidités souvent associées, la place du médecin généraliste dans la prise en charge de ces patients est centrale, tout comme l’articulation ville-hôpital.
Insuffisance rénale chronique : qu’est-ce que c’est ?
Elle est définie par la diminution progressive et irréversible du DFG < 60 mL/min/1,73 m².
La maladie rénale chronique (MRC) est une entité regroupant l’IRC et toute persistance pendant plus de trois mois des marqueurs de l’atteinte rénale (protéinurie, albuminurie, anomalie du sédiment urinaire [hématurie, leucocyturie], anomalie morphologique ou histologique rénale). On en décrit cinq stades en fonction du DFG estimé à partir de l’équation Chronic Kidney Disease Epidemiology Collaboration (CKD-EPI) [
Protéinurie et albuminurie sont dosées à partir d’un échantillon d’urine collecté de préférence le matin. Le dosage de la créatinine urinaire doit y être associé afin d’évaluer le ratio albuminurie/créatininurie (A/C) ou protéinurie/créatininurie (P/C) [
L’hématurie correspond à un taux de globules rouges supérieur à 10/mm3 ou 10 000/mL (après avoir éliminé une cause urologique).
La leucocyturie se définit quant à elle par un taux de globules blancs supérieur à 10/mm3 ou 10 000/mL (en l’absence d’infection).
Qui dépister et par quels examens ?
Le dépistage ciblé est recommandé chez les populations à risque (
Il est effectué à l’aide du dosage de la créatinine plasmatique avec estimation du DFG selon la formule CKD-EPI et du rapport albuminurie/créatininurie. Une élévation de la créatininémie témoigne d’une perte du capital néphronique conséquente.
En cas d’anomalie, il convient de compléter le bilan étiologique par les examens suivants :
– examen cytobactériologique des urines (ECBU), à la recherche d’une hématurie (glomérulonéphrite) ou d’une leucocyturie (néphropathie tubulo-interstitielle) ;
– ionogramme urinaire, à la recherche d’une insuffisance rénale aiguë fonctionnelle (contexte évocateur en général) ;
– échographie rénale, à la recherche d’un obstacle ou d’une anomalie de morphologie rénale (asymétrie, atrophie rénale, reins polykystiques, bosselés…).
Quand orienter vers le néphrologue ?
Le recours au néphrologue est recommandé pour le diagnostic causal de la maladie rénale lors de sa découverte, puis pour le suivi d’une MRC afin de repérer et traiter les complications et ralentir la progression de la maladie. À un stade plus tardif, le néphrologue oriente le choix et prépare aux traitements de suppléance.
En urgence
L’orientation vers le néphrologue est une urgence en cas d’insuffisance rénale aiguë, de glomérulonéphrite à progression rapide (dégradation rapide de la fonction rénale avec protéinurie, hématurie et signes extrarénaux) ou en cas de syndrome néphrotique.
Autres situations
Le patient doit être adressé au néphrologue en cas de : diminution rapide du DFG ; DFG < 30 mL/min/1,73 m² ; ratio A/C > 300 mg/g ou P/C > 500 mg/g ; hématurie (en l’absence de cause urologique sous-jacente) ; hypertension artérielle réfractaire (plus de 3 antihypertenseurs) ; surcharge hydrosodée ; hyperkaliémie ; anémie nécessitant un agent de l’érythropoïèse ; troubles phosphocalciques complexes ; acidose métabolique ; syndrome urémique ; lithiases récidivantes ; maladie rénale héréditaire.
De manière générale, quel que soit le DFG ou le taux de protéinurie, un avis néphrologique est nécessaire en cas de doute sur la nature de la maladie rénale ou de nécessité d’examens spécialisés.
Prendre en compte les facteurs de progression et de protection
Facteurs de progression
Il est important d’évaluer le risque d’évolution de la MRC, notamment vers un besoin de suppléance. Pour cela, on considère la cinétique de baisse du DFG par estimation du déclin annuel à l’aide de la formule suivante :
DFG année n - DFG année n+1
Un déclin annuel « physiologique » peut être observé après 40 ans, avec une cinétique de baisse du DFG inférieure à 2 mL/min/1,73 m²/an. Il est considéré comme « modéré » lorsque la cinétique de la baisse du DFG est supérieure ou égale à 2, mais inférieure à 5 mL/min/1,73 m²/an. Enfin, un déclin annuel « rapide » est apprécié lorsque la cinétique de la baisse du DFG est supérieure ou égale à 5 mL/min/1,73 m²/an en comparaison avec l’année précédente.
De nombreux facteurs sont susceptibles de faire progresser la MRC de façon défavorable : obésité, tabagisme actif, exposition à des néphrotoxiques, acidose métabolique, surcharge hydrosodée, hypertension artérielle, diabète non contrôlé, albuminurie supérieure à 500 mg/g, ou encore la cause de la MRC (néphropathie diabétique non contrôlée, polykystose rénale, etc.).
Mesures de néphroprotection
En dehors du traitement causal de la maladie rénale, les facteurs de progression sont modifiables, et des mesures de néphroprotection doivent être mises en place afin de ralentir la progression de la MRC.
Contrôle de la pression artérielle et de la protéinurie
Les traitements inhibiteurs du système rénine-angiotensine (SRA) sont recommandés en première intention (inhibiteur de l’enzyme de conversion ou sartans en cas d’intolérance), en association à une restriction sodée (6 g de sel/j). Certaines règles de prescription des bloqueurs du SRA doivent être respectées (
– pression artérielle cible :
• PA < 130/80 mmHg si albuminurie ≥ 30 mg/g de créatininurie ;
• PA < 140/90 mmHg si albuminurie < 30 mg/g de créatininurie ;
• PA systolique > 110 mmHg dans tous les cas.
Certaines études récentes suggèrent des cibles tensionnelles plus strictes, avec un objectif de PA systolique inférieure à 120 mmHg quelle que soit l’albuminurie. Cependant, le niveau de preuve sur le ralentissement de la progression de la MRC est faible et le risque iatrogène élevé (hypokaliémie, dysnatrémie, insuffisance rénale aiguë, hypotension orthostatique…) ;
– protéinurie cible < 0,5 g/g, à dose thérapeutique maximale tolérée.
Si les cibles thérapeutiques ne sont pas atteintes, et après vérification de la bonne observance du traitement et de la restriction sodée, un diurétique thiazidique (si DFG > 30 mL/min/1,73 m²) ou de l’anse (si DFG ≤ 30 mL/min/1,73 m²) peut être ajouté. Si la cible de PA n’est pas atteinte avec ces mesures, il faut associer une autre classe thérapeutique (bêtabloquant ou inhibiteur calcique) et demander un avis spécialisé.
Prévention des épisodes d’insuffisance rénale aiguë et de la néphrotoxicité
Certains facteurs d’aggravation aiguë doivent être anticipés et prévenus : risque de déshydratation (diarrhée, fièvre, canicule) chez les patients sous inhibiteurs du SRA ou diurétiques (arrêt des premiers lors d’épisodes de gastroentérite), administration de néphrotoxiques (anti-inflammatoires non stéroïdiens [AINS], contre-indiqués], produits de contraste iodés [peser l’indication en fonction du DFG, hydratation] ou certains médicaments dont la posologie est à adapter en fonction du DFG).
Restriction protidique modérée
Une restriction protéique modérée (0,8 à 1 g/kg/j) permet de ralentir la progression de l’IRC chez les patients dont le DFG est inférieur à 60 mL/min/1,73 m2.
Contrôle du diabète
Les cibles d’hémoglobine glyquée (HbA1c) sont adaptées au profil du patient.6 Chez les patients ayant un diabète récent non compliqué, elle doit être inférieure à 6,5 %. Chez les patients atteints de MRC, le taux cible dépend du stade de gravité de la maladie : 7 % en cas de MRC au stade 3 et 8 % en cas de MRC au stade 4 ou 5 ou en cas de complications macrovasculaires documentées.
Les antidiabétiques oraux doivent être adaptés au DFG.
Contrôle impératif des facteurs de risque cardiovasculaires
La dyslipidémie doit être contrôlée (taux de LDL-cholestérol à surveiller), le sevrage tabagique maintenu, la perte de poids encouragée lorsque l’indice de masse corporelle (IMC) est supérieur à 25 kg/m2.
Correction de l’acidose métabolique
Le taux de bicarbonate sérique doit être supérieur à 22 mmol/L. Dans cet objectif, il est possible de favoriser la consommation d’eaux riches en bicarbonate (Salvetat, eau de Vichy) ou de supplémenter le patient par gélules de bicarbonate de sodium.
Évaluation et prise en charge des complications liées à l’iRC
À partir du stade 3, il devient nécessaire de dépister et de prendre en charge les différentes complications de l’IRC (
En dehors des complications hématologiques et métaboliques, les patients ayant une IRC ont un risque cardiovasculaire plus élevé que la population générale. Il est essentiel de dépister et prendre en charge les facteurs de risque cardiovasculaires afin de prévenir la survenue d’une cardiopathie ischémique, d’un accident vasculaire cérébral, d’une artériopathie oblitérante, etc.
Mesures associées
Protection vaccinale
Il est recommandé de vacciner les patients atteint de MRC, quel que soit le stade de la maladie, contre la grippe saisonnière, les infections à pneumocoque et les infections par le SARS-CoV-2. La vaccination contre l’hépatite B est également indiquée après vérification du statut sérologique (sujets séronégatifs ou vaccinés mais non protégés [anticorps anti-HBs < 10 UI/L]).
Préservation du capital veineux
Il est important de préserver le capital vasculaire des patients, en vue d’une éventuelle création de fistule artérioveineuse : dès le stade 3B, favoriser la ponction veineuse sur le dos de la main et bannir les ponctions veineuses sous-clavières.
Conseils nutritionnels
La prise en charge nutritionnelle fait partie intégrante de l’accompagnement des patients ayant une IRC. Restriction protidique modérée (environ 0,8 g/kg/j), apport calorique suffisant (30 à 35 kcal/kg/j), hydratation suffisante (1,5 L/j environ) et régime contrôlé en sel (≤ 6 g NaCl/j) sont les principales mesures à mettre en œuvre. Selon le terrain et la survenue de complications, le recours à un diététicien spécialisé en néphrologie peut être nécessaire ; il doit être systématique aux stades 4 et 5 de la maladie (pris en charge par la Sécurité sociale à partir du stade 4).
En cas d’IRC évolutive ou de polypathologie, une prise en charge pluridisciplinaire est recommandée, incluant une consultation de diététique, d’éducation thérapeutique et d’information aux différentes techniques de suppléance. Un soutien psychologique et une aide sociale doivent aussi être proposés.
Associations de patients
– Association pour l’information et la recherche sur les maladies rénales génétiques : https://www.airg-france.fr
– Renaloo : https://renaloo.com
– France Rein : https://www.francerein.org
– Association polykystose France : https://www.polykystose.org
– Association des maladies d’un syndrome néphrotique : https://amsn.ambitionrecherche.fr
– Réseau de néphrologie d’Île-de-France (Rénif) : www.renif.fr
Inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 : une avancée majeure pour la néphroprotection ?
Les inhibiteurs du cotransporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2) sont une nouvelle classe d’antidiabétiques oraux qui induisent une glycosurie en inhibant la réabsorption du glucose et du sodium au niveau du tube contourné proximal.
Ils ont une action hypoglycémiante, réduisent la pression artérielle et ont un effet néphroprotecteur et cardioprotecteur (réduction du risque d’insuffisance rénale chronique terminale d’environ 40 % et du risque d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque d’environ 30 %).7 Cet effet néphroprotecteur s’ajoute à ceux des bloqueurs du SRA chez les patients ayant une MRC avec un DFG compris entre 75 et 25 mL/min/1,73 m2, qu’ils soient diabétiques de type 2 ou non diabétiques et ayant une albuminurie comprise entre 200 et 5 000 mg/g.
Les iSGLT2 réduisent également l’uricémie et favorisent la perte de poids.
Leur effet néphroprotecteur au long cours est lié à une vasoconstriction préglomérulaire, responsable d’une baisse initiale du DFG lors de l’introduction du médicament.
Ils sont bien tolérés, avec cependant quelques cas de candidose génitale, d’infection urinaire basse et d’acidocétose euglycémique rapportés dans les études. Plus rares mais plus graves, des cas de gangrène de Fournier ont été décrits.
Les iSGLT2 prennent une place importante dans l’arsenal thérapeutique des patients avec une MRC, aux côtés des inhibiteurs du SRA, notamment pour leur balance bénéfice/risque très favorable. Les représentants de cette classe en France sont la dapagliflozine (seul ou en association avec la metformine), l’empagliflozine et la canagliflozine. Seule la dapagliflozine a aujourd’hui une indication dans la MRC (indépendamment du diabète).
Ce traitement est indiqué dans le diabète de type 2 insuffisamment contrôlé, dans l’insuffisance cardiaque chronique symptomatique à fraction d’éjection réduite et dispose d’une autorisation de mise sur le marché dans la maladie rénale chronique de l’adulte depuis le 5 août 2021.
Initialement destinés à la prescription hospitalière, les iSGTL2 peuvent désormais être prescrits par tout médecin.
1. Bongard V, Dallongeville J, Arveiler D, et al. Estimation et caractérisation de l’insuffisance rénale chronique en France. Ann Cardiol Angeiol 2012;61(4):239-44.
2. Agence de la biomédecine. Registre français de traitements de suppléance de l’insuffisance rénale chronique : rapport du Réseau épidémiologie et information en néphrologie (REIN). Rapport 2019.
3. Haute Autorité de santé. Guide du parcours de soins - Maladie rénale chronique de l’adulte. 2021.
4. Kidney Disease Improving Global Outcomes. KDIGO 2012 clinical practice guideline for the evaluation and management of chronic kidney disease. Kidney Int Suppl 2013;3(1):136-50.
5. Cheung AK, Chang TI, Cushman WC, et al. Executive summary of the KDIGO 2021 Clinical Practice Guideline for the Management of Blood Pressure in Chronic Kidney Disease. Kidney Int 2021;99(3):559-69.
6. Haute Autorité de santé. Recommandation de bonne pratique. Stratégie médicamenteuse du contrôle glycémique du diabète de type 2. 2013.
7. Halimi JM. Les inhibiteurs du SGLT2 : une nouvelle ère pour nos patients. Nephrol Ther 2021;17(3):143-8.