La carence en fer est très fréquente chez les patients ayant une insuffisance cardiaque, et ses conséquences délétères sont connues. D’après une étude française récente, la carence martiale ne se limite pas aux patients avec une IC décompensée ou une FEVG réduite : elle est même plus fréquente en cas de FEVG préservée – avec des répercussions sur le dépistage et la prise en charge.
Carence martiale : comorbidité fréquente
La carence martiale est l’une des principales comorbidités non cardiovasculaires en cas d’insuffisance cardiaque (IC) : elle concerne environ 40 % des patients ayant une IC chronique et plus de 60 % lorsque celle-ci est aiguë. Chez le patient ayant une IC, les valeurs seuils retenues pour le diagnostic de carence martiale sont une ferritinémie < 100 µg/L (carence absolue) ou une ferritinémie comprise entre 100 et 299 µg/L associée à un coefficient de saturation de la transferrine (CST) < 20 % (carence fonctionnelle).
Cliniquement, la carence martiale est associée à la sévérité de l’IC (score NYHA), à l’altération de la performance physique, de la qualité de vie, et à un pronostic plus défavorable indépendamment de la présence d’une anémie.
Les résultats de l’étude prospective CARENFER, qui viennent d’être présentés par la Société française de cardiologie (SFC), fournissent des données françaises sur la prévalence de la carence martiale en cas d’IC. Les chercheurs ont recruté 1 733 patients d’âge médian 78 ans, avec 62 % d’hommes ; 53 % des participants avaient une IC décompensée ; 40 % une fraction d’éjection ventriculaire gauche (FEVG) réduite (inférieure à 40 %), et 32 % une FEVG préservée (³ 50 %) – alors que la plupart des études sur ce sujet concernent jusqu’à présent majoritairement les IC chroniques ou avec FEVG réduite.
Les résultats ont montré que 50 % des insuffisants cardiaques ont une carence en fer, indépendamment de la FEVG. Cette carence est plus fréquente en cas d’IC décompensée (58 % vs 39 %) et dans l’IC à FEVG préservée ou modérément altérée : respectivement 58 % et 47 % versus 44 % pour l’IC à FEVG réduite (v. graphique ci-dessous).
En pratique : dépister et supplémenter
Dépister périodiquement la carence martiale
Les nouvelles recommandations – européennes (2021) et américaines (2022) – soulignent l’importance de dépister périodiquement l’anémie et la carence martiale chez tous les patients insuffisants cardiaques, par une numération globulaire, une ferritinémie et un CST.
À noter : toute carence martiale absolue associée à une anémie justifie d’évoquer la présence d’un saignement occulte sous-jacent (adresser le patient alors vers une consultation spécialisée d’hépato-gastroentérologie).
Quand et comment traiter ?
Le bénéfice d’une supplémentation martiale a été montré dans plusieurs études : amélioration de la symptomatologie et de la capacité d’efforts des patients et réduction du risque d’hospitalisation pour décompensation, dans les formes à FEVG < 50 %.
Les recommandations européennes précisent ainsi qu’une supplémentation doit être envisagée, précocement et quel que soit le niveau d’hémoglobine, chez les patients symptomatiques récemment hospitalisés pour une IC avec une FEVG < 50 %, afin de réduire le risque de réhospitalisation. Les recommandations américaines, très similaires, indiquent la supplémentation chez les patients avec un IC à FEVG réduite et ayant une carence martiale avec ou sans anémie.
Pour les patients ayant une FEVG préservée – chez qui la carence martiale serait plus fréquente, d’après les résultats de l’étude CARENFER –, la SFC précise que les études à venir devraient confirmer aussi le bénéfice de cette supplémentation.
Le fer carboxymaltose par voie intraveineuse est la seule supplémentation martiale recommandée à ce jour dans le contexte de l’IC à FEVG altérée (recos européennes 2021 ; avis HAS 2019), la voie orale n’ayant pas montré d’efficacité. Elle ne peut être administrée qu’à l’hôpital, mais peut s’intégrer dans circuit d’hospitalisation de jour (HDJ) ou hospitalisation à domicile (HAD).
Le médecin traitant peut donc adresser en HDJ, tout en dépistant régulièrement la carence martiale. Il peut également assurer le suivi après la supplémentation : répéter le bilan martial (ferritine et CST) à 6 mois, puis suivi biologique annuel (le même schéma de supplémentation est à envisager en cas de diminution ultérieure du stock martial).
Trochu JN. Insuffisance cardiaque et carence martiale – L’étude prospective française CARENFER. SFC, 7 juin 2022.
SFC. Dossier spécial – Correction de la carence en fer de l’insuffisant cardiaque. 9 juin 2022.