Si l’utilisation des opioïdes en médecine générale se justifie dans de nombreuses situations douloureuses, la prescription de cette classe de médicaments se heurte toutefois, et depuis longtemps, à une culpabilité, des réticences et à une complexité particulière.
Il faut préciser d’emblée que toute prescription d’opioïdes doit s’associer, de façon anticipée, à la possibilité de recourir à l’utilisation d’interdoses de secours, en cas de pic douloureux, toujours possible, et à des doses à visée de prémédication, pour prévenir une douleur induite par un soin.1

Principes généraux

Indications

Les deux grandes indications des interdoses d’opioïdes en médecine générale sont :2
les pics douloureux nociceptifs (tout au long de la vie), lorsque leur intensité, correctement évaluée, justifie des antalgiques majeurs ;
les détresses respiratoires en phase palliative, pour soulager la douleur et ralentir la tachypnée.

Traçabilité

La traçabilité de la prescription d’opioïdes dans le dossier du patient (que ce soit à l’hôpital, au cabinet du généraliste, en Ehpad…) est essentielle. Dans l’intérêt du patient et d’une meilleure cohésion de l’équipe médico-soignante, le dossier constitué doit contenir toutes les informations relatives à cette prescription et les coordonnées de chacun des intervenants.3 Un outil a été conçu par la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) pour faciliter les liens entre ces derniers et les indications thérapeutiques en cas d’urgence prévisible en phase palliative et/ou terminale.4

Principal effet indésirable

Les opioïdes sont les médicaments de la pharmacopée les plus générateurs de constipation. Aussi leur prescription doit être associée à celle de laxatifs puissants pour assurer le transit et éviter la constitution d’un fécalome. En fin de vie, les stratégies sont modulées selon le maintien ou non d’une alimentation orale.2

Ordonnance : délivrance et administration

La prescription des opioïdes se fait sur une ordonnance sécurisée. Elle doit être détaillée, et la posologie mentionnée en toutes lettres. Elle est datée du jour de sa rédaction, même si la délivrance des produits est postérieure à cette date ; cependant, cette délivrance ne doit pas être décalée de plus de 36 heures, sinon la pharmacie ne délivrera que la dose restante à utiliser par rapport à la période de prescription. Par ailleurs, les règles qui régissent le chevauchement des dates doivent être respectées.
La durée de prescription est de 7 jours pour les opiacés injectables et de 28 jours pour les formes orales, mais des délivrances fractionnées sont prévues pour certains produits par périodes de 7 ou 14 jours (art. R5132 du code de la santé publique). Les prescriptions peuvent être rédigées et délivrées de façon anticipée, y compris pour les opiacés (en respectant le délai imposé par la date de prescription) ; leur mise en œuvre peut se faire ultérieurement, ce qui nécessite une réévaluation régulière de leur opportunité. La traçabilité dans le dossier est impérative. Une prescription anticipée doit être détruite, réévaluée et reformulée si elle n’a pas été utilisée dans les délais, avec ajustement éventuel.
Une prescription anticipée personnalisée, rédigée par un médecin et comportant les circonstances de mise en œuvre (par exemple : « en cas de pic douloureux »), peut être appliquée ultérieurement par une infirmière confrontée à la situation clinique prévue, y compris en l’absence du médecin (tableau).
Contrairement aux idées répandues, une interdose d’antalgique peut être distribuée par une aide-soignante en Ehpad, notamment la nuit. Cette stratégie de délégation nécessite cependant une minutieuse organisation et maturation d’équipe : formation des équipes, préparation sécurisée par le personnel infirmier, soutien de l’encadrement et des médecins, modalités de contrôle et d’autocontrôle... Cette délégation datée, signée, limitée dans la durée et assumée ne veut pas dire « impunité », et l’ensemble des acteurs concernés (du médecin prescripteur à la soignante qui administre) reste juridiquement responsable de ses actes.

Télémédecine

La télémédecine peut permettre d’établir un diagnostic, d’assurer le suivi d’un patient, de requérir un avis spécialisé, et/ou de réaliser des prescriptions (notamment d’interdoses). On distingue quatre types d’usage : la téléconsultation, la télé-expertise, la télésurveillance médicale, la télé-assistance médicale. Comme pour tout acte majeur en télémédecine, il est préférable de connaître le patient et son examen clinique pour prescrire un opioïde de cette manière.5

Règles de base de l’administration des opioïdes

Elle se doit de respecter les bons usages et les autorisations de mise sur le marché (AMM) de chaque voie d’administration.

Voie d’administration

Voir encadré 1.

Quel dosage de l’interdose ?

L’interdose d’opioïdes doit correspondre à 15 % de la dose totale d’opioïde reçue en 24 heures.6
Si on rapporte la dose d’opioïde des 24  heures à une dose orale reçue toutes les 4 heures, le malade reçoit en effet 15 % de la dose toutes les 4 heures (6 × 15 % = presque 100 %). En cas de survenue d’un pic douloureux, ou la nécessité d’une prémédication de la douleur induite par les soins, la dose à rajouter sera donc de l’ordre de 15 % de la dose quotidienne. L’application opioconvert.fr, validée par les sociétés savantes, donne instantanément les équivalences entre opioïdes, notamment pour jongler avec les formes orales/injectables, d’autant plus que les ratios de l’oxycodone et de la morphine ne sont pas les mêmes !
Exemple : un malade qui reçoit 60 mg de chlorhydrate de morphine orale par jour recevra une interdose de 10 mg (et pas 5 mg comme on voit trop souvent…).
Chez le grand sujet âgé fragile, on peut rester plus prudent et tester les premières interdoses à 10 %. On pourra utiliser ensuite des interdoses « normales » à 15 % de la dose totale.

Les trois rythmes d’administration des opioïdes ⁷

Afin de bien situer l’utilité de l’interdose, les trois rythmes sont schématisés dans l’encadré 2.

Encadre

1. Voies d’administration des opioïdes

Voie orale

La voie orale est recommandée car elle est la plus simple en l’absence de trouble de la déglutition.

Il ne faut pas écraser ni couper les comprimés à libération prolongée.

Les gélules peuvent être ouvertes et les microgranules contenus incorporés dans un aliment ou passés par une sonde d’alimentation qui sera rincée. L’absorption sublinguale est possible pour les microgranules.

 

Voie sous-cutanée

 

Pour ce faire : poser un dispositif sous-cutané, couvrir d’un pansement transparent type Opsite ; les injections se font toutes les 4 heures ou en continu par seringue électrique (éviter les zones œdématiées).

Si possible, utiliser un dispositif pour chaque produit (pas de mélange qui complique les interdoses et peut rendre plus aléatoires les résorptions).

Lors de la première injection : purger le dispositif avec le produit prescrit, jamais avec de l’eau ou du sérum physiologique : c’est la seule manière d’être certain de la dose injectée.

Ne pas rincer après l’injection (le malade ne recevrait pas, alors, la bonne dose de produit à l’injection suivante ; ce rinçage est inutile).

Le dispositif doit être surveillé localement (rougeur, œdème, douleur, écoulement) ; il peut rester généralement 2-3 jours en place.

Inscrire le nom du produit et la date de pose sur le dispositif et dans le dossier de soins.

 

Voie transmuqueuse : sublinguale et nasale

 

Vérifier que l’utilisation est faite en respectant l’AMM (ex. : patient déjà sous opioïdes à doses suffisantes).

Veiller à l’état de propreté et à l’humidification préalable des muqueuses concernées.

Encadre

2. Rythmes d’administration des opioïdes (hors voie veineuse et centrale)

Traitement de fond

Définition : traitement continu, initialisé après une titration des doses nécessaires.

Quand ? À horaires fixes, en respectant la galénique du produit, assurant ainsi un traitement de fond efficace en continu.

Comment ?

Voie per os (toutes les 12 heures).

Voie sous-cutanée sur un cathlon (toutes les 4 heures, ou en continu avec un système adapté au contexte).

Voie transdermique (toutes les 72 heures).

 

Interdose

 

Définition : dose opioïde, d’action nécessairement rapide, administrée en plus des doses du traitement de fond, pour soulager des accès douloureux imprévus.

Quand ? À n’importe quel moment du nycthémère, à la demande du patient ou sur l’évaluation faite par un soignant, suivant un protocole préétabli.

Une interdose peut se superposer ou jouxter une prémédication et/ou une dose fixe du traitement de fond, puisqu’elle n’a pas la même cinétique et le même but de soulagement (le traitement de fond concerne la douleur continue, l’interdose concerne le pic douloureux).

Si le malade a encore mal, l’intervalle entre deux interdoses peut être réduit à 1 heure (par voie orale ou sous-cutanée) ou même moins (notamment, suivant le produit, par voie transmuqueuse).

Comment ? Par voie orale ou sous-cutanée (injection ou bolus de seringue électrique) ou voie transmuqueuse si le contexte le permet.

 

Prémédication

 

Définition : administration anticipée d’un opioïde à libération rapide avant un soin potentiellement douloureux prévu (toilette, transfert, pansement, soin d’escarre, kinésithérapie…).

Quand ? C’est l’heure du soin qui détermine l’heure de la prémédication. Elle se fait :

– une heure avant le soin pour les voies orale ou sous-cutanée, afin de profiter du pic maximal d’action et pas seulement du début de l’action, qui se situe vers 30 minutes : il reste donc environ 3 heures d’efficacité pour réaliser le soin ;

– quelques minutes avant le soin pour les voies transmuqueuses (suivant les opioïdes).

Par ailleurs, si le traitement de fond est déjà en place : le continuer aux mêmes horaires fixés.

Une prémédication, une dose fixe du traitement de fond et une interdose peuvent donc être reçues à la même heure.

Plusieurs prémédications peuvent être programmées au cours du nycthémère.

Comment ? Par voie orale ou sous-cutanée, en bolus sous-cutané par seringue électrique, par voie transmuqueuse.

Dose théorique : 15 % de la dose totale des 24 heures.

Si voie transmuqueuse : à adapter pour chaque malade suivant le produit.

Références

1. HAS. Accompagner la fin de vie des personnes âgées à domicile. Recommandations de bonnes pratiques. Décembre 2017.
2. Magnin A, Picard S, Sardin B, et al. Soins palliatifs en fin de vie. Rev Prat Med Gen 2019;33:875-80.
3. Daydé M, Hirsch G. Soins palliatifs à domicile. Repères pour la pratique. Brignais, Le Coudrier, 2016.
4. SFAP. Fiche Urgence Pallia (= Samu Pallia). 2017. Disponible sur : https://bit.ly/32EloBN
5. Conseil national de l’Ordre des médecins. Le point sur la téléconsultation. Mai 2019. Disponible sur : https://bit.ly/3aBQYo9
6. Michenot N, Rostaing S, Baron L, et al. La morphine dans le cadre du changement d’opioïdes ou de voie d’administration. Bull Cancer 2018;105(11):1052-73.
7. Gomas JM, Denis M, Sévêque MA, et al. Les 3 seuls rythmes d’administrations possibles des opioïdes en gériatrie : traitement de fond, interdose, prémédication. Rev Geriatr 2016;41-3:181-2.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés
essentiel

La possibilité de pics douloureux doit faire anticiper la prescription d’interdoses.

L’interdose doit correspondre à 15 % de la dose totale d’opioïdes reçue en 24 heures.

En l’absence de médecin, la prescription est délivrable par l’infirmière ou l’aide-soignante de nuit.

L’interdose s’administre 1 heure avant un soin douloureux.