« Docteur, dois-je faire la 4e dose ? ». Les médecins se trouvent désormais devant ce dilemme, alors que les messages des autorités de santé (HAS, DGS…) sont contradictoires. Pour s’y retrouver, il faut revenir à quelques rudiments simples sur l’immunité vaccinale. La protection conférée par le vaccin anti-Covid diminue-t-elle vraiment avec le temps ? Des doses répétées avec ce vaccin n’ont-elles pas de risque ? Une sérologie post-vaccinale a-t-elle un intérêt ? Une interview exclusive du Pr Jean-Daniel Lelièvre (immunologiste, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor, Créteil) pour vous éclaircir !

Quelle est la réponse immunologique attendue d’un vaccin ?

Un vaccin induit plusieurs types de réponse, qui sont différentes en fonction du lieu dans lequel elles vont se produire (réponse muqueuses ou systémique) et de leur type (lymphocytes B ou T ? réponse immédiate ou mémoire ?). La vaccination (comme l’infection) stimule tout d’abord une production d’anticorps très rapide par des plasmocytes (lymphocytes B activés). Leur rôle est de produire des anticorps de faible affinité mais en grand nombre ; ils sont donc suffisants pour contrôler la réplication du pathogène et empêcher une réinfection. En fonction des pathogènes ou des types de vaccins, la durée de vie de ces plasmocytes est plus ou moins longue : dans le cas du vaccin contre la rougeole, ils persistent à vie ; dans le cas des vaccins à ARNm contre le SARS-CoV-2, ils diminuent avec le temps.

Mais le vaccin induit aussi, au niveau des centres germinatifs des ganglions, la formation de plasmocytes à longue durée de vie qui migrent dans la moelle osseuse et des cellules B mémoires qui vont « maturer » au cours du temps via un processus d’« hypermutation somatique » : ils deviennent capables de produire des anticorps plus affins et performants, reconnaissant un large spectre de séquences virales. D’où l’importance de restimuler ces populations mémoires pour générer des anticorps contre d’éventuels variants.

C’est pour cela qu’il faut plusieurs doses de vaccin ?

Il faut des doses au bon timing qui permettent la formation des cellules B mémoires.

L’idéal aurait été, comme l’ont fait les Britanniques, d’espacer les premières 2 doses de 3 mois pour permettre la maturation des cellules mémoires et obtenir une meilleure couverture contre les variants. Mais une seule dose n’était pas suffisante pour produire un fort taux d’anticorps initial, on allait exposer la population à un risque d’infection entre les 2 doses, dans un contexte de circulation virale très intense. Le rationnel a été donc le suivant : schéma de 2 doses à 3 semaines pour obtenir un niveau d’anticorps suffisant ; ensuite une 3e dose pour stimuler les cellules B mémoires à produire des anticorps plus affins et efficaces contre d’autres souches comme omicron, mais aussi « booster » les plasmocytes circulants qui, on l’a vu, baissent avec le temps.

Mais même si les anticorps circulants diminuent, ne sommes-nous pas protégés par ces cellules B mémoires ?

Cela dépend de la vitesse de réplication du pathogène ! Prenons le virus de l’hépatite B : sa réplication est suffisamment lente pour que les cellules mémoires aient le temps de produire les anticorps ; nous sommes donc protégés même lorsque les anticorps ne sont plus détectables. La réplication du SARS-CoV-2 est très rapide, de l’ordre de 48 heures, alors que la production d’anticorps par les cellules mémoires requiert au moins 5 jours. Elle ne peut donc pas bloquer la réplication virale, en tout cas au niveau ORL (rhume).

Au niveau pulmonaire, la réplication est probablement plus retardée. C’est pour cette raison que les personnes vaccinées avec 2 doses – en dehors des personnes immunodéprimées ou très âgées – ont été protégées contre les formes très sévères.

Il y a un aussi autre composant de la réponse immune à considérer : la réponse lymphocytaire T, qui protège contre les formes sévères car les lymphocytes détruisent rapidement les cellules infectées. Après 2 doses, la réponse T persiste très longtemps. De plus, les séquences reconnues sont différentes de celles reconnues par les anticorps et moins impactées par les variants : après vaccination contre la souche de Wuhan, la réponse T contre la protéine Spike d’omicron est quasiment la même !

Quid de l’intérêt de la 4e dose, qui est ouverte aujourd’hui à toutes les personnes de plus de 60 ans ?

Aujourd’hui, la HAS ne la recommande pas à toutes les personnes de 60 ans comme l’a annoncé le gouvernement ! On l’envisage pour les sujets de plus de 80 ans et ceux de plus de 65 avec des comorbidités à risque de forme grave.

La question est double. D’une part, est-ce que cette 4e dose peut faire mieux que la 3e qui protège déjà amplement la majorité des personnes ? Si on ne cible pas une population particulière, cela va demander une mobilisation importante de la part des soignants dans une période déjà très tendue.

D’autre part, continuer à utiliser un vaccin contre la souche de Wuhan est un non-sens d’un point de vue immunologique, d’autant plus chez des personnes récemment infectées par omicron ! Le risque est d’observer un phénomène appelé « immunological imprinting » : les stimulations répétées avec le même vaccin ont tendance à induire des réponses immunitaires contre des sites conservés du virus initial plutôt que contre les sites mutés. En pratique, si le système immunitaire rencontre ensuite une souche très différente, il répondra moins bien à celle-ci. On a donc intérêt à adapter les prochains vaccins aux souches circulantes. Il y a des études en cours sur des vaccins spécifiques contre omicron ou incluant d’autres protéines que la Spike du virus (protéines de la nucléocapside, par exemple). Il faut se donner un temps de réflexion, tout en continuant à suivre de près l’évolution des infections et notamment des formes graves dans les prochains mois.

Justement, l’analyse de la Drees montre une perte de la protection contre les formes graves 3 mois après la 3e dose, mais on ne sait pas quels patients sont concernés…

Oui, on voit même un paradoxe dans leur dernière analyse : un risque d’hospitalisation plus important chez les 65-80 ans que chez les plus de 80 ans. Puisqu’on ne peut pas comparer des patients de plus de 80 ans qui ont un bon système immunitaire à des personnes de plus de 65 ans qui ont plusieurs comorbidités, c’est l’âge immunologique qu’il faut prendre en considération. Il est nécessaire de faire des analyses approfondies de ces données. Aujourd’hui, dans notre service, nous n’avons plus de jeunes hospitalisés pour Covid, contrairement aux vagues précédentes, mais essentiellement des personnes immunodéprimées, ce qui indique une protection conséquente fournie par la vaccination.

Qu’en est-il de la recherche sur un bon corrélat de protection ? Pourquoi la sérologie post-vaccinale n’est pas prise en compte ?

L’identification d’un bon corrélat serait un outil important pour cibler la vaccination. La sérologie avait une certaine pertinence lors de la circulation de la souche virale initiale, mais la corrélation en cas d’infection omicron est discutée : les anticorps analysés au laboratoire lorsque vous demandez un test sérologique sont ceux capables de se lier à la souche de Wuhan, mais sont-ils capables de neutraliser omicron ?

Il y a également des recherches sur la corrélation entre réponse vaccinale et immunité innée. À partir d’un profil « inflammatoire » (certaines cytokines produites dès le lendemain de la vaccination), on pourrait prédire la réponse future à la vaccination chez un patient donné.