Le syndrome de l’intestin irritable est une affection fréquente, au cours de laquelle des symptômes chroniques, sans explication organique, altèrent significativement la qualité de vie des patients. La prise en charge s’est modifiée ces dernières années à la suite des progrès accomplis dans la compréhension de la physiopathologie des symptômes. Quoi de neuf dans le traitement ? Entretien avec le Dr Chloé Melchior, CHU de Rouen.
Quelles sont les thérapeutiques de première ligne dans l’intestin irritable ?
Le syndrome de l’intestin irritable associe une douleur ou un inconfort abdominal chronique et des troubles du transit (diarrhée, constipation ou alternance des deux). La prise en charge actuelle consiste, selon les patients, à traiter le symptôme prédominant.
Parmi les options médicamenteuses, les antispasmodiques classiques sont indiqués en première intention (phloroglucinol, trimébutine, pinavérium, mébévérine) pour soulager la douleur abdominale ; en alternative, un nouveau traitement est disponible (mais non remboursé) : le Colpermin (en gélules gastro-résistantes), à base d’huile de menthe poivrée, à prescrire à la dose de 187 mg 3 fois par jour. Ce traitement était déjà utilisé depuis de nombreuses années dans d’autres pays européens, mais il n’a été rendu disponible en France qu’en 2019.
En cas de syndrome de l’intestin irritable avec constipation, des laxatifs osmotiques sont habituellement proposés en 1re intention ; il faut cependant éviter ceux type lactulose qui peuvent être mal tolérés (ballonnements).
En revanche, en cas de diarrhée prédominante, le lopéramide est la solution retenue en 1re ligne. La colestyramine, chélateur des acides biliaires endoluminaux (Questran, 1-2 sachets de 4 g par jour), est très efficace en cas de diarrhée aux acides biliaires, et c’est un bon test thérapeutique en France, où nous ne disposons pas du test au SeHCAT (acide tauroselcholique) pour explorer les patients ayant une suspicion de malabsorption des acides biliaires.
Qu’en est-il des conseils diététiques ?
Il est indispensable, avant toute prise en charge, de rechercher des erreurs diététiques à l’interrogatoire. En l’absence d’erreur majeure, des conseils nutritionnels standards sont recommandés chez tous les patients en première intention (NICE guidelines) : bien mâcher les aliments, boire suffisamment d’eau, éviter les boissons gazeuses, l’alcool, le café, le gras et les épices… Dans un 2e temps, on peut orienter vers un régime pauvre en FODMAP (fermentable, oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides, polyols ; la fermentation de ces sucres par les bactéries coliques produit en effet des gaz). C’est un régime efficace chez la majorité des patients. L’inconvénient, c’est que la présence de ces FODMAP dans de nombreux aliments (tableau ci-dessous) rend en pratique un tel régime difficile à suivre plusieurs semaines d’affilée et peut exposer sur le long terme à des carences, notamment en calcium. Il doit absolument être encadré par un(e) diététicien(ne).
L’augmentation de l’apport en fibres – un conseil fréquent – améliore la constipation mais peut aggraver le ballonnement ; les fibres solubles (psyllium) sont à privilégier car mieux tolérées. L’intérêt d’un régime sans ou pauvre en gluten – dans un groupe sélectionné de patients – est discuté (études discordantes) ; il n’est donc pas recommandé à l’heure actuelle.
Les probiotiques n’ont pas un niveau de preuve très élevé dans l’intestin irritable. Le plus souvent, les études sont de petite taille, et certains n’ont pas été évalués spécifiquement dans cette pathologie. Quelques produits peuvent cependant être recommandés (Alflorex, Smebiocta, Lactibiane référence, Ultralevure, Probiolog…) : ils sont alors volontiers prescrits en 1re ligne car inoffensifs et généralement appréciés par les patients. En alternative, un autre dispositif médical est disponible aujourd’hui : le Gelsectan – association d’un prébiotique et d’un biofilm tapissant le côlon (xyloglucane et protéine de pois réticulée) – à prendre à raison de 1 ou 2 gélules 2 fois par jour, pendant 2 à 4 semaines. Ce traitement, qui a été étudié dans le syndrome de l’intestin irritable diarrhéique, est efficace en particulier sur la consistance de selles.
En cas d’échec de ces options, que proposer ?
Les antidépresseurs à faible dose* ont fait leurs preuves sur ce type de douleur, car ils ont un effet analgésique viscéral. Il faut bien expliquer aux patients qu’ils sont prescrits à des doses beaucoup plus faibles que celles indiquées dans la dépression.
Parmi les alternatives non médicamenteuses, l’hypnose est désormais reconnue comme une option thérapeutique valide au cours du syndrome de l’intestin irritable. Cette pratique améliore les symptômes intestinaux et la qualité de vie chez environ 50 % des malades. Les modes d’action ne sont pas bien connus, mais des études récentes suggèrent que son effet passerait par une amélioration de l’anxiété liée aux symptômes gastro-intestinaux.
Les thérapies cognitives et comportementales peuvent également aider. Quant à l’ostéopathie, on n’a pas encore de résultats convaincants.
Enfin, la transplantation fécale est en cours d’évaluation, avec deux études contradictoires (une avec des résultats positifs, l’autre négatifs) ; un travail plus récent souligne l’importance du donneur. Il y a probablement une population qui peut en bénéficier, avec une sélection précise des donneurs, mais nous n’en sommes encore qu’aux prémices.
Enfin, d’autres molécules sont en cours d’étude : le ténapanor (inhibiteur de l’échangeur NHE3) et l’ondansétron dans l’intestin irritable avec constipation, et le plécanatide s’il est associé à une diarrhée.
Quel dernier message donner aux médecins ?
Il y a encore des lacunes dans la prise en charge de cette pathologie. Étant donné qu’il s’agit d’un diagnostic d’exclusion, il n’est pas toujours facile de le poser. Certains patients restent en attente d’un diagnostic pendant des années, et ne sont pas rassurés par la normalité de leurs examens. Il faut savoir que les patients consultent souvent avant tout pour connaître leur diagnostic et mieux comprendre leur maladie que pour recevoir un traitement.
*Antidépresseurs en question :
amitriptyline (Laroxyl), imipramine (Tofranil) : 10-12,5 mg/j
citalopram (Seropram) : 20 mg/j puis 40 mg/j après 3 semaines
fluoxétine (Prozac) : 20 mg/j
paroxétine (Deroxat) : 10-40 mg/j
Cinzia Nobile, La Revue du Praticien
À lire aussi :
Ducrotté P, Melchior C. Traitement des troubles fonctionnels intestinaux. Rev Prat 2018;68(1);18-24.
Marteau P. Quelle place pour les probiotiques ? Rev Prat 2019;69(7);794-5.
Hingray C. Hypnose médicale : quel intérêt ? Rev Prat Med Gen 2020;34(1035);120-1.
Sabaté JM. Syndrome de l’intestin irritable. 2017;31(987):628-31