Sans définition consensuelle ni seuil d’alcoolémie, elle est schématiquement décrite en 4 phases cliniques, mais prend parfois des formes atypiques, pathologiques (coma d’emblée, tableaux d’allure psychiatrique), ou peut être confondue avec d’autres diagnostics. Compte tenu des complications associées, ses lendemains offrent un moment propice pour évoquer avec le patient sa relation à l’alcool. Par Pascal Menecier, service d’addictologie, CH les Chanaux, et institut de psychologie, Université Lumière Lyon 2.

L’ivresse alcoolique (IA) est schématiquement considérée comme la manifestation clinique d’une intoxication éthylique aiguë (IEA). Elle survient après une alcoolisation (ingestion d’alcool) inhabituelle et excessive, lors d’alcoolisation paroxystique intermittente (API) ou de binge-drinking.

Sans définition consensuelle ni seuil d’alcoolémie ou de quantité d’alcool ingérée, c’est une situation fréquente, mais ses conséquences immédiates ou différées (veisalgie1) ne peuvent être banalisées.

De quoi s’agit-il ?

Selon l’Académie de médecine,2 l’ivresse alcoolique est un « état d’excitation psychique et d’incoordination motrice pouvant évoluer vers le coma, consécutif à l’ingestion excessive de boissons alcooliques ».

Pour l’Organisation mondiale de la santé,3 l’intoxication éthylique aiguë est un état transitoire suivant la prise d’alcool, entraînant des perturbations physiologiques, psychologiques et comportementales.

Souvent associée à une origine alcoolique, elle est souvent simplement nommée ivresse, comme un prototype du genre, au risque d’oublier toutes les autres ivresses.2

L’alcool est surtout ingéré volontairement, bien que d’autres voies transmuqueuses2 puissent parfois coexister, que des consommations accidentelles puissent apparaître dans l’enfance, et que l’alcool soit par ailleurs la première source de soumission chimique.

L’intention recherchée dans l’IA est diverse, entre sensation plaisante et plaisir variablement réparti entre élation ou sédation, mais aussi sans ressenti de satisfaction lors de recherche d’apaisement de signes de manque ou de crise suicidaire.2

L’expérience d’IA est vécue par deux tiers des Français la vie durant, et par un cinquième au cours d’une année, avec une prépondérance masculine qui tend à diminuer.3 Elle peut concerner jusqu’à 10 % des arrivées aux urgences et générer de 3 à 5 % des séjours hospitaliers.3

Clinique

Malgré l’absence de correspondance biologico-clinique avec l’alcoolémie, par possible tolérance à l’alcool et du fait d’une multitude de facteurs conditionnant l’expression de l’IA,2 une description clinique en 4 phases successives prévaut (même si on ne les retrouve pas toutes systématiquement) :3

– latence asymptomatique entre ingestion et apparition des premiers signes ; période à risque pour des usagers découvrant le produit, qui peuvent surconsommer faute de ressenti immédiat d’effets ;

– excitation psychomotrice, avec euphorie, désinhibition, agitation, logorrhée, mais aussi irritabilité émotionnelle, dysphorie, troubles de l’attention et du jugement… ;

– ébriété avec incoordination motrice, désorientation, troubles sensoriels, dysarthrie, troubles de l’équilibre d’origine cérébelleuse… ;

– coma calme, hypotonique, avec mydriase, hypothermie, incontinence sphinctérienne, hypotension artérielle, jusqu’à une dépression respiratoire puis la mort.

À côté de cette forme classique, apparaissent des IA pathologiques, avec soit coma d’emblée, soit développement de tableaux d’allure psychiatrique prenant de possibles formes excitomotrices, dépressives, maniaques, délirantes ou hallucinatoires.

Favorisées par la consommation associée d’autres substances psychoactives ou certains profils de personnalité,3 leur évolution est plus longue (jusqu’à 24 heures), jusqu’à un coma avec amnésie secondaire. Elles tendent à récidiver sous la même forme chez la même personne.

Il semble exister une variation des IA selon les autres substances psychoactives associées (médicaments, drogues…) mais pas selon le type de boissons consommées.

Diagnostic

Le diagnostic est généralement clinique, tout en exposant jusqu’à un sixième de faux positifs… Bien qu’aucune recommandation n’existe à ce propos, l’utilité d’un dosage d’alcoolémie est renforcée en milieu hospitalier.3

La mesure de l’alcoolémie peut être directe par prélèvement sanguin ou indirecte par mesure de la concentration d’alcool dans l’air expiré (éthylomètre).

Des diagnostics différentiels concernent les effets d’autres substances psychoactives et d’autres ivresses (cannabiques…), comme d’autres intoxications (monoxyde de carbone…), des hémorragies méningées ou des hypoglycémies pour les plus graves.4 Ces circonstances peuvent coexister et être masquées par l’IA.

Évolution et complications

Les signes de l’IA régressent le plus souvent seuls en 3 à 6 heures, permettant une récupération somatopsychique bien avant le retour à zéro de l’alcoolémie.3

Sur un versant plus toxicologique de l’IA, diverses complications ont été décrites : fausses routes et inhalations (surtout lors de troubles de vigilance), convulsions (rares en période d’alcoolisation), hypothermie, troubles du rythme cardiaque et accidents vasculaires, hypoglycémies (surtout chez des diabétiques traités ou des insuffisants hépatocellulaires graves), divers troubles métaboliques et alcoolopathies aiguës… pouvant aller jusqu’au décès (plus souvent par complication ou traumatisme que par effet toxique direct de l’éthanol).3

Du côté de l’IA diverses conséquences méritent attention :

– prises de risques, désinhibition, troubles du jugement qui peuvent être regrettés ensuite, sur divers plans relationnels, comportementaux, sexuels… ;

– traumatologie, faisant de la répétition fractures/entorses un signe d’appel vers un trouble de l’usage d’alcool, hors pratique sportive intensive ;

– variations de l’humeur avec de possibles effets d’allure paradoxaux à type de raptus anxieux ou dépressifs voir états délirants aigus ;

– perte de contrôle de soi pouvant questionner a posteriori la responsabilité médico-légale du sujet sous l’empire de l’alcool.

IA et crise suicidaire ont des relations complexes, avec des alcoolisations dans plus de la moitié des intoxications médicamenteuses volontaires, des effets désinhibiteurs ou dépressogènes de l’alcool…

Traitement et soins

Mise en sécurité et protection, en attendant la récupération somatopsychique, représentent l’essentiel des soins immédiats.

Aucune thérapeutique spécifique, moderne ou ancienne, préventive ou curative, de l’ivresse n’a de place. En revanche, son accompagnement est conseillé, en prévention/compensation des dommages ou complications, afin d’en limiter les conséquences négatives, individuelles et collectives.

La seule prévention envisagée, y compris en termes de réduction des risques et des dommages, passe par la baisse des consommations d’alcool.

Après l’IA, apparaît un moment propice à l’échange avec le patient, un questionnement sur sa relation à l’alcool, ses modes de consommation. Pour cela il convient que le soignant rencontré accepte et initie l’échange, dans un temps de dialogue du lendemain de l’ivresse. C’est une occasion de rencontre clinique, de nouer un dialogue même imparfait dans une forme d’aller-vers et parfois d’initier des soins pour un trouble de l’usage d’alcool.5

Références :

1. Menecier P. Veisalgie et lendemains d’ivresse : ne pas banaliser.Rev Prat (en ligne), 22 mars 2022.
2. Menecier P. Les illusions de l’ivresse. Éditions In Press, 2022.
3. Menecier P, Rotheval L. L’intoxication éthylique aiguë ou l’ivresse alcoolique.Médecine 2017;13(6):261-5.
4. Azuar J. La prise en charge aiguë du patient alcoolodépendant aux urgences.Journal européen des urgences et de réanimation 2015;27(2):72-76
5. Rotheval L, Poillot A, Lefranc D, et al. La rencontre clinique après l’ivresse : la place de l’entretien. Le Courrier des addictions 2008;10(4):27-9.

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