En recrudescence, les intoxications aux champignons ont un pic en septembre et octobre. Pour le médecin généraliste – bien souvent consulté en premier recours – il est important d’en connaître les différents tableaux cliniques. Identifier l’espèce responsable n’est pas indispensable : ce sont les symptômes, et surtout leur délai d’apparition, qui orientent le diagnostic et la prise en charge.

Près de 5 000 espèces de champignons supérieurs (macromycètes) sont répertoriées en France, dont 100 toxiques et moins de 20 mortelles. Les intoxications par les champignons représentent 0,5 % de l’ensemble des intoxications, et la mortalité globale avoisine 0,03 %.1,2 Elles surviennent surtout en septembre et octobre, en lien avec les conditions météorologiques propices au développement des champignons. Les périodes de crise économique sont favorables (recherche de ressources alimentaires moins coûteuses, revente).

L’Anses a constaté, en 2022, des intoxications en hausse par rapport aux années précédentes : dans le 2e semestre, 1 923 intoxications ont été rapportées aux Centres antipoison, dont 37 cas de gravité forte et 2 décès ; 74 jeunes enfants ont été intoxiqués, dont un bébé de 11 mois nécessitant un séjour en réanimation. Ces intoxications résultent de plusieurs causes : confusion d’une espèce comestible avec une espèce toxique, parfois du fait de l’utilisation d’une application de reconnaissance de champignons sur smartphone donnant une identification erronée des champignons cueillis, ou encore consommation de champignons comestibles en mauvais état, mal conservés ou insuffisamment cuits.

Il est important pour le médecin généraliste – souvent premier acteur de santé consulté – de bien connaître les manifestations cliniques d’une intoxication aux champignons. Identifier l’espèce responsable n’est pas indispensable : ce sont les symptômes qui orientent le diagnostic et la prise en charge.

On distingue deux groupes de syndromes : ceux à latence courte (> 6 h après ingestion) et ceux à latence longue (> 6 h après ingestion).

Syndromes à latence courte (< 6 h après ingestion)

Le pronostic est moins péjoratif lorsque les symptômes surviennent < 6 h après le repas de champignons. Les signes cliniques permettent d’orienter. Aux symptômes digestifs, quasi systématiques, s’associent différentes manifestations cliniques, selon l’origine de l’intoxication.

Le plus fréquent : syndrome résinoïdien ou gastro-intestinal

Un tableau gastro-intestinal qui débute dans les 3 h (au maximum 8 h) après l’absorption des champignons évoque un syndrome résinoïdien : nausées, vomissements, diarrhées (plus de 6 selles/j) et douleurs abdominales.3 - 7 Des céphalées (clitocybe de l’olivier) et des crampes musculaires sont parfois associées. Le tableau clinique est parfois plus sévère : syndrome dysentérique grave ; diarrhées sanglantes ; syndrome cholinergique important (dû à certaines lépiotes) avec une hypersalivation, des sueurs, des larmoiements. Les symptômes disparaissent le plus souvent en moins de 2 jours. La sévérité est liée à la quantité ingérée.

Plusieurs espèces de champignons sont en cause : le clitocybe de l’olivier, l’entolome livide, le bolet Satan, certaines russules (fig. 1) et tricholomes, certaines amanites.3 - 5 De nombreuses toxines sont incriminées, mais la plupart sont mal connues.3,5,6

Manifestations neurologiques associées : syndrome panthérinien ou myco-atropinien

Trente minutes à 4 h après l’ingestion surviennent des manifestations digestives mineures (nausées, diarrhées et douleurs abdominales) et des signes neurologiques (ataxie, syndrome confusionnel, syndrome délirant, dépression, convulsions, myoclonies, prostration, céphalées et mydriase),3,5,6 voire une tachycardie. Cette symptomatologie rétrocède spontanément le plus souvent en moins de 48 h. À l’origine de ce syndrome spectaculaire, nous retrouvons les amanites tue-mouches (fig. 2), les amanites jonquilles et les amanites panthères.

Les manifestations cliniques sont liées à une toxine agoniste du glutamate : l’acide iboténique, et à son dérivé, le muscimol. Son action, mimant le neurotransmetteur GABA (gamma-aminobutyric acid), affecte le système nerveux central.3,4 Cet effet est souvent connu des toxicomanes, qui expliquent « se détendre » par ce moyen.

Sueurs profuses : syndrome muscarien ou sudorien

Il survient le plus souvent dans les 15 min à 12 h après la consommation de champignons. Aux manifestations digestives (nausées, diarrhées et douleurs abdominales)3,5 - 7 s’associent des manifestations cholinergiques : sueurs (96 % des cas), larmoiements, hypersialorrhée, hypotension artérielle, bradycardie, vasodilatation périphérique, hypersécrétion bronchique. On note également des atteintes ophtalmologiques : myosis, douleurs oculaires, diplopies ou flous visuels. Parfois : paresthésies, angoisse, tremblements.

Ce syndrome évolue le plus souvent favorablement en moins de 48 h.

Les champignons concernés sont certains clitocybes (fig. 3) ou inocybes.

La toxine responsable est la muscarine (substance proche de l’acétylcholine).

Effet antabuse : syndrome coprinien

Trente minutes à 1 h après une consommation d’alcool (0,05 g/L d’alcool suffit), on observe un syndrome antabuse (vasodilatation périphérique, flush, hypotension artérielle, tachycardie, tremblements, sueurs), une anxiété, des vertiges, des acouphènes, des nausées et un goût métallique dans la bouche.3,5 - 7 Le plus souvent, les symptômes disparaissent en moins de 3 h. Rarement, une fibrillation atriale, une décompensation cardiaque, voire un arrêt cardiorespiratoire, peuvent survenir.

En cause, certaines variétés de coprins (surtout le coprin noir d’encre). La toxine à l’origine est l’aminocyclopropanol (ou coprine) qui est un inhibiteur de l’acétaldéhyde déshydrogénase.3,4,6 Elle s’exprime le plus souvent en bloquant le métabolisme de l’éthanol (effet bêtamimétique).

Atteintes hépatorénales : syndrome paxillien

Aux troubles digestifs mineurs classiques (nausées, vomissements, douleurs abdominales)4 - 7 peuvent s’associer, dans les cas sévères, une insuffisance hépatocellulaire, une insuffisance rénale et parfois une anémie hémolytique. Le syndrome paxillien est provoqué par l’absorption de paxilles enroulés (fig. 4).

Symptômes neuropsychiatriques : syndrome narcotinien ou psilocybien

Après une latence de 30 min à 1 h surviennent des manifestations neuropsychiques (dépersonnalisation, hallucinations, anxiété, délire, désorientation temporo-spatiale) et des symptômes atropiniques (hypotension artérielle, tachycardie, vertiges, somnolence),3 - 5,7 associés parfois à de signes sympathomimétiques (mydriase, tachycardie, réflexes ostéotendineux vifs).

En moyenne, ce syndrome disparaît dans les 12 premières heures.

Mais des formes plus sévères sont possibles : infarctus du myocarde, comitialité, HTA maligne.

Il est dû à des champignons considérés comme hallucinogènes (stupéfiants) : les psilocybes. Les toxines psilocine et psilocybine ont une action sur le système nerveux central par blocage des récepteurs sérotoninergiques.3,5,7

Prise en charge

En cas de symptômes digestifs, le principal traitement est la réhydratation et la correction des éventuels troubles hydroélectrolytiques.3,4,6,7Les antiémétiques et antidiarrhéiques sont à proscrire car ils peuvent entretenir l’intoxication.

Le syndrome panthérinien et ses manifestations neurologiques nécessitent parfois le recours à des benzodiazépines pour calmer l’agitation.5 - 7

En cas d’effet cholinergique du syndrome muscarien très marqué (surtout chez les personnes âgées), il faut hospitaliser le patient pour administration éventuelle d’atropine.

Une hospitalisation est également nécessaire pour administrer des vasopresseurs5 - 7 en cas de retentissement cardiovasculaire du syndrome coprinien ou de suspicion d’atteinte rénale ou hépatocellulaire liée à un syndrome paxillien.3,5,6 Pour le syndrome narcotinien, la prise en charge consiste en un repos compensateur.3,5,6 En cas de manifestations neuropsychiques trop importantes, il est toutefois possible d’administrer des neuroleptiques ou des benzodiazépines.

Syndromes à latence longue (> 6 h)

Généralement plus sévères, les syndromes à latence longue surviennent plus de 6 h après le repas de champignons. Le syndrome phalloïdien doit être systématiquement suspecté. Il est en effet en cause dans plus de 90 % des décès par intoxication aux champignons supérieurs.

Le plus dramatique : syndrome phalloïdien

Les manifestations hépatiques et digestives sont prépondérantes et peuvent conduire au décès.3 - 5,7

Trois étapes sont classiquement décrites :

– une phase digestive, dans les 8 à 12 h après ingestion, avec une diarrhée importante et souvent une insuffisance rénale (IR) fonctionnelle secondaire à la déshydratation ;

– une phase de rémission clinique entre la 3e h et le 3e jour, au décours de laquelle on note une hépatite cytolytique peu importante ;

– une phase hépatotoxique après 72 h, avec une insuffisance hépatocellulaire sévère induisant hémorragies digestives, anomalies de la coagulation, encéphalopathie. Une IR aiguë est fréquemment associée.

Le syndrome phalloïdien survient à la suite de l’ingestion d’amanites ; l’amanite phalloïde est la plus souvent incriminée (fig. 5). Certaines lépiotes et la galère marginée (fig. 6) peuvent également en être responsables. Une amatoxine est en cause : elle bloque la synthèse protéique en agissant sur l’ARN polymérase (activité perturbée essentiellement aux niveaux hépatique, rénal et du tractus digestif).3,4,6 Phallotoxine et phallolysine sont deux autres toxines incriminées.

Le patient doit être rapidement pris en charge en unité de réanimation.3,5,7 Outre le rééquilibrage hydroélectrolytique, il est nécessaire de lui administrer de la silibinine et de la N-acétylcystéine.

Dans les cas les plus critiques (cytolyse majeure, grossesse, patient très jeune ou très âgé), une transplantation hépatique est discutée.

Potentiellement grave : syndrome orellanien

Des manifestations digestives (nausées et diarrhées) sont observées entre la 12e h et le 3e jour, provoquant une polyuropolydipsie et une possible déshydratation.3,5,6

Une IR peut survenir entre le 4e et le 14e jour, du fait de l’atteinte tubulaire. S’y ajoutent des manifestations neuromusculaires (paresthésies des extrémités, crampes, myalgies).

En cause : les champignons appartenant à l’espèce des cortinaires (fig. 7), avec deux toxines impliquées, l’orellanine et l’orellinine, dont les caractéristiques sont proches de celles du paraquat, herbicide puissant ;3,4,6 ces toxines restent présentes même si les champignons sont séchés.

Le patient doit être pris en charge en service de réanimation.3,6,7 Dans près de 70 % des cas, une épuration extrarénale est nécessaire ; la moitié des patients gardent une insuffisance rénale chronique liée à une fibrose irréversible des tubules rénaux.

Comme le lait sur le feu : syndrome de rhabdomyolyse

Entre la 6e h et le 2e jour apparaissent des myalgies prédominant à la racine des membres,3,5 - 7 accompagnées de sueurs, érythrose faciale, asthénie. Une insuffisance cardiaque est observée dans certains cas d’atteinte du muscle strié myocardique, conduisant parfois au décès. Enfin, le patient peut avoir une polypnée superficielle, témoin d’une atteinte des muscles respiratoires.

Après la consommation en quantité importante de tricholomes du groupe équestre (fig. 8), une toxine (non encore identifiée) agit sur les muscles striés (diaphragme et myocarde).3,5,6

Si la prise en charge reste symptomatique, il est nécessaire de faire admettre le patient en réanimation pour surveillance, du fait des possibles conséquences cardiorespiratoires.3,5,7

Atteinte hépatorénale : syndrome proximien

Des manifestations digestives (vomissements, diarrhée, douleurs abdominales) surviennent entre la 2e h et le 2e jour.3,5,7 Un syndrome hépatorénal est secondairement constaté entre le 1er et le 4e jour, avec une néphrite interstitielle oligurique et une hépatite cytolytique. Cette atteinte hépatorénale évolue le plus souvent favorablement.

En cause, l’ingestion d’amanite à volve rousse.3 Le traitement a pour but de juguler l’IR aiguë.3,5,7 Il est recommandé de faire hospitaliser le patient : 25 % des personnes intoxiquées doivent bénéficier d’une épuration extrarénale.

Rares mais graves : syndromes neurologiques

En France, deux syndromes neurologiques sont observés : l’encéphalopathie convulsivante due aux pleurotes, et le syndrome cérébelleux dû aux morilles ingérées en grande quantité.3,5

L’encéphalopathie convulsivante se caractérise par une dysarthrie, des myoclonies, des tremblements, des convulsions et des difficultés à la marche.3,5 - 7 On retrouve ces manifestations 3 semaines après l’ingestion des champignons, surtout chez les patients âgés ayant une IR chronique connue. Plusieurs toxines sont impliquées (lectines hémolytiques, thiocyanates, dérivés cyanogénétiques, bêta-hydroxyvaline).3,5,6

Le traitement repose sur un rééquilibrage hydroélectrolytique, à effectuer en milieu hospitalier (préexistence quasi systématique d’une IR).3,5,7 Des décès peuvent survenir, et une guérison complète n’est observée que dans 50 % des cas.

Dans le cas du syndrome cérébelleux, les manifestations digestives apparaissent 6 h après l’ingestion des morilles (nausées, douleurs abdominales), suivies 12 h plus tard de signes neurologiques : tremblements, vertiges, ataxie, céphalées, trismus, dysarthrie. Peuvent s’y associer des symptômes ophtalmologiques (vision floue, diplopie, phosphènes, myosis ou mydriase).

Le traitement est avant tout symptomatique. Les manifestations cliniques se résolvent dans les 12 h.

Autres syndromes à latence longue

Deux derniers syndromes sont à connaître du fait de leurs manifestations potentiellement graves ou atypiques.

Le syndrome gyromitrien dû aux fausses morilles : après une latence de 8 h apparaissent des manifestations digestives (nausées ou vomissements, douleurs abdominales, diarrhées), des céphalées, une hyperthermie, une asthénie.3,5 - 7

En général, le patient guérit en 2 à 3 jours. Toutefois, dans certains cas, 48 h après l’ingestion peuvent survenir une hépatite cytolytique (avec parfois une insuffisance hépatocellulaire), des manifestations neurologiques (délire, convulsions, somnolence), ou hématologiques (anémie hémolytique) et une IR aiguë. Ce syndrome fait suite à l’absorption de gyromitres, dont l’aspect est proche de celui des morilles.

La toxine en cause (gyromitrine) bloque une diamine oxydase intestinale, surtout si les champignons sont consommés crus (toxine thermolabile).3,4,6

Le traitement repose sur la correction des troubles hydroélectrolytiques.3,5,7

L’orientation vers un service de réanimation et le pronostic dépendent de l’importance des manifestations neurologiques. Le recours aux benzodiazépines et une correction du déficit en vitamine B6 sont indispensables.

Le syndrome acromégalien après absorption de clitocybes est marqué par des manifestations neurosensorielles survenant le 2e ou 3e jour après le repas :3,5 - 7 paresthésies, érythèmes, œdèmes des extrémités (mains et pieds), douleurs diffuses. Elles peuvent perdurer quelques semaines ou mois. La toxine en cause est l’acide acromélique,3,4,6 qui agit en majorant l’action du système neurotransmetteur GABA. L’intensité des symptômes est liée à la quantité de champignons ingérés. Le traitement est symptomatique.3,6,7 Des bains d’eau froide pour les mains et les pieds peuvent soulager.

D’après
Francès P, Francès L, Mosset T. Intoxications aux champignons supérieurs.  Rev Prat Med Gen 2022;36(1063);11-7.
Références :
1. Silar P, Malagnac F. Les champignons redécouverts. Paris: Belin, 2013.
2. Courtecuisse R, Duhem B. Guide des champignons de France et d’Europe. Lonay: Delachaux et Niestlé, 2013.
3. Bédry R, Saviuc P. Intoxications graves par les champignons à l’exception du syndrome phalloïdien.  Réanimation 2002;11(7):524-32.
4. Schenk-Jaeger KM, Rauber-Lüthy C, Bodmer M, et al. Mushroom poisoning: a study on circumstances of exposure and patterns of toxicity.  Eur J Intern Med 2012;23(4):e85-91.
5. Saviuc P, Flesch F. Intoxications aiguës par les champignons supérieurs et leur traitement.  Presse Médicale 2003;32(30):1427-35.
6. Leveau P. Intoxications par les champignons.  Urgences 2019;14(3):1-14[25-030-B-40].
7. Trueb L, Carron PN, Saviuc P. Intoxication par les champignons.  Rev Med Suisse 2013;9:1465-72.
Pour en savoir plus :
Anses. La saison des champignons a déjà commencé, soyez vigilants !  31 août 2023.

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