L’Anses vient de publier un état des lieux des intoxications accidentelles des enfants survenues entre 2014 et 2020, sur plus de 1 demi-million de cas recensés. Focus sur les causes les plus fréquentes, les conseils de prévention, la conduite à tenir en cas d’accident.

En l’absence d’une base de données unique exhaustive concernant les intoxications humaines en France, dont les intoxications pédiatriques, l’Anses et Santé publique France en ont analysé plusieurs : données issues des Centres antipoison (CAP), de l’Enquête permanente sur les accidents de la vie courante (Epac, dans laquelle participent six hôpitaux), des passages aux urgences (réseau Oscour, qui couvre 93 % des passages aux urgences au niveau national), des hospitalisations (PMSI, couvrant les hospitalisations de toute la France) et des décès (CépiDC, base exhaustive).

Ces sources sont complémentaires (v. tableau 1), notamment pour décrire les intoxications en fonction de leur gravité, selon que l’enfant reste à domicile, consulte aux urgences, est hospitalisé voire décède, mais aussi pour documenter les agents impliqués ou les circonstances. Il n’existe pas de chaînage des cas entre ces différentes bases de données : un même patient peut être compté plusieurs fois.

600 000 expositions accidentelles à des toxiques

Au total, 590 444 cas d’exposition accidentelle à des toxiques chez des enfants de moins de 15 ans ont été enregistrés par les CAP de 2014 à 2020. La répartition annuelle était plutôt uniforme, variant entre 82 000 et 86 000 cas/an. L’incidence était de 723 pour 100 000 habitants sur la période d’étude, et variait de 696/100 000 en 2016 à 747/100 000 habitants en 2020.

Un quart des cas d’expositions étaient des intoxications, c’est-à-dire symptomatiques (N = 143 144). La proportion d’intoxications était la même chez les garçons et les filles.

Les enfants âgés de 1 à 5 ans étaient les plus touchés (77 % des expositions). L’âge moyen était de 3,1 ans et l’âge médian de 2 ans. Les garçons représentaient plus de la moitié des cas (53 %).

La voie orale était la principale voie d’exposition (78 % des cas), suivie de la voie buccale (c’est-à-dire sans ingestion, 10 %) puis cutanée (8 %).

Sur cette période, 107 802 recours aux urgences pour intoxications ou expositions à des toxiques chez les moins de 15 ans ont été recensés (616/100 000 passages), dont un peu moins d’un quart (N = 24 640) ont été suivis d’une hospitalisation (données Oscour). La majorité des recours aux urgences concernait des enfants de moins de 6 ans (59 %, N = 63 406).

Enfin, alors que le nombre global d’admissions hospitalières a diminué d’environ 9 % sur la période, le nombre d’admissions en réanimation a augmenté de 78 % ; les formes graves représentaient 3 % des admissions aux urgences en 2019, contre 1,6 % en 2014 (données PMSI).

Produits de nettoyage et médicaments : les plus incriminés

Les produits de nettoyage et d’entretien étaient la première cause d’intoxications accidentelles enregistrées par les CAP, responsables de 29 % de tous les cas et 22 % des cas graves (fig. 1 et 2) :

  • les produits de traitement des textiles (lessive liquide ou en poudre, assouplissant, détachant…) étaient en cause dans 45 % de ces cas et dans plus d’un tiers des cas graves ; ces derniers étaient dus surtout aux dosettes de lessive hydrosolubles, qui peuvent causer détresse respiratoire en cas de fausse route et lésions cornéennes graves en cas de projection oculaire, mais ces intoxications ont diminué de moitié entre 2014 et 2020 (des mesures de prévention européennes obligatoires sont entrées en vigueur en 2015) ;
  • les produits nettoyants de surface étaient responsables de 32 % des cas dus aux produits d’entretien ;
  • les produits déboucheurs pour canalisation, moins fréquemment en cause dans l’ensemble des cas, étaient toutefois responsables de 20 % des cas graves, du fait de lésions corrosives de l’œsophage et de l’estomac.
 

Les médicaments humains, responsables de 16 % des intoxications enregistrées par les CAP, étaient la première cause des cas graves (34 %) [fig. 1 et 2] :

  • toutes gravités confondues, les médicaments du système nerveux tels que les analgésiques, anxiolytiques ou antipsychotiques étaient les plus souvent en cause (30 %), suivis des traitements dermatologiques (antiseptiques, désinfectants : 19 %) puis respiratoires (antihistaminiques, 12 %) ;
  • 57 % des cas graves étaient dus à des médicaments agissant sur le système nerveux, principalement les analgésiques opioïdes ; ceux du système cardiovasculaire suivaient (21 %), majoritairement des bêtabloquants, inhibiteurs calciques et traitements de l’hypertension artérielle ;
  • chez les moins de 1 an, l’intoxication était plus fréquemment liée à une erreur thérapeutique de l’entourage ou de soignants que chez les enfants de 1 à 5 ans (respectivement 23 % et 4 %), ces derniers ayant plus souvent accédé seuls au médicament.
 

Les autres bases de données indiquaient que les analgésiques non opioïdes (ibuprofène, aspirine, paracétamol) étaient responsables de 10 % des hospitalisations pour intoxication pédiatrique des moins de 6 ans, suivis des benzodiazépines ; ces dernières représentaient 7,5 % des hospitalisations en réanimation, suivis des psycholeptiques, neuroleptiques et psychostimulants (antidépresseurs, anxiolytiques… : 6 %) et des inhibiteurs calciques (2 %).

Enfin, les médicaments étaient en cause dans 6 des 10 décès enregistrés par les CAP entre 2014 et 2020 et dans 7 des 23 décès par intoxication enregistrés par le CépiDc entre 2014 et 2017 (deuxième cause), sans détail sur la spécialité.

Monoxyde de carbone : intoxications graves

Les intoxications au monoxyde de carbone étaient la première cause d’hospitalisation (11 %) et la deuxième cause d’admission en réanimation (21 %) pour intoxication chez les enfants de moins de 6 ans. Elles étaient la cinquième cause de passages aux urgences (4 %).

Elles touchaient particulièrement les enfants de moins de 1 an : deuxième cause (12 %) des passages aux urgences et première cause (33 %) des admissions en réanimation pour intoxication dans cette tranche d’âge.

Enfin, elles étaient, avec les intoxications à la fumée, la première cause des décès par intoxication chez les moins de 15 ans enregistrés par le CépiDc (9 décès sur 23 : 39 %). Parmi les 10 décès enregistrés par les CAP, un était dû à cette cause.

Cannabis : augmentation des cas 

La fréquence des intoxications par ingestion de cannabis a fortement augmenté entre 2014 et 2020 :

  • chez les moins de 6 ans, cette substance est passée du 5e au 1er rang des produits impliqués dans les hospitalisations pour intoxication entre 2014 et 2019 ; à l’origine de 7 % des hospitalisations, elle était la première cause des admissions en réanimation (23 %) ;
  • chez les moins de 1 an, elle était responsable de 16 % des hospitalisations pour intoxication en 2020, contre 9 % en 2014.
 

La gravité des intoxications au cannabis a aussi augmenté : le pourcentage d’admission en réanimation après passage aux urgences a doublé chez les moins de 6 ans entre 2014 et 2020, passant de 5 % à 11 %. Sur la même période, la concentration moyenne en THC de la résine de cannabis a augmenté.

Corps étrangers : des cas très graves

Si les corps étrangers ne représentaient que 1 % des intoxications enregistrées par les CAP, ils étaient à l’origine de 6 % des cas graves.

La plupart de ces enfants (19 sur 23) avaient avalé une pile bouton. Il y a eu deux décès – l’ingestion du corps étranger étant passée inaperçue au moment de l’accident, ce qui a retardé la prise en charge : un dû à une pile bouton (perforation de l’œsophage et de l’aorte) et un dû à une bille d’eau (complications digestives).

Les recommandations de la HAS sur la prise en charge d’un enfant ayant ingéré une pile bouton (avec ou sans témoin) sont disponibles sur ce lien. En particulier, des symptômes non spécifiques inexpliqués par ailleurs, tels que dysphagie, refus d’alimentation, vomissements répétés, toux, douleur thoracique, dyspnée, dysphonie ou fièvre, doivent faire évoquer une telle ingestion passée inaperçue, surtout chez un enfant de moins de 5 ans.

Piqûres et morsures

Les contacts avec des animaux (toutes espèces confondues) concernaient un peu moins de 3 % des intoxications des moins de 15 ans mais étaient la quatrième source de cas graves enregistrés par les CAP (6 %, fig. 2).

Le contact avec du venin d’arthropodes (chenille urticante, guêpe, abeille, frelon…) était la principale cause (30 %) de passage aux urgences des moins de 6 ans.

Les envenimations vipérines étaient la cause de 2 % des admissions en réanimation par intoxication accidentelle chez les moins de 6 ans, mais n’ont donné lieu à aucun décès.

Produits cosmétiques et plantes : intoxications fréquentes mais peu graves

Les produits cosmétiques et d’hygiène corporelle (soins et vernis à ongles, nettoyants pour la peau, produits pour le bain et la douche…) étaient la troisième cause d’intoxications sur la période (11 %, fig. 1), mais en cause dans à peine 1 % des cas graves.

Les intoxications dues aux plantes (ingestion, contact cutanéo-muqueux) représentaient 7 % des intoxications (fig. 1), mais moins de 1 % des cas graves ; les plantes sauvages causaient plus d’intoxications graves que celles d’intérieur.

Qu’en retenir ?

Les différentes catégories de produits à l’origine des intoxications accidentelles les plus fréquentes et les plus graves sont résumés dans le tableau 2 :

  • les plus fréquentes étaient dues aux produits de nettoyage, aux médicaments, au monoxyde de carbone, aux piqûres d’arthropodes et aux plantes ;
  • les plus graves étaient dues aux médicaments agissant sur le système nerveux ou cardiovasculaire, à certains produits de nettoyage (dosettes de lessive, déboucheurs pour canalisation), au monoxyde de carbone, au cannabis, aux corps étrangers (piles boutons) et aux serpents venimeux.
 

Ces accidents étant évitables, il est indispensable de sensibiliser l’entourage des enfants à ces risques et aux bonnes pratiques pour les prévenir (v. encadré ci-dessous).

Encadre

Comment prévenir les intoxications accidentelles des enfants ?

Tenir hors de portée des enfants : produits de nettoyage dans la cuisine ou la salle de bains, médicaments, petits objets (piles boutons de télécommande, etc.), drogues et stupéfiants.

Ne jamais déconditionner un produit ménager en le transvasant dans un récipient alimentaire (bouteille d’eau, de soda ou de jus de fruit).

Attention au risque de surdosage de médicament lors d’un traitement chez les tout-petits.

Veiller au bon usage des appareils de chauffage à risque d’émission de monoxyde de carbone.