Un quart de la population française est, ou a été, traitée par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). Selon la HAS, dans plus de la moitié des cas, leur usage ne serait pas justifié, notamment chez les personnes âgées (trop prescrits, trop longtemps). Elle recadre donc la prescription de ces traitements avec, à l’appui, une fiche de bon usage et un arbre décisionnel avec la conduite à tenir lors du renouvellement de l’ordonnance.
Un contexte d’usage massif et de mésusage important
Les IPP sont l’une des classes thérapeutiques les plus prescrites. En 2019, plus de 16 millions de Français ont été traités par un IPP. Plus de la moitié des usages ne serait pas justifiée : ces traitements sont souvent prescrits de manière trop systématique ou pour des durées trop longues. Dans ce contexte, la commission de la transparence a confirmé l’intérêt du maintien du remboursement de ces médicaments dans le cadre de leur AMM, mais précise qu’ils doivent être mieux et moins prescrits.
Pour rappel, les indications sont les suivantes :
– traitement du reflux gastro-œsophagien (RGO) et de l’œsophagite par RGO ;
– traitement des lésions gastroduodénales dues aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) ;
– prévention des lésions gastroduodénales dues aux AINS chez les patients à risque (âge > 65 ans, ou antécédents d’ulcère gastroduodénal, ou traitement par antiagrégant plaquettaire [AAP], anticoagulant ou corticoïdes) ;
– éradication d’Helicobacter pylori et traitement des ulcères gastroduodénaux (UGD).
Prévention de l’ulcère gastroduodénal
Les IPP sont prescrits inutilement, dans 80 % des cas, en prévention des lésions gastroduodénales dues aux AINS chez des patients non à risque de complications gastroduodénales. La HAS rappelle que la coprescription d’IPP et d’AINS en prévention n’a d’intérêt qu’en présence de facteurs de risque et n’est justifiée que dans les situations suivantes :
– personnes âgées de 65 ans et plus ;
– antécédent d’ulcère gastrique ou duodénal (dans ce cas une infection à H. pylori doit être recherchée et traitée) ;
– association à un antiagrégant plaquettaire (notamment l’aspirine à faible dose et le clopidogrel) et/ou un corticoïde et/ou un anticoagulant (tout en rappelant que ces associations doivent être évitées, v. encadré).
Les IPP doivent être interrompus en même temps que le traitement par AINS. Les IPP sont également inutiles pour prévenir les complications digestives des AAP/anticoagulants (sans AINS) chez les patients ayant un faible risque de complication (pas d’antécédents d’UGD ou d’hémorragie digestive haute notamment).
Reflux gastro-œsophagien
Instaurer un traitement : 4 semaines maximum, uniquement en cas de pyrosis, brûlures gastriques post-prandiales ou régurgitations acides.
Dans le traitement symptomatique initial du RGO (sans œsophagite) de l’adulte, les posologies sont les suivantes :
● demi-dose pour ésoméprazole, lansoprazole, pantoprazole et rabéprazole ;
● pleine dose pour oméprazole.
Les IPP ne sont pas justifiés chez l’adulte :
– en cas de « pyrosis fonctionnel » (dyspepsie dont les symptômes ne sont pas dus à un reflux) ;
– pour le soulagement de manifestations extradigestives isolées, telles que symptômes ORL, toux chronique, asthme ou douleurs thoraciques d’origine non cardiaque (si un RGO n’est pas documenté, les IPP ne doivent pas être prescrits comme traitement d’épreuve ou test thérapeutique).
Chez les nourrissons, dans la grande majorité des cas, les régurgitations sont liées à un RGO non pathologique qui ne relève pas d’un traitement par IPP. La prescription d’un IPP doit être réservée aux nourrissons âgés de plus de 1 mois et aux enfants ayant un RGO persistant et gênant, s’accompagnant de complications ou survenant sur un terrain particulier, si possible après avis spécialisé. Si les vomissements sont récurrents, une recherche étiologique est nécessaire.
Réévaluer le traitement régulièrement
Un traitement au long cours par IPP est très rarement justifié. Il expose à un risque iatrogénique lié à la polymédication, en particulier chez les sujets âgés (encadré). Toute prescription d’un IPP doit faire l’objet d’une réévaluation de son intérêt (efficacité, qualité de vie, recherche des effets indésirables et interactions médicamenteuses). Voir ci-contre un arbre décisionnel avec la conduite à tenir lors du renouvellement de l’ordonnance (RGO de l’adulte).
3 messages à retenir
1. Réévaluer la prescription : en instauration ou en renouvellement, un IPP n’est pas toujours pertinent.
2. Prévention de l’UGD : associer un IPP aux AINS uniquement s’il existe des facteurs de risque de complications digestives.
3. RGO : le traitement initial est de 4 semaines. Sa poursuite est rarement justifiée, notamment chez les sujets âgés polymédiqués.
IPP : effets indésirables et interactions médicamenteuses
Les IPP sont considérés comme généralement bien tolérés, mais un certain nombre d’effets indésirables ont été décrits ces dernières années quand ils sont utilisés au long cours : infections entériques, en particulier à Clostridium difficile, pneumopathies (la sécrétion d’acide gastrique étant une barrière naturelle aux infections), défaut d’absorption du calcium engendrant un risque accru de fractures d’origine ostéoporotique (hanche, poignet, rachis), malabsorptions du fer ou de la vitamine B12 responsables d’anémies et d’hyponatrémie. Selon certaines études, l’administration prolongée d’IPP pourrait masquer les symptômes d’un cancer gastrique (mais elle ne serait pas impliquée dans sa survenue).
Autre problème, principalement chez les patients âgés polymédiqués : les interactions médicamenteuses, notamment par l’intermédiaire du cytochrome p450 2c19. Elles peuvent induire une augmentation des effets indésirables de molécules inactivées par ce cytochrome (AVK, diazépam, citalopram…) et à l’inverse une diminution de l’efficacité de prodrogues métabolisées par ce cytochrome, comme le clopidogrel. La prudence est recommandée quant à l’association clopidogrel-IPP, et si elle est nécessaire, il semble préférable d’utiliser le pantoprazole avec lequel l’interaction biologique semble moindre. Les IPP peuvent aussi modifier l’absorption de certains médicaments dont l’absorption est dépendante du pH gastrique : réduction de l’absorption du kétoconazole, augmentation de celle de la digoxine.
HAS. Fiche BUM – Bon usage des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). 14 octobre 2022.
Pour en savoir plus :
Curtis V, Mézière A, Schonheit C. IPP chez les patients âgés. Rev Prat Med Gen 2016;30(969):734-5.
Ameli. Inhibiteurs de la pompe à protons (IPP). 29 décembre 2020.
Macaigne G. Les IPP sont-ils dangereux ? Rev Prat (en ligne) 28 décembre 2020.
Nobile C. RGO chez l’adulte : que faire en cas d’« échec » des IPP ? Rev Prat (en ligne) 4 avril 2022.
Zerbib F. Reflux difficiles à traiter : que faire ? Rev Prat Med Gen 2018;32(1002);414-5.
Nobile C. RGO ou allergie au lait de vache ? Rev Prat (en ligne) 22 juin 2022.