Bien peser le bénéfice-risque d’un traitement au long cours chez tout patient.
Par Gilles Macaigne*
Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont l’une des classes thérapeutiques les plus prescrites en ville et à l’hôpital. Longtemps considérés comme dénués de toute toxicité en raison de leur spécificité d’action, ils sont depuis quelques années incriminés dans la survenue d’effets indésirables liés à l’achlorhydrie induite ou extra-gastriques.
Le bon usage est le principal rempart à l’iatrogénie : évaluer la balance bénéfice-risque, respecter les indications (tableau 1), prescrire à la dose minimale efficace, reconsidérer le traitement à chaque consultation ; prévenir, détecter précocement et corriger les effets indésirables potentiels. Si la liste de ces derniers est longue, le niveau de preuve de leur association aux IPP est souvent faible à très faible.1

Complications infectieuses

En supprimant l’acidité gastrique, importante barrière naturelle à la colonisation bactérienne du tube digestif haut, les IPP sont une cause d’altération de la flore microbienne intestinale. Plusieurs études rétrospectives ou cas-contrôles ont montré qu’ils exposent au risque d’infections digestives (Clostridium difficile, Salmonella, Campylobacter, pullulation bactérienne chronique de l’intestin grêle). Chez le cirrhotique, ils augmenteraient le risque d’infection spontanée du liquide d’ascite.
De même, les infections pulmonaires seraient accrues en raison d’un phénomène de translocation bactérienne par micro-aspiration de liquide gastrique enrichi en bactéries et d’un effet direct des IPP sur les leucocytes de l’arbre respiratoire (altérant leur fonctionnalité).

Fractures osseuses

Les résultats de la littérature sont divergents, certaines études montrant une augmentation et d’autres ne retrouvant pas d’association, notamment en l’absence de facteur de fragilité osseuse.2, 3 Cette discordance pourrait être liée soit à un sur-risque réel mais modeste des IPP au long cours dans les populations à risque d’ostéoporose, soit à des éléments confondants ayant échappé aux ajustements. Dans l’état actuel de nos connaissances, on ne peut proscrire un traitement par IPP s’il est justifié chez ces patients.

Malabsorptions

Le risque de carence en vitamine B12 est lié à la non-dissociation de cette vitamine de ses protéines porteuses, secondaire à l’hypochlorhydrie induite ; il est associé à la durée et à la dose d’IPP, à l’infection par Helicobacter pylori (Hp) et à la gastrite atrophique. Lors d’une prise au long cours, au moindre doute, notamment devant des troubles neurologiques, cognitifs ou hématologiques, il faut doser la vitamine B12.
Le déficit en magnésium serait dû à une altération de l’absorption intestinale active et surviendrait préférentiellement chez les sujets âgés, volontiers traités de façon concomitante par un médicament hypomagnésémiant (digoxine, diurétiques). En cas d’hypomagnésémie et d’indication à la poursuite du traitement antisécrétoire, on peut lui associer une supplémentation orale en magnésium.

Impact rénal

La néphrite interstitielle aiguë (NIA) est une complication rare, probablement sous-estimée car méconnue.4 Elle semble concerner surtout les sujets âgés (âge moyen 78 ans ; 63-89 ans), le plus souvent polymédiqués (comorbidités). Les signes cliniques sont peu spécifiques (asthénie, sensation de mal-être, fièvre et nausées), certains malades pouvant être asymptomatiques (8 %). Une leucocyturie est observée dans trois quarts des cas, une protéinurie dans un tiers, une hématurie microscopique dans moins de 20 %, une anémie normochrome normocytaire chez plus d’un tiers des patients. Le pronostic est bon à l’arrêt de l’IPP, seule une minorité de sujets (< 10 %) ont besoin de séances d’hémodialyse transitoires ou plus rarement permanentes. Le risque de NIA ne semble pas lié à la durée d’exposition ni au dosage de l’IPP, il serait dû à un effet de classe. Il n’y a actuellement pas de recommandation sur l’indication et les modalités d’une surveillance régulière de la fonction rénale, celle-ci pouvant cependant être faite annuellement après 65 ans ou si comorbidités.

Autres conséquences

Plus récemment, les IPP ont été incriminés dans la survenue de colites micro-scopiques – lymphocytaire et collagène –, à l’origine de diarrhée chronique (si initiés au cours des 4 mois précédant le début des symptômes). Leur arrêt permet une amélioration rapide.
Le risque relatif d’adénocarcinome gastrique est accru en cas de traitement au long cours et d’infection par Hp (mais pas en l’absence de cette dernière). Ainsi, il est actuellement recommandé d’éradiquer Hp chez tout sujet contaminé requérant un antisécrétoire, idéalement avant le stade de gastrite atrophique.
Des encéphalopathies hépatiques ont été décrites chez des cirrhotiques, la prise d’IPP étant un facteur de risque indépendant (augmentant avec dose et durée).
Selon des études épidémiologiques rétrospectives, un traitement prolongé favoriserait la démence ; ces résultats doivent être interprétés avec prudence en raison de nombreux biais.

Interactions médicamenteuses

Les IPP peuvent modifier l’absorption d’autres médicaments, via l’élévation du pH intragastrique, ou affecter leur métabolisme par l’intermédiaire des cytochromes qui les métabolisent. Coprescrits avec le clopidogrel, ils diminuent son activité anti-agrégante dans des études pharmacodynamiques ex vivo. Mais cet effet n’a pas été confirmé par des essais cliniques.5 En pratique, il est suggéré de respecter un délai de 12 heures entre les 2 prises, IPP le matin à jeun et clopidogrel le soir au cours du repas. Le pantoprazole et l’ésoméprazole pourraient être privilégiés (interaction moindre avec cette molécule).

Rebond acide

À l’arrêt de l’IPP, la sécrétion acide passe au-dessus des niveaux de prétraitement, phénomène contribuant à la dépendance. Il serait proportionnel à la durée et au niveau de la suppression acide, apparaissant quelques semaines après le début du traitement et persistant plusieurs mois après l’arrêt. Un sevrage au cas par cas, fonction du temps d’exposition, du délai de survenue et de l’intensité des symptômes serait l’option idéale ; en pratique, on baisse graduellement sur quelques semaines chez les sujets traités plus de 2 mois.
L’auteur déclare participer ou avoir participé à des interventions ponctuelles pour Takeda, AbbVie, Bouchara Recordati, Mayoly, Pfizer.
Ésoméprazole (Inexium, Nexium Control) 20 mg, 40 mg
Lansoprazole (Lanzor, Ogast, Ogastoro) 15 mg, 30 mg
Oméprazole (Mopral, Zoltum, Mopralpro) 10 mg, 20 mg
Pantoprazole (Inipomp, Eupantol, Ipraalox) 20 mg, 40 mg
Rabéprazole (Pariet) 10 mg, 20 mg
La meilleure stratégie pour limiter les effets secondaires au long cours est de respecter les indications et d’utiliser la dose minimale efficace.
Le risque individuel de survenue d’un effet indésirable est faible, surtout à la dose quotidienne recommandée.
Compte tenu des données actuelles, il n’est pas légitime d’arrêter un traitement indiqué et utile.
Malgré l’absence de consensus, des mesures préventives peuvent être proposées en cas de prescription au long cours.
Encadre

Posologies quotidiennes (demi-dose, pleine dose)

Ésoméprazole (Inexium, Nexium Control) 20 mg, 40 mg

Lansoprazole (Lanzor, Ogast, Ogastoro) 15 mg, 30 mg

Oméprazole (Mopral, Zoltum, Mopralpro) 10 mg, 20 mg

Pantoprazole (Inipomp, Eupantol, Ipraalox) 20 mg, 40 mg

Rabéprazole (Pariet) 10 mg, 20 mg

références
1. Freedberg DE, Kim LS, Yang YX. The risks and benefits of long-term use proton pump inhibitors: Expert review and best practice advice from the American Gastroenterological Association. Gastro-enterology 2017;152:706-15.

2. Eom CS, Park SM, Myung SK, et al. Use of acid-suppressive drugs and risk of fracture: a meta-analysis of observational studies. Ann Fam Med 2011;9:257-67.

3. Ngamruengphong S, Leontiadis GI, Radhi S, et al. Proton pump inhibitors and risk of fracture: a sytematic review and meta-analysis of observationnal studies. Am J Gastroenterol 2011;106:1209-18.

4. Sierra F, Suarez M, Rey M, Vela MF. Systematic review: proton pump inhibitor-associated acute interstitial nephritis. Aliment Pharmacol Ther 2007;26:545-53.

5. Bhatt DL, Cryer BL, Constant CF, et al. ; COGENT investigators. Clopidogrel with and without omeprazole in coronary artery disease. N Engl J Med 2010;363:1909-17.

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essentiel

La meilleure stratégie pour limiter les effets secondaires au long cours est de respecter les indications et d’utiliser la dose minimale efficace.

Le risque individuel de survenue d’un effet indésirable est faible, surtout à la dose quotidienne recommandée.

Compte tenu des données actuelles, il n’est pas légitime d’arrêter un traitement indiqué et utile.

Malgré l’absence de consensus, des mesures préventives peuvent être proposées en cas de prescription au long cours.