L’acné est une dermatose inflammatoire chronique de l’unité pilo- sébacée, débutant à l’adolescence et pouvant persister à l’âge adulte. Sa prévalence est très élevée. Elle est considérée comme sévère chez 10 à 20 % des patients.1

Quelles indications ?

Selon les recommandations de la HAS de 2015,2 l’isotrétinoïne (Curacné, Procuta, Contracné et Isotrétinoïne Teva, auparavant Roaccutane) est indiquée dans les acnés moyennes (lésions rétentionnelles, papules et pustules sur plus de la moitié du visage) et sévères (lésions rétentionnelles, nombreuses papules et pustules sur l’ensemble de la face, quelques nodules) après échec d’un traitement topique par peroxyde de benzoyle et rétinoïde associé à des antibiotiques oraux (doxycycline ou lymécycline) conduit pendant 3 mois. Les formes très sévères (nombreux nodules, notamment du visage) peuvent bénéficier de ce rétinoïde oral d’emblée.
Dans les nouvelles guidelines de l’Académie américaine de dermatologie, cette molécule est également recommandée en cas de détresse psychosociale associée à l’acné. En effet, troubles dépressifs, anxieux et altération de l’image de soi peuvent être améliorés par un traitement efficace de cette dermatose.3
L’isotrétinoïne (famille des rétinoïdes) permet une guérison clinique chez plus de 85 % des sujets après une cure de 4 à 6 mois en moyenne.3 La première AMM en France a été obtenue en 1984 par la spécialité Roaccutane. Aucune alternative thérapeutique n’a fait la preuve d’une efficacité équivalente dans l’acné sévère (elle est supérieure aux traitements locaux et généraux, y compris les cyclines). C’est la seule thérapeutique curative disponible, compte tenu de son action sur la glande sébacée.
Afin de minimiser le risque de récidive, il est important d’atteindre une dose cumulée entre 120 et 150 mg/kg pendant la cure, correspondant à 4-9 mois de traitement, en fonction de la posologie quotidienne prescrite selon le poids du patient (0,5 à 1 mg/kg). Toutefois, malgré l’application du schéma posologique idéal, les rechutes à l’arrêt sont de l’ordre de 10 à 15 % ; dans ce cas, les patients peuvent bénéficier d’une deuxième cure.
Pour assurer la sécurité d’emploi de l’isotrétinoïne, la surveillance concerne :
– le risque tératogène connu et démontré, qui a justifié la mise en place d’un plan de prévention des grossesses dès 1997 (régulièrement renforcé) et d’une surveillance spécifique ;
– le risque potentiel de troubles psychiatriques.
Cette molécule a été également incriminée dans la survenue de maladies inflammatoires intestinales chroniques, mais cette association a été exclue grâce notamment à une étude fondée sur des données de l’Assurance maladie.

Risque psychiatrique : toujours débattu

Un lien potentiel entre prise d’isotrétinoïne pour une acné modérée à sévère et survenue de troubles psychiatriques a été évoqué dès 1983.
Le risque suicidaire est évidemment le plus redouté et a fait l’objet de nombreux articles dans la presse il y a quelques années. L’étude de cette association est complexe pour plusieurs raisons :
– les patients avec une acné sévère ont plus souvent des troubles dépressifs, de l’attention, des idées suicidaires,4 une altération de l’image de soi4 que les adolescents sans acné ou ayant une forme mineure ;
– l’adolescence est une période de fragilité psychologique ; c’est aussi le moment où les premiers symptômes des maladies psychiatriques chroniques surviennent, elles-mêmes facteurs de risque de troubles suicidaires ;
– l’isotrétinoïne étant le seul traitement de l’acné sévère, on ne peut pas effectuer d’études comparatives (vs une autre thérapeutique chez des sujets à sévérité d’acné égale).
Plusieurs mécanismes ont été évoqués. Ce dérivé de la vitamine A se fixe à des récepteurs nucléaires régulant la transcription de certains gènes, notamment au niveau du cortex frontal, de l’hippocampe, de striatum, de l’hypothalamus, régions cérébrales impliquées dans le stress et la dépression. Toutefois, aucun effet biologique clair n’a été mis en évidence. L’hypervitaminose A peut être responsable de troubles dépressifs, de l’humeur ou psychotiques et d’une irritabilité, selon plusieurs cas cliniques décrits dans la littérature ; cependant, ces symptômes régressent lors de la correction de l’excès de vitamine A.
Selon les données de pharmacovigilance française couvrant la période de 1984 au 31 décembre 2013, 413 événements indésirables psychiatriques correspondant à 250 cas ont été notifiés, les plus fréquents étant les troubles de l’humeur, du comportement et suicidaires. Environ la moitié des cas de suicide et tentatives de suicide (TS) sont survenus sous traitement. Notons que ce constat repose sur des déclarations spontanées et ne provient pas d’une analyse exhaustive.
Par ailleurs, plusieurs observations, séries de cas ou études prospectives non contrôlées et de faible effectif ont été publiés, sans apporter de conclusion formelle.
Quatre grands travaux ont évalué à partir de bases de données médico- administratives le lien entre prise d’isotrétinoïne et survenue de dépression et/ou TS ou suicide.
Dans la série la plus importante et la plus robuste publiée en 2010 (mais menée à partir de données des années 1980 ; 5 756 patients de 15 à 49 ans), une augmentation du risque de TS était notée jusqu’à 6 mois après l’arrêt de la molécule. Mais celui-ci était déjà accru avant le début du traitement, ne permettant pas de conclure à un risque supplémentaire lié à la prescription d’isotrétinoïne.5
De plus, la prise en charge efficace de l’acné sévère améliore les troubles dépressifs liés à cette dermatose.
Les mesures de précaution doivent cependant être maintenues : rechercher systématiquement des antécédents psychiatriques, traquer la survenue de troubles sous traitement lors des consultations de suivi avec l’aide éventuel d’un questionnaire (ADRS, TSTS-CAFARD), informer le patient et son entourage de la nécessité de signaler tout changement d’humeur ou de comportement et, le cas échéant, proposer une consultation de psychiatrie et l’arrêt du traitement.
Chez les patients ayant un antécédent psychiatrique et une acné sévère responsable d’une altération de la qualité de vie, la prescription requiert un avis spécialisé (psychiatre) ; la motivation et la compréhension du sujet et de son entourage sont des prérequis indispensables.

Risque tératogène : connu et démontré !

L’isotrétinoïne orale est tératogène. Un programme de prévention des grossesses (PPG) a été mis en place dès 1997, auprès des professionnels de santé impliqués (médecins et pharmaciens) et des patients pour minimiser le risque de grossesse sous traitement. Concernant toute femme en âge de procréer, il est régulièrement renforcé. Dernière mesure datant de 2015 : la prescription initiale est réservée au dermatologue (tout médecin peut la renouveler).
Au préalable, une brochure d’information est remise à la patiente, avec un formulaire d’accord de soins et de contraception (à signer) ainsi que des courriers de liaison auprès des professionnels de santé chargés de la contraception et/ou du renouvellement du traitement (généralistes et gynécologues). Une (voire deux) méthodes de contraception doivent être mises en place au moins 4 semaines avant la prise d’isotrétinoïne. Lors de la prescription, le médecin doit également recueillir l’accord de soins et de contraception signé et vérifier la négativité du test de grossesse (hCG plasmatique), qui est notée dans le carnet de suivi (cette information est contrôlée par le pharmacien lors de la délivrance du médicament). Lors des renouvellements mensuels, il faut vérifier que la contraception est poursuivie et que le test de grossesse sanguin est négatif et date de moins de 3 jours. La délivrance d’isotrétinoïne doit avoir lieu au plus tard 7 jours après la prescription et au vu du carnet complété. Après l’arrêt du traitement, la contraception est poursuivie jusqu’à 4 semaines et un dernier test de grossesse est réalisé à 5 semaines.
Si une grossesse survient sous isotrétinoïne, le médicament doit être immédiatement arrêté. La patiente doit être adressée à un médecin spécialiste compétent en tératologie qui pourra évaluer le risque pour l’enfant à naître et la conseiller.
Encadre

Contre-indications à l’isotrétinoïne

Absolues :

– grossesse, allaitement ;

– incapacité de comprendre la nécessité d’un suivi régulier pour les femmes ;

– allergie à l’arachide ou au soja ;

– insuffisance hépatique, hyperlipidémie, hypervitaminose A ;

– don de sang, prise de cyclines.

Relatives :

– épilation à la cire (grande fragilité cutanée) ;

– dermabrasion (pendant le traitement et durant les 6 mois suivant son arrêt) ;

– port de lentilles de contact ;

– antécédent de dépression, d’asthme, de diabète, de maladie inflammatoire digestive

– perturbation du bilan hépatique et lipidique;

– prise d’anticomitiaux.

Références
1.  Williams HC, Dellavalle RP, Garner S. Acne vulgaris. Lancet 201;379:361-72.
2.  Le Cleach L, Lebrun-Vignes B, Bachelot A, et al ; French Acne Guidelines Working Group and Centre of Evidence of Dermatology. Guidelines for the management of acne: recommendations from a French multidisciplinary group. Br J Dermatol 2017;177:908-13.
3.  Roman CJ, Cifu AS, Stein SL. Management of Acne Vulgaris. JAMA 2016;316:1402-3.
4.  Halvorsen JA, Stern RS, Dalgard F, et al. Suicidal ideation, mental health problems, and social impairment are increased in adolescents with acne: a population-based study. J Invest Dermatol 2011;131:363-70.
5.  Sundström A, Alfredsson L, Sjölin-Forsberg G, et al. Association of suicide attempts with acne and treatment with isotretinoin: retrospective Swedish cohort study. BMJ 2010;341:c5812.

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essentiel

L’isotrétinoïne orale est le seul traitement efficace de l’acné sévère.

Compte tenu de son risque tératogène, sa prescription est très encadrée.

Aucune donnée ne permet de confirmer son association avec un risque suicidaire.