Des IST en augmentation
La surveillance épidémiologique au niveau national – qui repose principalement sur le Système national des données de santé (SNDS) et les remontées des Centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH, des hépatites virales et des IST (CeGIDD) – montre une recrudescence des IST ces dernières années :
- l’incidence des infections à Chlamydia trachomatis augmente depuis 2014 ; elle est désormais globalement plus élevée chez les hommes que chez les femmes (respectivement 103 et 88 pour 100 000 habitants), mais les femmes d’entre 15 et 25 ans restent les plus concernées (275 pour 100 000) ;
- le nombre de diagnostics réalisés en CeGIDD d’infections à gonocoque augmente régulièrement depuis 2016, chez les hommes, les femmes et les personnes trans. Les cas sont majoritairement diagnostiqués chez des hommes, en particulier chez les hommes ayant des rapports sexuels avec les hommes (HSH) ;
- l’incidence de la syphilis est en augmentation depuis 2020, et de façon plus marquée en 2022, en particulier chez les HSH.
Pour les IST bactériennes diagnostiquées en médecine générale, l’incidence a doublé entre 2020 et 2022 (dernière année pour laquelle des données sont disponibles), d’après les données du réseau Sentinelles. Il n’y a pas de données comparables antérieures à 2020.
La tendance est globale, selon un rapport récent de l’OMS : augmentation, depuis une dizaine d’années, des cas de syphilis et d’infections à gonocoques, y compris des souches multirésistantes aux antibiotiques dans certains pays.
Quant aux infections par Mycoplasma genitalium , des recrudescences semblent toucher plusieurs pays ces dernières années. Des données françaises sont attendues (étude PrévIST 2022 - 2023). C’est surtout l’augmentation de sa résistance aux antibiotiques qui inquiète : pour les macrolides, prévalence moyenne de 51 % (2016 - 2017) au niveau mondial et de 35 % en 2019 en France (vs 17 % en 2013 - 2014) ; pour les fluoroquinolones, 16 % en France en 2019.
Diagnostic et traitement des principales IST bactériennes
Les principaux facteurs de risque d’IST sont : multipartenariat (au moins deux dans l’année) ou changement récent, IST chez un partenaire, antécédent d’IST, autre IST active, HSH, mésusage ou absence de port de préservatif, prostitution et violences sexuelles.
En pratique :
- Toute découverte d’une IST invite à dépister les autres.
- Le diagnostic chez un patient impose le dépistage des cas contacts.
- En raison du risque de ne pas le revoir à sa consultation de remise de résultat, une forte suspicion d’IST incite à prescrire un traitement probabiliste.
Chlamydiose (C. trachomatis)
La fréquence élevée du portage asymptomatique (50 % environ) dans les deux sexes favorise la diffusion de l’infection. Période d’incubation : jusqu’à 30 jours.
Complications possibles : endométrite, salpingite, pelvipéritonite, infertilité chez la femme ; prostatite et épididymite chez l’homme.
Clinique : la cervicite est la manifestation la plus fréquente chez la femme, leucorrhées jaunes ou blanches, cystalgies, syndrome urétral, dyspareunie, spotting ; chez l’homme, urétrite, voire brûlure mictionnelle transitoire avec parfois un écoulement clair, modéré et intermittent. Pharyngite. Anorectite (recherche de lymphogranulomatose vénérienne, LGV).
Dépistage :
- systématique chez les femmes sexuellement actives de 15 à 25 ans (idéalement tous les ans si rapports sans préservatif) y compris pendant la grossesse ;
- ciblé chez les hommes sexuellement actifs avec facteurs de risque, les femmes de plus de 25 ans avec facteurs de risque et celles consultant pour une IVG.
Diagnostic : PCR/TAAN sur autoprélèvement vaginal par écouvillon ou premier jet d’urine ; prélèvement des autres sites selon les pratiques (pharynx, anus). Pas d’intérêt de la sérologie.
Traitement des formes non compliquées : doxycycline 200 mg/jour per os en 2 prises pendant 7 jours, ou azithromycine 1 g en dose unique (si non-observance probable). Traiter simultanément le partenaire ; rapports protégés pendant 7 jours. Contrôle de guérison clinique à J7. NB : le traitement de la LGV est plus long (21 jours). Un 2e contrôle des sites atteints est aussi préconisé 3 à 6 mois après.
Gonococcie (Neisseria gonorrhoeae)
Nombreuses formes asymptomatiques (jusqu’à 70 % chez la femme). Période d’incubation contagieuse durant de 2 à 7 jours.
Clinique : l’urétrite antérieure aiguë est la manifestation la plus typique chez l’homme, responsable de brûlures mictionnelles et d’un écoulement urétral purulent caractéristique (fig. 1) ; chez la femme, des leucorrhées purulentes associées à une urétrite (brûlures mictionnelles, dysurie, œdème et rougeur du méat) sont possibles. L’atteinte anorectale est le plus souvent asymptomatique dans les deux sexes, mais peut entraîner prurit anal ou anite avec écoulement anal purulent.
Complications et diagnostic : similaires à ceux de C. trachomatis. En parallèle à la PCR, une culture est nécessaire pour rechercher des résistances aux antibiotiques.
Traitement des formes non compliquées : ceftriaxone 1 g IM ou IV en dose unique. L’association ceftriaxone 1 g + azithromycine 2 g n’est recommandée que pour les patients revenant d’Asie-Pacifique (résistances importantes à la ceftriaxone dans ces régions). Si contre-indication aux bêtalactamines : se guider par l’antibiogramme. Rapports protégés pendant 7 jours. Contrôle clinique à J7 et contrôle des sites atteints asymptomatiques préconisé 6 semaines après.
Syphilis (Treponema pallidum)
Grande variété des tableaux cliniques :
- Phase primaire : le chancre syphilitique est constant, mais le diagnostic peut être difficile lorsque l’aspect n’est pas classique (c’est-à-dire : unique, muqueux, induré, indolore, superficiel, à fond propre, fig. 2) ou en cas de chancre profond (cervicovaginal, rectal, pharyngé). Puisque tous les aspects cliniques sont possibles (fig. 3 à 6), il faut évoquer la syphilis devant toute ulcération génitale. Le chancre apparaît en moyenne 21 jours (mais parfois jusqu’à 3 mois) après le rapport sexuel à risque ; en général, il guérit spontanément en 2 à 6 semaines sans laisser de cicatrice.
- Phase secondaire : 1re floraison dans les 6 semaines après le chancre (roséole, fig. 7), puis 2e floraison dans les 3 à 6 mois (syphilides cutanées papulosquameuses au polymorphisme très riche, pouvant mimer de très nombreuses autres dermatoses : fig. 8 - 12 ; l’atteinte muqueuse est fréquente : fig. 13 - 14).
Diagnostic : test tréponémique (ELISA, EIA, TPHA…) ; si positif : test non tréponémique (VDRL, RPR).
Syphilis latente : si découverte d’une sérologie positive sans lésion clinique. Précoce (< 1 an) ou tardive (> 1 an ; définie selon la date du rapport à risque, la mention d’un chancre ayant guéri, la preuve éventuelle d’une sérologie antérieure négative).
Traitement : benzathine pénicilline G, 1 injection IM de 2,4 millions d’unités en dose unique au stade précoce (surveillance du patient au moins 30 minutes avec chariot d’urgence car risque allergique). Si incertitude (syphilis latente indatable) ou certitude d’une évolution supérieure à 1 an : 3 injections à 7 jours d’intervalle chacune. Si contre-indication : doxycycline 200 mg/jour per os pendant 14 jours en cas de syphilis précoce, ou 28 jours si forme tardive. Éviter tout rapport sexuel même protégé pendant le traitement et jusqu’à 2 semaines après.
Surveillance après traitement : décroissance du test non tréponémique ; guérison définie par la division d’un facteur 4 en 6 mois et négativation en 1 an (syphilis primaire) ou 2 ans (syphilis secondaire). Identification et traitement des partenaires : tous les contacts de moins de 3 mois (syphilis primaire) ou des 2 dernières années (syphilis secondaire ou latente), et même si rapports protégés.
Mycoplasma genitalium
Deuxième cause d’urétrite non gonococcique après C. trachomatis. Responsable également de cervicites, endométrites, salpingites, troubles de la fertilité chez la femme, anorectites et vraisemblablement arthrites réactionnelles.
Identifié par PCR selon les mêmes modalités que Chlamydia.
Dépister et traiter seulement les cas symptomatiques et leurs partenaires asymptomatiques, avec recherche de sensibilité aux macrolides (ne doit pas être recherchée systématiquement en parallèle aux autres IST), en raison de l’antibiorésistance croissante :
- traitement présomptif : doxycycline 100 mg/j deux fois par jour pendant 7 jours ; ensuite, en fonction des résultats : azithromycine si sensible (500 mg le 1er jour puis 250 mg/j les jours 2 à 5), ou moxifloxacine (400 mg/j pendant 7 jours) ;
- si le traitement peut être différé : traiter en fonction des résultats de résistance, directement par azithromycine (souche sensible) ou moxifloxacine (souche résistante aux macrolides) (recos européennes 2021).
Prévention : des nouveautés !
La HAS a élaboré récemment des nouvelles recommandations pour casser les chaînes de transmission. Par ailleurs, des mesures ont été mises en place chez les jeunes (ci-dessous).
Dépistage sans ordonnance et sans frais pour les < 26 ans
À partir du 1er septembre 2024, la syphilis, les infections à Chlamydia et gonocoques et l’hépatite B pourront être dépistées à la demande du patient majeur de moins de 26 ans ou mineur avec consentement parental, en laboratoire de biologie médicale, sans ordonnance et sans avance de frais (prise en charge à 100 %). C’était déjà le cas pour le dépistage du VIH (depuis janvier 2022).
L’arrêté paru au Journal officiel le 8 juillet 2024 précise que les patients doivent remplir un questionnaire pour que les biologistes les orientent vers les dépistages les plus pertinents et les modalités de prélèvement les plus adaptées.
En présence de certains symptômes, les biologistes devront orienter vers une consultation médicale : douleurs à la miction ; lésions, plaies ou boutons sur les partie génitales ou anales ; douleurs au bas ventre et/ou des saignements vaginaux inhabituels ; sécrétions vaginales inhabituelles et/ou malodorantes ; écoulements visibles du pénis ; douleur soudaine dans les testicules.
Préservatifs gratuits pour les < 26 ans
Depuis le 1er janvier 2023, l’Assurance maladie prend en charge à 100 % certains préservatifs achetés en pharmacie, sans ordonnance et sans avance de frais pour toute personne de moins de 26 ans, sans minimum d’âge.
Pour les préservatifs masculins, sont concernées les marques Eden, Sortez couverts, Be Loved et Terpan. Pour les préservatifs féminins : les marques Ormelle et So sexy & smile.
La quantité délivrée ne peut dépasser 1 boîte par dispensation, quel que soit le conditionnement, selon l’Ordre national des pharmaciens.
Pour en bénéficier, la personne doit être un assuré social et présenter en pharmacie sa carte Vitale (ou carte AME, ou carte européenne d’assurance maladie) ou une attestation de droits, ou à défaut sa pièce d’identité. Pour les personnes mineures, une déclaration sur l’honneur suffit à justifier l’âge et la qualité d’assuré social (ou de bénéficiaire de l’AME).
Nouvelles recos de la HAS pour casser les chaînes de transmission
La HAS a recommandé en 2023 :
- que la question du ou des partenaire(s) soit systématiquement évoquée en consultation à l’occasion d’un diagnostic d’IST ;
- une évolution du cadre juridique pour que la notification des cas contacts soit réalisée par un tiers (professionnel de santé, associatifs, médiateurs…) lorsque le patient infecté ne peut ou ne veut pas le faire, pour des raisons qui lui appartiennent et malgré tous les efforts effectués pour l’encourager en ce sens. Ce relais nécessite bien sûr le consentement libre et éclairé du patient index ;
- enfin, que le traitement accéléré des partenaires (TAP) soit autorisé (non permis par la réglementation actuelle). Le TAP consiste à remettre au patient index une ordonnance au profit d’un partenaire, sans consultation préalable de ce dernier.
Martin Agudelo L. L’incidence des IST dépistées en MG a doublé en 2 ans. Rev Prat (en ligne) 15 décembre 2023.
Bertolotti A. Item 162 (ancien 158). Infections sexuellement transmissibles (IST). Rev Prat 2019;69(10):e337-50.
Bertolotti A. IST : toujours d’actualité ! Rev Prat Med Gen 2020;34(1042);405-6.
HAS. Choix et durées d’antibiothérapies : urétrites et cervicites non compliquées. 12 juillet 2024.
HAS. Diagnostic biologique des mycoplasmes urogénitaux dans les infections génitales basses.21 juillet 2022.
Jensen JS, Cusini M, Gomberg M, et al. 2021 European guideline on the management of Mycoplasma genitalium infections. JEADV 19 février 2022.
Nobile C. IST : nouvelles recos de la HAS. Rev Prat (en ligne) 10 mars 2023.
Martin Agudelo L. Antibiothérapie des urétrites : des nouveautés ! Rev Prat (en ligne) 18 octobre 2022.
RecoMédicales. Infections à Chlamydia trachomatis. 15 avril 2024.
RecoMédicales. Syphilis. 17 mai 2023.