L’ivresse alcoolique (IA) est considérée comme la manifestation d’une intoxication éthylique aiguë. Elle survient après une ingestion d’alcool inhabituelle et excessive lors d’une alcoolisation paroxystique intermittente (API), ou binge drinking. Sans définition consensuelle, elle n’a pas de seuil initial en termes d’alcoolémie ou de quantité d’éthanol ingéré. C’est une situation fréquente dont les conséquences immédiates ou différées (veisalgie1) ne peuvent pas être banalisées.
Elle est souvent décrite en quatre phases cliniques, mais elle prend parfois des formes atypiques, pathologiques (coma d’emblée, tableaux d’allure psychiatrique) ou peut être confondue avec d’autres diagnostics. Compte tenu des risques encourus et des complications possibles, ses lendemains offrent un moment propice pour évoquer avec le patient sa relation à l’alcool.

De quoi parlons-nous ?

Selon l’Académie de médecine, l’ivresse alcoolique est un « état d’excitation psychique et d’incoordination motrice pouvant évoluer vers le coma, consécutif à l’ingestion excessive de boissons alcooliques ».2 Pour l’Organisation mondiale de la santé, l’intoxication éthylique aiguë est un état transitoire suivant la prise d’alcool, entraînant des perturbations physiologiques, psychologiques et comportementales.3 Souvent, elle est simplement nommée ivresse : son origine alcoolique devient implicite, au risque d’oublier toutes les autres ivresses.2
L’alcool est surtout ingéré volontairement, même si d’autres voies transmuqueuses2 peuvent parfois coexister. Des consommations accidentelles peuvent survenir dans l’enfance. L’alcool est, par ailleurs, la première source de soumission chimique.
L’intention recherchée dans l’IA peut être de deux types : sensation agréable et plaisir réparti de l’élation à la sédation ; ou, sans aucun ressenti de satisfaction, apaisement de signes de manque ou lors de crise suicidaire.2
L’expérience de l’IA est vécue par deux tiers des Français au moins une fois au cours de leur vie, et par un cinquième chaque année, avec une prépondérance masculine qui tend à diminuer.3 Par ses conséquences, elle peut concerner jusqu’à 10  % des consultations aux urgences et générer de 3 à 5  % des séjours hospitaliers.3

Des symptômes variables

Sans correspondance biologico-clinique avec l’alcoolémie,2 une description clinique en quatre phases prévaut (même si on ne les retrouve pas toujours) :3
latence asymptomatique entre ingestion et apparition des premiers signes. C’est une période à risque pour des usagers découvrant le produit, qui peuvent surconsommer faute de ressenti d’effets immédiats ;
excitation psychomotrice avec euphorie, désinhibition, agitation, logorrhée, mais aussi irritabilité émotionnelle, dysphorie, troubles de l’attention et du jugement… ;
ébriété avec incoordination motrice, désorientation, troubles sensoriels, diplopie, dysarthrie, troubles de l’équilibre d’origine cérébelleuse… ;
coma calme, hypotonique, avec mydriase, hypothermie, incontinence sphinctérienne, hypotension artérielle, jusqu’à une dépression respiratoire puis la mort.
Outre cette forme classique, il existe des IA pathologiques avec soit coma d’emblée, soit développement de tableaux d’allure psychiatrique prenant de possibles formes excitomotrices, dépressives, maniaques, délirantes ou hallucinatoires. Elles sont favorisées par l’association de consommation d’autres substances psychoactives ou certains profils de personnalité,3 et leur évolution est plus longue (jusqu’à 24 heures), pouvant aller jusqu’au coma avec amnésie secondaire. Elles tendent à récidiver sous la même forme chez le même individu. Il semble exister une variation de profil des IA selon les autres substances psychoactives associées (médicaments, drogues…) mais pas selon le type de boissons consommées.

Diagnostics positif et différentiels

Le diagnostic est généralement clinique. Il y a, cependant, jusqu’à un sixième de faux positifs. Bien qu’aucune recommandation n’existe à ce propos, l’utilité d’un dosage d’alcoolémie est renforcée en milieu hospitalier :3 il peut être direct, par prélèvement sanguin, ou indirect par mesure de la concentration d’alcool dans l’air expiré (éthylomètre).
Les diagnostics différentiels concernent les effets d’autres substances psychoactives et d’autres ivresses (cannabiques…), comme d’autres intoxications (monoxyde de carbone…), des hémorragies méningées ou des hypoglycémies pour les plus graves.4 Ils peuvent coexister et être masqués par l’IA.

Évolution et complications

Les signes de l’IA régressent le plus souvent en trois à six heures, permettant une récupération somatopsychique bien avant le retour à zéro de l’alcoolémie.3
Sur un versant plus toxicologique de l’intoxication éthylique aiguë, diverses complications sont décrites : fausses routes et inhalations (surtout lors de troubles de la vigilance), hypothermie, troubles du rythme cardiaque et accidents vasculaires, hypoglycémies (surtout chez les patients diabétiques traités ou insuffisants hépatocellulaires graves), troubles métaboliques et alcoolopathies aiguës, etc. peuvent aller jusqu’au décès (plus souvent par complication ou traumatisme que par effet toxique direct de l’éthanol).3
Concernant l’IA, diverses conséquences sont à connaître : prise de risques, désinhibition, troubles du jugement (qui peuvent être regrettés ensuite) sur différents plans (relationnels, comportementaux, sexuels…). À l’extrême apparaissent diverses formes de perte de contrôle de soi, pouvant poser a posteriori la question de la responsabilité médico-légale du sujet sous l’emprise de l’alcool. Sur un plan psychologique, il peut coexister des variations de l’humeur, avec de possibles effets d’allure paradoxale, entre raptus anxieux ou dépressif et états délirants aigus. IA et crise suicidaire ont des relations complexes, avec des alcoolisations retrouvées dans plus de la moitié des intoxications médicamenteuses volontaires, des effets désinhibiteurs ou dépressogènes de l’alcool, etc. Enfin, il existe un sur-risque traumatique associé à l’IA, faisant de la répétition de fractures et/ou entorses un signe d’appel de trouble de l’usage d’alcool (hors pratique sportive intensive).

Protection, accompagnement et prévention : trépied de la prise en charge

La mise en sécurité et la protection, en attendant la récupération somatopsychique, représentent l’essentiel des soins immédiats.
Aucune thérapeutique spécifique de l’ivresse, moderne ou ancienne, préventive ou curative, n’a de place. En revanche, son accompagnement est conseillé, en prévention et compensation des dommages ou complications, afin d’en limiter les conséquences négatives, individuelles et collectives.
La seule prévention envisagée, en matière de réduction des risques et des dommages, passe par une diminution de la consommation d’alcool.
Après l’IA apparaît un moment propice à l’échange avec le patient, à un questionnement sur sa relation à l’alcool et ses modes de consommation. Pour cela, il convient que le soignant rencontré accepte et initie l’échange, dans un temps de dialogue du lendemain de l’ivresse. Ce moment se prête à la rencontre clinique, à la possibilité de nouer un dialogue – même imparfait – dans une forme d’aller-vers, et, parfois, à l’initiation de soins pour un trouble de l’usage d’alcool.5

Références

1. Menecier P. Veisalgie et lendemains d’ivresse : ne pas banaliser. Rev Prat Med Gen 2022;1068(36):269-70.
2. Menecier P. Les illusions de l’ivresse. Paris: Éditions In Press, 2022.
3. Menecier P, Rotheval L. L’intoxication éthylique aiguë ou l’ivresse alcoolique. Médecine 2017;13(6):261-5.
4. Azuar J. La prise en charge aiguë du patient alcoolodépendant aux urgences. Journal européen des urgences et de réanimation 2015;27(2):72-6.
5. Rotheval L, Poillot A, Lefranc D, et al. La rencontre clinique après l’ivresse : la place de l’entretien. Le Courrier des addictions 2008;10(4):27-9.

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