L’un des piliers de la formation en médecine en France est la « clinique » (qui recouvre interrogatoire et examen). Concentrons-nous ce mois-ci sur l’examen physique au cabinet.
La part prépondérante des stages hospitaliers permet (en tout cas, en théorie) un apprentissage qualitatif de l’examen physique – en espérant d’ailleurs que la technicisation exponentielle de la médecine hospitalière et l’augmentation du nombre d’étudiants ne l’entravent pas dans le futur…
Nous avons tous croisé, dans notre cursus, des médecins qui nous ont expliqué – et souvent démontré, preuve à l’appui – l’intérêt d’un bon examen « au lit du malade » – comme on dit à l’hôpital –, avant toute investigation complémentaire. Cependant, au cabinet, l’examen physique exhaustif est quasi utopique (alors qu’avec l’expérience, on peut mener un interrogatoire très complet, me semble-t-il).
Le premier frein est la durée des consultations : même en s’organisant le mieux possible, les conditions actuelles d’exercice ne permettent pas de réaliser des consultations de plus de vingt minutes en moyenne. Ce temps doit, de mon point de vue, laisser une part importante à l’écoute du patient puis à un interrogatoire semi-dirigé. S’ajoutent les banalités d’usage de début et de fin de consultation, la rédaction des ordonnances et le paiement… Il ne reste donc environ que cinq à sept minutes pour le déshabillage et l’examen physique.
Le déshabillage, justement, est un autre frein : le patient vient rarement avec l’idée de se mettre d’office en sous-vêtements quand il consulte son médecin généraliste. On peut aussi manquer d’un espace suffisamment dissimulé : un accompagnant est parfois présent, or il n’est pas forcément judicieux de systématiquement l’exclure, même si le secret médical l’impose en théorie (futur sujet pour cette rubrique ?). Il y a donc un compromis à trouver entre un examen de qualité (pas de « stétho » posé sur des couches de vêtements…) et le respect de la pudeur du patient.
Heureusement, l’expérience et la connaissance de sa patientèle (bien très précieux, mal connu du monde hospitalier) permettent un examen ciblé et justement dosé pour éviter au maximum les erreurs diagnostiques. Certains gestes sont indispensables : palpation pour toute douleur abdominale (même dans une population très touchée par les syndromes de l’intestin irritable), auscultation cardiopulmonaire pour toute symptomatologie infectieuse, examen complet en pédiatrie, etc. Une impasse est cependant possible (certains lecteurs vont peut-être avaler de travers) : la mesure de la pression artérielle ! En dehors du certificat de sport, de la grossesse et de symptômes d’appel, ce geste – toujours très prisé des patients – a un intérêt clinique très limité. Que le premier qui n’a pas annoncé au patient des chiffres revus à la baisse par rapport à la réalité se manifeste ! Que celui qui adapte systématiquement la taille du brassard à la corpulence du patient lève la main ! L’automesure tensionnelle prend une place prépondérante dans le diagnostic et le suivi de l’hypertension – à juste titre.
Cependant, le risque de glissement vers un examen de plus en plus pauvre est réel ; la tentation de le remplacer par des prescriptions d’examens complémentaires me paraît encore plus dangereuse.
Or tout geste pratiqué de façon irrégulière perd en efficience (je plaide coupable, notamment pour le toucher rectal chez l’homme de plus de 50 ans, très souvent remplacé par un courrier à destination de l’urologue...).
Un effort permanent est donc nécessaire pour continuer à réaliser des examens physiques pertinents. Il serait d’ailleurs bienvenu que les programmes de formation continue proposent davantage d’entraînement à l’examen clinique, car il n’est jamais délétère d’y revenir...