L’ une des plus grandes ambivalences de la médecine générale en ville : le paiement de la consultation par le patient. En effet, nous ne vendons rien, mais nous fournissons un avis d’expert et un service, et quel service ! Notre exercice n’est pas considéré comme un commerce (ni par nos pairs ni par la société), et pourtant 15 fois, 25 fois, parfois 40 fois par jour pour certains, nous encaissons de l’argent.
Le mode d’exercice principal de la médecine générale reste, à l’heure actuelle, le paiement à l’acte (25 euros pour l’immense majorité des consultations) ; or, en médecine générale, contrairement à d’autres spécialités, il n’y a quasiment qu’un seul acte : la consultation. Certes, depuis quelques années, des rémunérations complémentaires (proportionnelles à certains objectifs atteints ou non) et des « consultations complexes » avec des cotations spécifiques sont apparues, mais elles représentent moins de 10 % de la rémunération totale.
Il faut donc, en fin de consultation, faire payer le patient. Or, lorsqu’on choisit de « faire médecine », c’est généralement pour soigner et aider les gens ; on imagine notre exercice de façon complètement désintéressée. Cet aspect non mercantile de la santé est parfaitement entretenu durant les études et les stages hospitaliers, où aucune considération financière n’est jamais mentionnée, à tel point qu’on tombe des nues lorsque l’on découvre que le prix d’un vaccin standard se situe entre 50 et 100 euros, qu’une boîte d’atorvastatine coûte 12 euros… en prescrivant à l’hôpital des bilans sanguins parfois quotidiens, on ne se doute pas qu’un hémogramme vaut plus de 7 euros, un ECBU au moins 20 euros, etc.
C’est donc l’activité en cabinet de ville qui nous apprend à faire payer le patient.
Concrètement, chacun trouve sa petite phrase pour déclencher le paiement, signant la fin de la consultation. Le terminal de carte bancaire facilite beaucoup la gestion purement pratique. On s’habitue à certains patients qui ont toujours les mêmes gestes : poser encore deux ou trois questions tout en rédigeant le chèque ; tendre systématiquement un billet de 100 euros (on l’accepte ou pas ?) – qui nous donne l’impression qu’on aide à blanchir de l’argent ( !) ; l’enfant voulant à tout prix taper le code et qui regarde avec émerveillement le petit papier sortir de la machine…
Sur des considérations plus éthiques, il est parfois difficile de savoir quoi facturer : pour le patient qui prend un rendez-vous uniquement pour avoir l’ordonnance de renouvellement de ses semelles orthopédiques, faut-il faire payer ? Si on ne l’a pas vu depuis longtemps, on en profite pour faire de la prévention, mais si tout est parfaitement à jour, c’est parfois difficile de faire payer un acte qui ne dure que quelques minutes.
Lorsque, pour rendre service, on regarde rapidement le petit bouton du conjoint qui n’est là qu’en accompagnateur, que l’on fait un certificat de sport sans revoir l’enfant qu’on a vu récemment (médicalement inutile ! et désormais non obligatoire administrativement), faut-il faire payer ? Après tout, un service d’expert est rendu et le patient remboursé, et puis, ainsi, la prochaine fois, il prévoira peut-être un vrai rendez-vous…
L’Assurance maladie, pour ne pas revaloriser le montant de l’acte, encourage à faire payer tous les actes, même les plus rapides. L’apparition de la téléconsultation a d’ailleurs été perçue par de nombreux médecins comme un moyen de faire payer des conseils ou des suivis auparavant réalisés gratuitement par téléphone : mise sous antibiotiques après un ECBU positif, prolongation de quelques jours d’un arrêt de travail quand la virose dure plus longtemps que prévu…
À l’heure où la question de la rémunération des médecins – et surtout de sa revalorisation – est plus que jamais d’actualité, on peut se poser la question d’un autre modèle que le paiement à l’acte.
La volonté des différents gouvernements qui se succèdent de s’orienter vers un tiers payant intégral (le patient ne règle rien, comme c’est le cas dans les pharmacies et les laboratoires) aura peut-être un jour pour conséquence que nous ne recevrons plus d’argent de la part de nos patients. Mais la charge de gestion administrative qui en découlerait (pour recevoir les paiements auprès des différentes mutuelles) incite à penser qu’une majorité d’entre nous préférera de loin garder ce geste commerçant en fin de consultation !