Le jeûne intermittent, qui consiste à restreindre ses prises alimentaires sur un intervalle de temps (par exemple, ne manger qu’entre 10 h et 18 - 20 h) est de plus en plus pratiqué pour perdre du poids. Pour la première fois, une vaste étude de cohorte avec un suivi de 8 ans suggère que cette pratique augmente considérablement le risque cardiovasculaire.

Certains travaux suggèrent que le jeûne intermittent a des effets sur la perte de poids et l’amélioration des paramètres cardiométaboliques, mais la grande majorité de ces études, même randomisées, sont peu généralisables (menées sur des populations spécifiques tels que des patients obèses) et surtout ne rapportent des résultats que sur de courtes périodes, de quelques semaines à un an maximum. Les données sur les effets de cette pratique à long terme étaient attendues.

Pour la première fois, une étude avec un suivi sur plusieurs années a évalué l’association entre la pratique du jeûne intermittent et la mortalité toutes causes et spécifique sur une vaste cohorte de plus de 20 000 personnes. Les résultats préliminaires de cette étude observationnelle – qui n’a pas encore été publiée ni relue par les pairs – ont été présentés en mars lors d’une conférence de l’American Heart Association.

Des chercheurs de l’Université de Shanghai ont utilisé des données des « National Health and Nutrition Examination Surveys (NHANES) » sur la période 2003 - 2018 ; il s’agit d’une enquête basée sur un échantillon de 5 000 personnes interrogées chaque année, représentatif de la population américaine. Ils en ont extrait les informations concernant les habitudes alimentaires de 20 078 adultes âgés d’au moins 20 ans (âge moyen : 48,5 ans ; IMC moyen : 28,7 kg/m2 ; 50 % d’hommes) et les ont croisées avec leurs données de mortalité pour la période 2003 - 2019, issues du National Death Index des Centers for Disease Control and Prevention.

Les participants devaient avoir complété deux questionnaires reflétant leurs habitudes alimentaires sur 24 heures. Les personnes ayant des ingesta caloriques extrêmes (soit < 800 ou > 8 000 kcal/j pour les hommes et < 600 ou > 6 000 kcal/j pour les femmes) ou des régimes alimentaires inusuels ont été exclus.

L’intervalle moyen de temps entre le premier et le dernier repas d’une journée typique était alors calculé pour chaque personne. Les intervalles étaient classés en 5 catégories : < 8 heures, entre 8 et 10 heures, entre 10 et 12 heures, entre 12 et 16 heures (groupe servant de référence pour les calculs puisqu’il correspond à la moyenne chez les Américains) et > 16 heures.

Le jeûne intermittent multiplierait par 2 la mortalité cardiovasculaire

Pendant 8 ans de suivi en moyenne, 2 797 décès toutes causes ont été enregistrés dans la cohorte, dont 840 décès d’origine cardiovasculaire et 643 décès par cancer. Les modèles statistiques – ajustés pour des variables telles que l’âge, le sexe, les apports caloriques totaux et la qualité nutritionnelle de l’alimentation, ainsi que le niveau d’activité physique et l’IMC – ont permis d’estimer l’association entre chaque « intervalle d’alimentation » et la mortalité (toutes causes et spécifique) :

  • En population générale, les personnes laissant un laps de moins de 8 heures entre le premier et le dernier repas avaient un risque 91 % plus élevé de décéder d’une cause cardiovasculaire que celles répartissant leur repas sur 12 à 16 heures (HR = 1,91 ; IC95 % : 1,20 - 3,03 ; p = 0,006) ;
  • Chez les personnes ayant une maladie cardiovasculaire ou un cancer, ce risque était encore plus élevé, multiplié par 2 à 3 : respectivement un HR de 2,07 (IC95 % : 1,14 - 3,78 ; p = 0,02) et de 3,04 (IC95 % : 1,44 - 6,41 ; p = 0,004).
  • Pour les autres intervalles étudiés, aucune association significative avec la mortalité CV n’a été décelée, à l’exception du laps de 8 à 10 heures chez les personnes ayant une maladie CV, qui augmentait le risque de 66 % (HR = 1,66 ; IC95 % : 1,03 - 2,67).
  • Enfin, aucune association significative n’a été retrouvée entre les intervalles d’alimentation et la mortalité toutes causes ou spécifiquement par cancer en population générale ou ayant une maladie CV ; en revanche, un laps supérieur à 16 heures semblait associé à une diminution du risque de décès par cancer chez les patients ayant un cancer (HR = 0,47 ; IC95 % : 0,23 - 0,95).

Bien que ces résultats doivent encore être confirmés sur d’autres cohortes, ils alertent sur les risques cardiovasculaires de la pratique à long terme du jeûne intermittent restreignant les prises alimentaires à 8 heures sur une journée.

Ces recherches rejoignent par ailleurs les résultats récents d’une étude menée sur la cohorte française NutriNet Santé qui suivait également les participants sur plusieurs années. Elle montrait que le fait de sauter le petit-déjeuner – une pratique courante parmi les adeptes du jeûne intermittent – pouvait augmenter le risque de maladie cardiovasculaire et cérébrovasculaire (le bénéfice CV du jeûne nocturne prolongé n’était retrouvé que lorsqu’il était réalisé avec des prises alimentaires tôt le soir et le matin, soit avant 20 h et avant 8 h respectivement).

Des limites

Outre le fait qu’il s’agit de résultats préliminaires qui n’ont pas encore été évalués par des pairs, le caractère observationnel de l’étude empêche de tirer des conclusions sur un éventuel lien de causalité. 

De plus, l’évaluation des comportements alimentaires à travers deux autoquestionnaires est particulièrement sujette à des biais : ils ne reflètent pas nécessairement les habitudes sur le long terme et ne constituent pas des mesures objectives. Ainsi, la persistance de facteurs de confusion ne peut pas être exclue.

Enfin, certains ont souligné un possible effet de hasard qui incite à la prudence. Sur les plus de 30 analyses statistiques réalisées (car il n’y avait pas un groupe contrôle et un groupe faisant le jeûne intermittent, mais 5 groupes, chacun analysé pour 3 résultats de mortalité), la plupart ne montraient pas d’associations : il est possible que celle observée pour le groupe mangeant moins de 8 heures par jour et la mortalité cardiovasculaire ne soit qu’une anomalie statistique

Pour en savoir plus
Arnst J. 8-hour time-restricted eating linked to a 91% higher risk of cardiovascular death.  Am Hearth Assos 18 mars 2024.
Chen M. P192 – Association Between Time-Restricted Eating and All-Cause and Cause-Specific Mortality. Am Hearth Assos 18 mars 2024.
À lire aussi :
Martin Agudelo L. Dîner et petit-déjeuner tôt réduirait jusqu’à 30 % le risque CV.  Rev Prat (en ligne) 14 décembre 2023.
Martin Agudelo L. Jeûner a-t-il un intérêt « thérapeutique » ?  Rev Prat (en ligne) 31 juillet 2023.

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