Si les troubles du désir sexuel hypoactif touchent davantage les femmes, les hommes ne sont pas épargnés (jusqu’à 8 % d’entre eux seraient concernés, selon certaines études). Aujourd’hui, aucun traitement médicamenteux n’existe pour cette affection. Mais des chercheurs britanniques ont trouvé une piste prometteuse, sous la forme d’un neuropeptide… au nom prémonitoire ? La kisspeptine*.

Le trouble du désir sexuel hypoactif (DSH) chez l’homme est défini dans le DSM-V comme un état persistant ou récurrent de diminution ou absence de fantasmes sexuels et de désir d’activité sexuelle. Pour constituer un trouble, ces symptômes doivent persister depuis au moins 6 mois et provoquer une détresse cliniquement significative (souffrance et/ou difficultés interpersonnelles), et ne doivent pas s’expliquer par un autre trouble psychique ou somatique ni par l’effet de médicaments ou de drogues.

Le DSH toucherait jusqu’à 8 % des hommes, mais aucun traitement pharmacologique n’existe actuellement dans cette indication ; l’utilisation hors AMM des inhibiteurs de la phosphodiestérase 5 (sildénafil, tadalafil, vardénafil, avanafil) – qui sont le traitement de première intention de la dysfonction érectile – est souvent inefficace, car la réponse génitale ne s’accompagne pas forcément d’un désir d’activité sexuelle.

C’est pourquoi des chercheurs britanniques ont évalué, pour la première fois, l’effet de la kisspeptine chez une trentaine d’hommes souffrant de DSH. Les résultats de cet essai randomisé conduit entre janvier et novembre 2021 viennent de paraître dans le JAMA.

Mieux que le placebo pour moduler la réponse sexuelle et favoriser l’érection

La kisspeptine est un neuropeptide secrété par l’hypothalamus, qui intervient dans la régulation d’hormones sexuelles telles que la GnRH, la FH et la LSH. Son utilisation dans d’autres indications est aussi évaluée actuellement, par exemple dans les traitements de l’infertilité chez les femmes.

Dans cet essai randomisé contre placebo en double aveugle, 37 hommes ont été recrutés (dont 32 ont complété l’étude) pour recevoir à deux reprises – espacées d’au moins 7 jours – soit de la kisspeptine-54 par voie IV (1 nmol/kg/h) pendant 75 minutes soit un placebo.

Les participants avaient un âge moyen de 37,9 ans et un IMC moyen de 24,9. Au recrutement, un médecin sexologue confirmait le diagnostic de DSH selon les critères du DSM-V, étayé par des questionnaires psychométriques dont le but était également d’exclure des pathologies confondantes telles qu’un syndrome anxiodépressif ou une dysfonction érectile. Il s’agissait de participants hétérosexuels ayant une relation monogame stable depuis au moins 6 mois, ne prenant aucun traitement ni substance psychoactive depuis au moins 6 mois, et sans antécédents physiques ou psychiatriques. Les critères d’exclusion étaient les suivants : antécédents d’abus, agression ou traumatisme sexuel ; utilisations de médicaments ou traitements phytothérapeutiques visant à augmenter le désir, l’excitation ou la performance sexuelle ; contre-indications à l’IRM.

Pour étudier les effets de l’administration de kisspeptine lorsque les participants étaient exposés à des stimuli sexuels visuels, des analyses physiologiques, comportementales, d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) et hormonales ont été effectués. En particulier, une IRMf était réalisée aux participants durant la perfusion, en même temps qu’ils visionnaient des vidéos à caractère sexuel (d’une part, des vidéos courtes, de 20 secondes, alternées avec des vidéos « contrôle » de personnes réalisant de l’exercice physique, et ce sur un total de 12 minutes ; d’autre part, une vidéo sexuelle longue, de 8 minutes). Les participants répondaient aussi à des questionnaires, au début et à la fin de l’expérience.

Résultats : lors de l’expérience, la kisspeptine a significativement modulé l’activité cérébrale par rapport au placebo, dans des structures du cerveau impliquées dans le traitement de la sexualité. Par exemple, au niveau du gyrus frontal moyen gauche, qui est impliqué dans l’attention : les auteurs en concluent que la kisspeptine peut aider à améliorer l’attention prêtée aux stimuli sexuels, facilitant l’excitation. L’activité a aussi augmenté dans le cortex cingulaire antérieur gauche, impliqué dans la motivation et lié à l’intensité perçue de l’excitation et à l’ampleur des érections. En revanche, dans le parahippocampe bilatéral (région de l’introspection et de l’autocontrôle, pouvant inhiber la réponse sexuelle), l’activité était diminuée.

Par ailleurs, un effet pro-érectile de la kisspeptine a été décrit, la tumescence du pénis ayant augmenté de moitié chez les participants traités (jusqu’à 56 % par rapport au groupe placebo).

Enfin, une corrélation significative a été observée entre la modulation de l’activité cérébrale par la kisspeptine et les mesures comportementales de la fonction sexuelle sur le moment en question : par exemple, plus la kisspeptine augmentait l’activité dans le putamen, plus la perception subjective de l’excitation sexuelle des participants était élevée. D’autres paramètres subjectifs du désir sexuel étaient améliorés, notamment les scores de « bonheur sexuel » (augmentation en moyenne de 0,63 points).

Les auteurs en concluent que, d’après ces résultats prometteurs, la kisspeptine pourrait devenir le premier traitement pharmacologique du trouble du désir sexuel hypoactif chez les hommes, moyennant la réalisation d’autres essais cliniques qui puissent confirmer son efficacité, mais aussi explorer d’autres voies d’administration (sous-cutanée, intranasale) plus avantageuses que la voie IV utilisée dans cette étude.

*La kisspeptine est, en réalité, ainsi nommée car elle est codée par le gène KISS1 qui, à son tour, doit son nom à la ville où il a été découvert en 1996 : Hershey (Pennsylvanie, États-Unis) ou étaient fabriqués les chocolats Kisses de la marque Hershey’s.
Pour en savoir plus
Mills G E, Ertl N, Wall MB, et al. Effects of Kisspeptin on Sexual Brain Processing and Penile Tumescence in Men With Hypoactive Sexual Desire Disorder.  JAMA Netw Open 2023;6(2):e2254313.

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