Le sujet abordé ce jour n’aurait pu l’être il y a encore seulement cinq ans, reflet des évolutions majeures que nous sommes amenés à expérimenter, que ce soit dans le champ médical ou technologique.
Et dans le genre « fossé avec la fac », dur de faire mieux… Je vais parler de la téléconsultation.
La pandémie de Covid-19 a très fortement accéléré le recours à la « visio » en complément de la consultation en présentiel. Les plateformes de secrétariat, devenues quasi incontournables pour la prise de rendez-vous, peinaient à faire accepter ce mode d’exercice. Le confinement de mars 2020 a permis de rendre cette nouvelle technologie indispensable – d’ailleurs proposée gratuitement au début, ne l’oublions pas.
Les instances dirigeantes se sont vite emparées du sujet (grande réactivité sur une évolution venant du terrain pour une fois), y voyant probablement une aide précieuse pour pallier les déserts médicaux, et une réponse rapide de réassurance durant la pandémie.
Du côté du médecin, les avantages existent : la « visio » permet de rémunérer des actes qui ne l’étaient pas, effectués auparavant par simple coup de téléphone (résultats d’un bilan biologique, conseils aux voyageurs, courte prolongation d’un arrêt de travail pour état grippal…) ou encore le partage sécurisé d’ordonnance, à distance d’un rendez-vous récent.
Il devient même difficile de s’en passer : pression des patients qui se sont habitués à disposer d’une consultation sans se déplacer (et souvent avec un délai plus court) et forte pression de l’Assurance maladie (la « visio » est maintenant un item obligatoire dans les rémunérations complémentaires [ROSP, OPTAM]).
Pourtant, après un an de pratique, je reste extrêmement circonspecte sur le progrès que cela représente réellement. En effet, le fondement même de notre pratique de ville et de la relation établie avec les patients dépend d’une présence physique, et surtout d’un besoin pour le patient d’« être là », d’avoir pris au moins quarante-cinq minutes de sa journée pour venir « se poser » chez « son docteur ».
L’examen clinique pose également un vrai problème. L’expérience montre malheureusement que le patient choisit parfois la téléconsultation pour des motifs inadaptés : problème dermatologique, genou douloureux, ou même mal de gorge (certes viral dans plus de 90 % des cas). Alors, oui, il est possible de faire un tri et de rassurer le plus souvent le patient, même sans l’avoir examiné, mais cela implique une augmentation des prescriptions d’examens complémentaires (et c’est d’ailleurs en général ce que le patient a en tête, en prenant un rendez-vous en « visio » : un clic = une IRM du genou pour toute gonalgie ; un clic = un antibiotique pour tout mal de gorge…). Les toutes premières consignes de la DGS lors de la prise en charge en téléconsultation du « patient Covid + » étaient à ce sujet édifiantes (je cite de mémoire) : « Votre patient est-il bleu ? A-t-il l’air de respirer vite ? Tremble-t-il ou est-il au bord du malaise ? » (Les saturomètres étaient alors inexistants à domicile.)
Par ailleurs, à distance, l’écoute du patient n’est pas la même : problèmes techniques de connexion ; indisponibilité psychique puisque le rendez-vous médical est fréquemment calé entre deux réunions (avec aussi une intolérance accrue en cas de retard du praticien, le patient n’ayant pas le sentiment d’être en salle d’attente). Le médecin non plus ne fait pas le même travail d’écoute : certains sujets sont moins faciles à aborder, la« visio » est vite expédiée pour rattraper le retard pris, en allant droit au but puisque le patient consulte comme il ferait une commande au fast-food…
Il suffit d’avoir pratiqué la « visio » pour avoir une petite collection de situations inadaptées à une consultation médicale : connexion du patient en pleine rue (la base…), depuis sa voiture, parfois avec un passager à ses côtés (oublié le secret médical…) ou même depuis un salon de massage (véridique !). Le médecin est alors obligé de recadrer, de rappeler les fondements d’une relation thérapeutique de qualité, et a, dans ce cas, le sentiment que l’éducation de sa patientèle est partie à la poubelle…
En conclusion, la « visio » : un peu, pourquoi pas, mais pas pour tout, pas partout, et pas pour tout le monde !