La loi dite « loi Kouchner » du 4 mars 2002 fête ses 20 ans. Une belle occasion de se pencher sur les avancées, les limites et les perspectives actuelles apportées par ce texte, qui a notamment permis l’émergence des associations de patients et l’affirmation des droits des malades.

« Démocratie sanitaire » : la loi Kouchner du 4 mars 2002 (loi n° 2002-303 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé) a gravé cette expression, forgée quelque temps auparavant, dans le marbre du Journal officiel. Elle symbolise l’aboutissement de la construction d’un édifice juridique et sociétal consacré à l’affirmation des droits des personnes malades et, plus généralement, des usagers du système de santé.
Ce cadre conceptuel apparaît ainsi comme la résultante d’un triple mouvement : la doctrine d’humanisation des hôpitaux qui a été au cœur de la politique hospitalière de 1944 aux ­années 1970,1 les avancées juris­prudentielles de la Cour de cassation et du Conseil d’État des années 1990 et, surtout, l’action associative développée à partir des années 1980 par l’Association de lutte contre le sida et par l’AFM-Téléthon, puis sous l’égide du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) réunissant de très nombreuses associations repré­sentant les malades et les usagers du système de santé.
La notion de démocratie sanitaire a été établie lors de la préparation de la loi du 4 mars 2002 annoncée en 1999 par le Premier ministre lors de la clôture des États généraux de la santé qui se sont tenus en 1998 et 1999. Elle peut être définie comme « une organisation de la société reconnaissant le droit et la capacité de chacun de connaître, décider et agir pour sa santé et la protection de la santé publique ».2 Elle représente aujourd’hui un cadre juridique et sociétal aux multiples facettes et en évolution permanente.

Un cadre juridique et sociétal aux multiples facettes

Une notion dérivée de la démocratie sociale

L’idée de démocratie sanitaire s’est forgée à la confluence de réflexions résultant, d’une part, de l’ébranlement du système de santé provoqué par les drames sanitaires de la fin du XXe siècle et, d’autre part, de la perte d’influence de la démocratie sociale dans le pilotage de l’assurance maladie.3
Les crises de santé publique des ­années 1990 ont fait apparaître les graves carences de la France en matière de santé publique et remis en cause une organisation fondée sur la prééminence du soin et l’imperium médical. Il en a résulté l’émergence de la notion de sécurité sanitaire et le développement d’organismes de santé publique, sous la forme des agences de sécurité sanitaire. Dans la même logique, la place des malades et des autres usagers du système de santé est devenue une problématique du débat public grâce à l’action associative. La loi du 4 mars 2002 constitue, en partie, une réponse à la crise de confiance qui a suivi la révélation du scandale de la transfusion sanguine. L’impératif de la protection de la santé publique a été véritablement affirmé pour la première fois en France par le législateur, et le rôle des usagers et de leurs associations est apparu comme l’une des clés essentielles de cette politique.
Dans le même temps, le schéma de la « démocratie sociale » construit depuis 1945, notamment avec la mise en place des premières élections des administrateurs des caisses de sé­curité sociale en 1947, confiant aux partenaires sociaux une part essentielle de la gestion de la Sécurité sociale, n’a cessé de se dissoudre dans une organisation, du moins pour l’assurance maladie, de plus en plus placée sous l’égide de l’État. La création de la contribution sociale généralisée (CSG) en 1990, l’institution des lois de financement de la Sécurité sociale (LFSS) en 1996 et la transformation des conseils d’administration des caisses d’assurance maladie en simples conseils par la loi du 13 août 2004 ont marqué la capitis diminutio des partenaires sociaux en ce domaine.
Le renouveau de l’organisation du système de santé, caractérisé par l’irruption des associations d’usagers, a ainsi été désigné par le rapprochement du mot « démocratie » et du mot « sanitaire ». La volonté était d’instituer dans le cadre de la démocratie politique, et donc par l’intervention du Parlement, une « démocratie sanitaire » qui constituerait le pendant de la « démocratie sociale » sur le champ de la santé.
La sémantique a ultérieurement donné lieu à d’étonnants et lancinants débats visant à remplacer « démocratie sanitaire » par « démocratie en santé ». L’argumentation développée a souvent été fondée sur le souci de ne pas réduire le mouvement engagé à la rénovation du ­système de soins, voire du système hospitalier, l’adjectif « sanitaire » semblant, pour les tenants de cette thèse, trop restrictif. Il est vrai que la carte sanitaire avait, depuis les années 1970, symbolisé la planification hospitalière. Pourtant, l’adjectif « sanitaire » a une portée extrêmement générale puisqu’il signifie « relatif à la santé publique » et englobe donc la prévention comme les soins mais aussi la promotion de la santé et l’assurance maladie.
De plus, le mot « démocratie » est traditionnellement suivi d’un adjectif : démocratie directe, démocratie représentative, démocratie libérale, démocratie chrétienne, et bien sûr démocratie sociale. Les termes ­« démocratie en santé » heurtent ainsi la construction traditionnelle de l’expression « démocratie en » qui renvoie à une notion géographique comme le célèbre De la démocratie en Amérique, de Tocqueville…
Le législateur a, quant à lui, expressément solennisé la formulation « démocratie sanitaire », en en faisant l’intitulé de son titre II de la loi du 4 mars 2002. Il l’a confirmée dans la LFSS 2015 en confiant au fonds d’intervention régional le soin de financer le « développement de la démocratie sanitaire » (article L1435-8 du code de la santé publique [CSP]) puis dans la loi du 26 janvier 2016 instituant les « territoires de démocratie sanitaire » (article L1434-9 du CSP) avant de créer dans le code de la sécurité sociale (CSS) le Fonds national pour la démocratie sanitaire par la LFSS 2017 (article L221-1-3 du CSS).

Un projet politique multidimensionnel

La démocratie sanitaire est souvent regardée comme le cadre politique de l’expression et de la mise en œuvre des droits des personnes malades.4 Pourtant, dès l’origine, son ambition était – au-delà de l’impérieuse affirmation de tels droits dans un système longtemps placé sous le signe du paternalisme médical et du dialogue exclusif entre l’assurance maladie, les pouvoirs publics et les professions de santé – de promouvoir une conception du système de santé et du champ médicosocial qui donne toute leur place aux personnes malades et aux usagers du système de santé et à leurs associations mais également aux différentes catégories de professionnels de santé et, plus largement, à l’ensemble des intervenants de ce domaine social et économique majeur.
La structure même de la loi du 4 mars 2002 témoigne de cette volonté d’inscrire dans la législation une démo­cratie participative réunissant l’ensemble des acteurs. Il faut se souvenir que le titre de la loi consacré à la ­démocratie sanitaire comporte six chapitres. Il s’ouvre, sans surprise, sur un chapitre dédié aux droits de la personne comportant l’affirmation du droit fondamental à la protection de la santé, du droit au respect de la dignité, du principe de non-discrimination dans l’accès à la prévention ou aux soins et du secret médical. Il établit également le droit de toute personne à recevoir les soins les plus appropriés et à bénéficier « des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées », « compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert » (article L1110-5 du CSP).
Le chapitre suivant est intitulé « Droits et responsabilités des usagers ». Il marque l’équilibre recherché par la loi entre les droits et les responsabilités. Il commence par un article, que l’on oublie trop souvent, affirmant que « les droits reconnus aux usagers s’accompagnent des responsabilités de nature à garantir la pérennité du système de santé et des principes sur lesquels il repose ». Suivent des articles énonçant le droit à l’information et le droit de toute personne de prendre « avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit les ­décisions concernant sa santé », droit traditionnellement qualifié de codécision en matière de santé. Il reconnaît également le droit de désigner une personne de confiance et le principe de la création, dans chaque établissement de santé, d’une commission chargée des relations avec les usagers. Enfin, il énonce la mesure emblématique de la loi de 2002 : l’accès direct au dossier médical, supprimant ainsi l’obligation, qui a prévalu jus­qu’en 2002, du recours au tiers médical pour prendre connaissance des informations qu’il contient. Il est inutile de souligner que les responsa­bilités de la personne en matière de santé ne se limitent pas aux dispositions de ce chapitre. Le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale fourmillent de dispositions faisant peser sur les usagers des obligations.5 De l’obligation de cotiser à l’assurance maladie au paiement du ticket modérateur et des forfaits, des règles d’observance pouvant conditionner le remboursement (par exemple l’article L324-1 sur les affections de longue durée) aux obligations vaccinales et aux injonctions thérapeutiques, la législation sanitaire ne se résume pas aux droits des personnes !
Le troisième chapitre est également au cœur de la démocratie sanitaire puisqu’il reconnaît le droit aux usagers de participer au fonctionnement du système de santé, notamment à travers leurs associations. Pour faciliter et encadrer cette participation, le législateur a institué un agrément délivré aux niveaux national et régional visant à garantir une forme de représentativité aux associations et à éviter leur manipulation par des acteurs économiques mais aussi les dérives sectaires, fréquentes dans le champ de la santé. La loi a accompagné cette reconnaissance de la possibilité, pour les associations agréées, d’exercer dans certains cas les droits reconnus à la partie civile devant les tribunaux et a établi un droit au congé de représentation pour les représentants des usagers dans certaines instances. Après les droits individuels, ce sont donc les droits collectifs qui ont été inscrits dans la législation.
Les trois autres chapitres sont moins connus et méritent pourtant l’attention. Le quatrième, intitulé « Responsabilités des professionnels de santé », a fait de la prévention des conflits d’intérêts des professionnels de santé une composante à part entière de la démocratie sanitaire. Il a posé le ­principe des déclarations publiques d’intérêts en cas de participation aux instances de santé publique et a même imposé aux membres des professions médicales de « faire connaître au public lorsqu’ils s’expriment lors d’une manifestation publique ou dans la presse écrite ou audiovisuelle » sur des produits de santé les liens qu’ils peuvent avoir avec les industries les produisant ou les exploitant.
Les deux derniers chapitres, malheureusement oubliés car ils n’ont jamais été mis en œuvre avant d’être abrogés par la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique (loi n° 2004-806 relative à la politique de santé publique), étaient respecti­vement intitulés « Orientations de la politique de santé » et « Organisation régionale de la santé ». Ils prévoyaient la mise en place de conseils régionaux de la santé réunissant l’ensemble des acteurs du système aux fins de réaliser chaque année une évaluation de l’application de la politique de santé dans chacune des régions et de proposer au gouvernement des orientations pour l’année suivante. Sur la base de ces propositions, le gouvernement devait établir des « orientations de la politique de santé », en vue notamment de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS). L’ambition était de faire ­débattre par le Parlement, chaque année au début de l’été, des grands axes de la politique de santé avant qu’il n’en transcrive les conséquences financières à l’automne dans le PLFSS.
Enfin, le législateur a implicitement inclus dans le développement de la démocratie sanitaire, même si ces dispositions font l’objet d’un titre séparé dans la loi, la réforme cruciale de l’indemnisation des accidents médicaux, uniformisant les règles applicables dans le secteur privé comme dans le secteur public et invitant ainsi à une jurisprudence convergente de la Cour de cassation et du Conseil d’État. Il a, dans ce cadre, établi le régime essentiel de l’indemnisation de l’aléa thérapeutique en étendant très significativement le cadre restrictif établi par le Conseil d’État en 1993 (Conseil d’État, assemblée du contentieux, 9 avril 1993, 69336) et qui ne pouvait s’appliquer en cas d’accident dans le secteur privé comme l’avait constaté la Cour de ­cassation en 2000 (Cour de cassation, 8 novembre 2000, n° 99-11735).

Une notion en évolution permanente

Un « prurit » législatif volontariste et convergent

Vingt ans après la loi du 4 mars 2002, force est de constater que cette législation, malgré la rupture qu’elle a constituée et les oppositions qu’elle a pu susciter lors de son élaboration,6 n’a pas été remise en cause. Elle est même restée exceptionnellement stable dans ses principes fondamentaux ; les articles du début du code de la santé publique qui en résultent n’ont en effet été modifiés qu’à la marge. En revanche, la déclinaison des droits des personnes malades et des usagers constitue un mouvement législatif d’ampleur lorsqu’on le replace dans une perspective historique.
Au-delà des premières circulaires et arrêtés ministériels fondant la doctrine de l’humanisation des hôpitaux1 en 1944, puis en 1958 et 1970,7 la charte du malade hospitalisé du 20 septembre 1974, publiée en annexe d’une circulaire par Simone Veil, a marqué la première étape de ce mouvement qui a abouti à l’inscription du principe de droits des personnes hospitalisées8 dans d’un cadre législatif par la loi hospitalière du 31 juillet 1991 à l’initiative de Claude Évin. En parallèle, d’autres textes ont jalonné cette évolution, tout d’abord la loi du 20 décembre 1988 relative à la protection des personnes qui se prêtent à des recherches biomédicales, ensuite la loi du 27 juin 1990 relative aux droits et à la protection des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux et à leurs conditions d’hospi­talisation. Quant à la réforme de la Sécurité sociale de 1995 et 1996 – le « plan Juppé » –, elle a, par l’ordonnance du 24 avril 1996 portant réforme de l’hospitalisation publique et privée (n° 96-346), introduit pour la première fois une représentation des usagers dans les conseils d’administration des hôpitaux (article L714-2 du CSP résultant de l’article 42 de l’ordonnance n° 96-346).
Depuis la loi du 4 mars 2002, le flux des textes a été incessant. Le législateur a affiné certaines dispositions de la loi Kouchner et les a complétées pour prendre en compte des situations particulières lorsque les droits des malades appellent un encadrement législatif spécifique. À la suite des premières lois de bioéthique de 1994, les lois les révisant en 2004, 2011 et 2021 ont constitué des étapes solennelles sur ce chemin en confirmant notamment le principe du respect du droit à la dignité et du consentement. Les lois du 22 avril 2005 relatives aux droits des malades et à la fin de vie du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des personnes malades et des personnes en fin de vie ont introduit des dispositions essentielles.
De plus, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires (HPST, n° 2009-879) a ajusté certaines dispositions relatives à la démocratie sanitaire avant que la loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé (n° 2016-41), qui constitue la véritable secon­de loi sur les droits des malades du fait de la trentaine de dispositions qu’elle contient sur ce thème, ne ­traduise de nouvelles avancées. La loi de 2016 a en particulier institué l’Union nationale des associations agréées d’usagers du système de ­santé (Unaass), plus connue sous le sigle France Assos Santé, qui réunit un grand nombre des associations majeures d’usagers du système de santé. Quant aux LFSS pour 2015 et 2017, elles sont intervenues pour améliorer le financement de la démocratie sanitaire.

Une construction associative laborieuse et menacée

La continuité législative constatée depuis deux décennies ne doit pourtant pas occulter les difficultés d’établissement et de déploiement de la démocratie sanitaire. Son principe même a suscité bien des résistances, et les réalités du fonctionnement du système de santé comme des associations d’usagers ont retardé, parfois même entravé, la mise en œuvre des ambitions du législateur et, plus encore, les initiatives de la société civile et des organismes professionnels.
La montée en puissance des associations de malades et d’usagers du système de santé est sans doute le phénomène le plus marquant de l’histoire du système de santé depuis les années 1980. Si la tradition associative est ancienne en matière de santé – il suffit de songer à la création de la Ligue contre le cancer en 1918, de l’Association française des diabétiques en 1938, de l’Association française des hémophiles en 1955 ou de la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (Fnair) en 1972 –, ces associations reposaient sur le principe d’une action commune réunissant les médecins spécialisés dans une pathologie et les malades ou familles de malades.
La création des associations de lutte contre le sida et, parallèlement, le développement de l’Association française contre les myopathies (AFM) et le succès du Téléthon ont fait surgir un nouveau mode d’organisation des usagers du système de santé, caractérisé par une autonomie des acteurs associatifs par rapport au corps médical. Les associations de lutte contre le sida (notamment Actions Traitements, Act Up-Paris, Aides, et Arcat sida) sont devenues des interlo­cuteurs privilégiés des pouvoirs ­publics, contribuant de manière ­décisive à la prise en charge de la ­maladie. L’AFM a su, pour sa part, imposer la prise en compte des maladies rares dans la politique de santé.
Cette dynamique s’est progressi­vement étendue à l’ensemble des grandes associations, au point de ­légitimer leur représentation dans es instances hospitalières en 1996. Un an plus tard, un collectif inter­associatif sur la santé (Ciss) a été constitué, réunissant des associations aussi importantes que variées : la Ligue nationale contre le cancer, ­l’Association française des diabétiques, l’Association française des hémophiles, Aides, Le Lien, l’Union nationale des associations familiales (Unaf), l’Association des accidentés de la vie (Fnath), l’Union nationale des associations de parents, de personnes handicapées mentales et de leurs amis (Unapei), l’Union fédérale des consommateurs (UFC-Que choisir)…
Il reste que le manque de moyens des associations de patients fait, depuis l’origine, l’objet de nombreux débats. Si les associations agréées d’usagers du système de santé bénéficient de certaines prérogatives, comme le droit au congé de représentation ou à la formation pour leurs membres (articles L1114-3 et L1114-1 du CSP), elles se trouvent néanmoins placées dans une situation délicate puisque les textes les invitent à représenter les usagers dans de très nombreuses instances, correspondant à plusieurs milliers de postes,10 et à être consultées sur des centaines de projets alors que leurs moyens matériels restent extrêmement modestes.
En 2011, un rapport d’Alain-Michel Ceretti et Laure Albertini a souligné l’insuffisance des financements publics, attribués pour l’essentiel par les agences régionales de santé sur le fonds d’intervention régional (FIR).11 La LFSS 2015 (article 50) a apporté une réponse partielle aux attentes des associations en matière de financement en habilitant la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts) à financer les actions des associations d’usagers du système de santé agréées. L’objectif était également de couper court aux critiques soulignant la part du financement des associations émanant des industries de santé.
La loi du 26 février 2007 (n° 2007-248) portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine du médicament a d’ailleurs imposé à ces industries « de rendre publics la liste des associations de patients et le montant des aides de toute nature qu’elles leur versent ». Mais faute de décret d’application, la disposition n’est pas entrée en ­vigueur. La loi HPST de 2009 a alors confié à la Haute Autorité de santé (HAS) le soin de publier la liste des aides versées par les industries de santé aux associations de patients et d’usagers du système de santé. Cette démarche a été complétée par les dispositions du « Sunshine Act » de la loi du 30 décembre 2011 (n° 2011-2012) relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, qui fait obli­gation aux entreprises produisant et commercialisant des produits ­sanitaires et cosmétiques de rendre publique l’existence de conventions conclues notamment avec les asso­ciations d’usagers du système de ­santé (article L1453-1 du CSP).
Ce souci de transparence et de neutralité du financement des associations d’usagers du système de santé comme les préoccupations relatives à l’insuffisance de leurs moyens ont donné lieu à de nouvelles réflexions en 2014 dans le cadre du rapport de Claire Compagnon « Pour l’An II de la démocratie sanitaire ».12 Reprenant la proposition du groupe de travail présidé par Alain Cordier sur la stratégie nationale de santé tendant à la création d’une « instance repré­sentative des associations des usagers du système de santé », le rapport a proposé un financement par l’assurance maladie : « Le Parlement, à travers le vote de l’Ondam, attribuerait une ­dotation à la structure de représentation démocratique des usagers du système de santé. » Pour justifier ce financement, Claire Compagnon évaluait le nombre des réunions auxquelles des représentants des usagers du système de santé sont conviés chaque année à 240 000 et aboutissait, après prise en compte des frais de transport et de formation, à un besoin d’une vingtaine de millions d’euros.
À la suite de la création de l’Unaass, actuellement présidée par Gérard Raymond et connue sous l’appellation France Assos Santé, une nouvelle ­mission a été confiée le 24 février 2016 à Édouard Couty, conseiller maître honoraire à la Cour des comptes. L’une des principales conclusions de son rapport, rendu public en 2016, tendait à l’attribution par la puissance publique de crédits pour la formation des représentants des usagers et des acteurs associatifs. Le fonds pour la démocratie sanitaire institué par la LFSS 2017 (article L221-1-3 du CSS résultant du II de l’article 70 de la LFSS 2017) a mis en œuvre cette préconisation. L’étude d’impact du PLFSS rappelait l’importance des missions des associations agréées et précisait que près de 7 000 représentants d’usagers devaient siéger au sein des instances hospitalières de santé publique. L’enjeu du fonds était ainsi le financement des 140 associations agréées au niveau national et des 300 associations agréées au niveau régional.
Malgré cette construction laborieuse d’un cadre juridique et financier pour l’intervention des associations d’usagers, la question de la réalité de la démocratie sanitaire dans les différents territoires, en dépit de l’appellation de territoires de sécurité sanitaire résultant du code de la ­santé publique (articles L1434-9 et R1434-29 du CSP), et dans les multiples instances sanitaires reste posée.13 Elle fait apparaître des situations très disparates, notamment en ce qui concerne le fonctionnement des conférences régionales de la santé et de l’autonomie (article L1432-4 du CSP) et des conseils territoriaux de santé (article L1434-10 du CSP). Sur le plan national, la voix des associations retentit désormais régulièrement dans le débat public, et leur présence est de plus en plus systématique dans les instances sanitaires. Un éminent représentant des usagers, Christian Saout, a d’ailleurs été nommé dans le collège de la HAS.
Pour autant, on peut s’interroger sur les effets de la consultation des associations de malades et d’usagers du système de santé dans l’élaboration au jour le jour de la politique de santé. Si la préparation de nombreux textes donne lieu à des échanges avec les associations concernées et, pour les mesures de plus grande ampleur, avec France Assos Santé, l’expérience de l’épidémie de Covid-19 montre que les rouages de la démocratie sanitaire peuvent parfois être grippés. Une refondation de l’articulation de la démocratie sanitaire avec l’action de l’assurance maladie, la démocratie sociale, et les interventions des pouvoirs publics dans le cadre de la démocratie politique devra sans doute être envisagée à l’avenir.

Perspectives : la démocratie sanitaire comme un préalable

Si la loi du 4 mars 2002 a pu marquer, il y a vingt ans, l’aboutissement d’un long processus d’affirmation des droits de la personne malade, elle doit être regardée aujourd’hui comme l’amorce, et peut-être la condition, d’un rétablissement ­durable de la confiance dans le ­système de santé. Après la succession de drames de sécurité sanitaire qu’a connus notre pays depuis les années 1990, les difficultés croissantes que rencontre le système de santé dans un contexte économique et social difficile et, désormais, après l’expérience sans précédent de l’épidémie de Covid-19, la politique de santé ne peut qu’occuper au cours des prochaines décennies une place renouvelée. Elle pourrait même s’immiscer dans l’ensemble des politiques publiques avec le dévelop­pement du concept de la santé dans toutes les politiques (Health in all policies/politics [HiAP]) porté par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et l’Union européenne (UE).
De surcroît, les perspectives de la santé numérique, de l’intelligence artificielle (IA) et des nouveaux champs scientifiques, de la médecine de préemption à la médecine personnalisée, devraient conduire les débats de société à s’emparer des enjeux éthiques et technologiques des bouleversements annoncés. Plus que jamais, les délibérations et décisions devront associer l’ensemble des partenaires de la santé, les structures professionnelles, les organisations syndicales, les autorités politiques et les associations d’usagers du système de santé. L’avenir qui se dessine doit ainsi donner toute sa place à la démocratie sanitaire, en lien avec la démocratie sociale et dans le creuset fondamental de la démo­cratie politique. 

Références

1. Laude A, Tabuteau D. Les Droits des malades. Paris : PUF, coll. « Que sais-je ? », 2016.
2. Tabuteau D. Premier Forum de l’Institut pour la démocratie en santé, 2016.
3. Tabuteau D. Démocratie sanitaire. Les nouveaux défis de la politique de santé. Paris : Éditions Odile Jacob, 2013.
4. Saout C. La Démocratie sanitaire. Paris : Éditions de santé, 2017.
5. Tabuteau D. Santé et devoirs sociaux. Revue de droit sanitaire et social, n° 1, janvier-février 2009.
6. Tabuteau D. Les Contes de Ségur : les coulisses de la politique de santé (1988-2006). Paris : Ophrys santé, 2006.
7. Rapport « L’humanisation des hôpitaux » du groupe de travail présidé par Bernard Ducamin. Pour une politique de santé, ministère de la Santé publique et de la Sécurité sociale, juillet 1970.
8. Compagnon C, Sannié T. L’Hôpital : un monde sans pitié. Paris : L’Éditeur, 2012.
9. Guillaume-Hofnung M (dir). Droits des malades. Vers une démocratie sanitaire. Paris : La Documentation française, 2003.
10. Fiche thématique du Ciss n° 41, « Où siègent les représentants des usagers du système de santé ? ». Collectif interassociatif sur la santé, 2011.
11. Ceretti AM et Albertini L. Bilan et propositions de réformes de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, 2011.
12. Compagnon C. Pour l’An II de la démocratie sanitaire, 2014.
13. Beurton J, Laude A, Tabuteau D (dir). La Démocratie sanitaire (ouvrage numérique). IDS Université Paris-Descartes, décembre 2017.

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Résumé

La notion de « démocratie sanitaire », apparue dans les années 2000 et consacrée par la loi Kouchner du 4 mars 2002, a progressivement constitué un cadre juridique et sociétal donnant davantage de place aux personnes malades, et plus généralement aux usagers du système de santé et aux associations les représentant. Ce cadre a été régulièrement conforté par le législateur, mais la pratique de la démocratie sanitaire suscite toujours des réticences et rencontre de nombreux obstacles.