Transmise principalement par la femelle du moustique Aedes aegypti, la dengue est la cause principale de fièvre au retour des tropiques.1 Le virus a 4 sérotypes (DENV-1 à 4). Augmentation des voyages internationaux, changement climatique, expansion progressive d’un autre de ses vecteurs, Aedes albopictus) en France continentale : la probabilité d’y être confronté est de plus en plus élevée.

Une maladie émergente

La dengue est devenue, ces dernières années, la première infection transmise par les moustiques. On estime qu’elle touche actuellement plus de 120 pays et qu’elle est responsable d’environ 39 millions de cas et de 500 000 hospitalisations par an. On la retrouve dans quasiment tous les pays tropicaux et subtropicaux. Cependant, sa distribution géographique s’est étendue de façon importante, notamment dans des zones tempérées toujours plus éloignées des tropiques.
Chaque année, entre 100 et 300 infections sont diagnostiquées en France métropolitaine, dont la grande majorité sont importées des territoires d’outre-mer.
On compte également 31 cas autochtones dans le sud de la France (généralement pendant l’été) depuis 2014, à cause de l’implantation de l’un des vecteurs, A. albopictus ou « moustique tigre », dans 51 départements de l’Hexagone (fig. 1).
Cette maladie émergente est en pleine expansion en Amérique latine. À La Réunion, plus de 17 000 infections ont été confirmées entre janvier et août 2019. En Guadeloupe, Martinique et Guyane, seulement quelques dizaines de cas cliniquement évocateurs dont quelques-uns prouvés microbiologiquement ont été rapportés depuis le début de l’année.

Manifestations cliniques

La dengue est asymptomatique dans 50 à 90 % des cas. Lorsque les symptômes se manifestent, ils surviennent après une période d’incubation de 4 à 7 jours, l’infection se manifeste par une fièvre élevée associée à des myalgies et des arthralgies généralisées, céphalées et, rarement, un exanthème diffus. La majorité des patients guérissent sans complications.
Moins de 5 % des malades développent une forme sévère : vers le 5e jour après le début des symptômes, lorsque la fièvre disparaît, la perméabilité capillaire augmente, entraînant une fuite plasmatique et, dans les cas les plus graves, un choc hypovolémique. Des altérations de la coagulation (thrombopénie) et des saignements spontanés sont possibles. Enfin, indépendamment de l’atteinte hémorragique et hémodynamique, l’infection peut toucher certains organes, principalement le foie (hépatite aiguë, voire fulminante) et le système nerveux (méningite, encéphalite, syndrome de Guillain-Barré). Cette période, appelée phase critique, dure en général 2 jours au bout desquels, en l’absence de nouvelles complications, la maladie est résolue.
Certaines anomalies du bilan biologique sont fréquentes, même en l’absence de forme sévère : thrombopénie généralement modérée, élévation des transaminases, normo- ou leucopénie, TCA un peu allongé avec une CRP normale ou légèrement augmentée.
Attention, une CRP élevée doit faire évoquer un diagnostic alternatif ou associé : paludisme, infection bactérienne. Enfin, une élévation rapide de l’héma- tocrite accompagnée d’une diminution rapide des plaquettes est un signe d’alerte (cf. infra).

Repérer les formes sévères

En l’absence de traitement spécifique, l’un des principaux objectifs est d’identifier précocement les signes de gravité,2
listés par l’OMS en 2009 :
– infection avec fuite plasmatique, se manifestant par hépatomégalie, élévation de l’hématocrite, accumulation des liquides dans les espaces corporels, hémorragies des muqueuses ;
– état de choc (dû à la fuite plasmatique) [fig. 2], saignements ou atteintes organiques sévères.
L’infection par un sérotype induit une immunité contre celui-ci mais seulement une protection brève (environ 3 mois) contre les 3 autres. L’exposition ultérieure à une souche différente est le principal facteur de risque de développer une dengue sévère (90 % des cas).
Bien que le mécanisme en cause ne soit pas tout à fait élucidé, l’hypothèse la plus probable est la « facilitation de l’infection par des anticorps » (ADE Antibody-Dependent Enhancement). Ces derniers, produits lors d’une infection antérieure, faciliteraient l’entrée du nouveau virus dans les cellules cibles (monocytes, macrophages et cellules dendritiques) augmentant sa réplication et induisant une réponse inflammatoire plus élevée, responsable de la fuite plasmatique.3
Certaines populations auraient un risque accru de dengue sévère : femmes enceintes (hémorragie péripartum et accouchement prématuré possibles en cas d’infection au troisième trimestre), enfants de moins de 1 an et personnes atteintes de drépanocytose (homo- et hétérozygote).4

Diagnostic : biologique

Jusqu’au cinquième jour de fièvre, le diagnostic est direct : détection de l’ARN du virus par PCR ou d’une protéine virale, l’antigène NS1.
La PCR, de grande sensibilité et spécificité, est peu disponible dans les pays à ressources limitées. En revanche, le dosage de l’antigène NS1, plus accessible, a une sensibilité supérieure à 90 % en cas de primo-infection, mais de seulement 60 % si l’infection est secondaire.
Quatre à cinq jours après le début des signes, la virémie disparaît.
On privilégie alors les tests sérologiques : détection des IgM (technique ELISA), retrouvés à partir du 3e jour de fièvre, et des IgG qui apparaissent après plusieurs semaines. Ces tests sont facilement disponibles et peu coûteux. Ils permettent aussi de différencier une infection primaire d’une secondaire (la recherche des IgG est très rapidement positive). Inconvénients : une deuxième analyse comparative est à effectuer durant la convalescence si les premiers résultats sont négatifs ; des faux positifs sont possibles, par réaction croisée avec d’autres flavivirus comme le Zika, dans les zones où les 2 souches circulent.
Des tests de diagnostic rapide (TDR), capables de détecter anticorps IgM et IgG et antigène NS1 au chevet du patient, sont aussi disponibles.
En cas de fièvre au retour des tropiques, certaines pathologies dont la clinique est similaire doivent être systématiquement recherchées : paludisme, lepto- spirose, fièvre typhoïde et paratyphoïde, primo-infection VIH.

Prise en charge : symptomatique

Aucun traitement – corticoïdes, chloro- quine, antiviraux – n’étant efficace, l’identification des cas à risque ou compliqués est essentielle.
L’OMS a édité des guidelines spécifiques : à l’aide de l’examen physique et d’une numération sanguine, les cliniciens doivent évaluer l’état hémodynamique et le degré d’hydratation, détecter les hémorragies et les signes de fuite plasmatique. En l’absence de signes d’alarme, le patient peut être traité en ambulatoire avec une réhydratation par voie orale (l’adresser en consultation de médecine tropicale) ; dans le cas contraire, une hospitalisation est nécessaire pour hydratation intraveineuse et surveillance étroite de l’état hémodynamique.

Vaccination : où en est-on ?

Dengvaxia a été le premier vaccin à obtenir une licence d’utilisation.
Dans plusieurs essais cliniques menés chez plus de 35 000 enfants originaires de pays à haute prévalence, il a montré une efficacité de 60 % dans la prévention de la dengue symptomatique. Ainsi, ce vaccin vivant atténué a été autorisé en 2016 par le Brésil, le Salvador, le Paraguay et les Philippines, et des campagnes de vaccination massive ont été mises en place.
Cependant, fin 2017, de nouvelles données ont montré que les enfants de moins de 9 ans, qui étaient séronégatifs au moment de la vaccination, avaient un risque plus élevé d’hospitalisation que les non vaccinés en cas d’infection. Un phénomène identique a été décrit chez les adultes n’ayant jamais eu d’épisode préalable de dengue. Le vaccin pourrait entraîner, comme le virus en cas de primo-infection, un risque accru de forme sévère lors d’une infection ultérieure.
Compte tenu de ces résultats, Deng-vaxia peut être proposé uniquement chez les personnes de plus de 9 ans ayant eu une exposition ancienne au virus de la dengue, confirmée par des tests séro- logiques. Il est donc peu utile dans des campagnes de vaccination massive, ainsi que pour les voyageurs européens. Plusieurs autres candidats sont en cours d’évaluation.
Encadre

Dengue : que dire aux voyageurs ?

Mesures préventives pour éviter les piqûres de moustiques (spécialement à l’intérieur des habitations et durant la journée, les Aedes étant des moustiques diurnes) : vêtements longs, répulsifs ; moustiquaires pour les enfants en bas âge, les personnes alitées et celles atteintes de la dengue.

• Lutte contre les gîtes larvaires : déchets (pneus, électroménager...), coupelles de pots de fleurs, gouttières, réservoirs d’eau, etc.

Déconseiller les voyages en zone d’épidémie aux personnes les plus fragiles.

Évoquer le diagnostic en cas de symptômes au cours ou au retour d’un voyage en zone d’endémie ; y penser même en France métropolitaine, dans les régions du sud, notamment l’été.

Références
1. Schwartz E, Weld LH, Wilder-Smith A, et al. Seasonality, annual trends, and characteristics of dengue among ill returned travelers, 1997-2006. Emerg Infect Dis 2008;14:1081-8.
2. OMS, UNICEF, PNUD, Banque mondiale. Guide pour la prise en charge clinique de la dengue; 2013: 104 p. https://bit.ly/2OStkbf
3. Wilder-Smith A, Ooi EE, Horstick O, Wills B. Dengue. Lancet 2019;393:350-63.
4. Espindola Gomez R, Epelboin Y, Melzani A, Mosnier E, Djossou F, Epelboin L. La dengue : quoi de neuf en 2019 ? La Lettre de l’Infectiologue 2019;3 (juin 2019).https://bit.ly/38JwgjH
5. Sridhar S, Luedtke A, Langevin E, et al. Effect of Dengue Serostatus on Dengue Vaccine Safety and Efficacy. N Engl J Med 2018;379:327-40.

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essentiel

La dengue risque de devenir à court terme une maladie fréquente dans les zones tempérées, en particulier l’été.

Le virus progresse grâce à l’expansion territoriale de ses vecteurs, Aedes aegypti et Aedes albopictus.

Réhydrater et repérer les patients à risque de forme sévère.

Accroître la surveillance au 4 ou 5 jour, lors de la tombée de la fièvre.