La dermatoscopie suscite un intérêt grandissant chez le généraliste, de plus en plus sollicité pour des problèmes dermatologiques. Cet outil simple et non invasif permet, dès le premier contact médical, d’améliorer le diagnostic et ainsi la prise en charge.
Dépistage des tumeurs
Depuis une vingtaine d’années, la dermatoscopie (ou dermoscopie) s’est imposée chez les dermatologues pour le dépistage précoce du mélanome et le diagnostic des cancers cutanés.
C’est sur le terrain des tumeurs pigmentées qu’elle s’est en premier lieu développée, notamment pour le diag- nostic précoce du mélanome dont l’incidence est en constante augmentation depuis plus de 30 ans. Dans son rapport de 2006, réactualisé en 2012, la HAS souligne l’intérêt, largement confirmé dans la littérature1 de la « dermoscopie, ou microscopie de surface » pour le dépistage du mélanome de faible épaisseur : elle améliore son diagnostic par rapport à l’examen clinique seul, qui méconnaît 10 à 30 % d’entre eux ; elle permettrait d’éviter 50 % des exérèses de tumeurs bénignes.2 À signaler également, des variations de résultats en fonction des lésions et de l’expérience du médecin. Les dermatologues ont vu ainsi exploser leur activité de dépistage.
Le rôle du généraliste dans le dépistage précoce du mélanome était principalement d’identifier les patients à risque (phototype clair, notion de brûlures solaires dans l’enfance, nombreux nævus communs ou atypiques), afin de les orienter vers leur confrère dermatologue. Toutefois, la baisse progressive des effectifs en dermatologie a conduit à un allongement important des délais de rendez-vous, qui place de plus en plus souvent le praticien en première ligne pour le repérage des tumeurs cutanées.
Ainsi, ce dernier doit identifier plus sûrement des lésions, en particulier cancéreuses, afin d’apprécier s’il faut solliciter ou non l’expertise d’un dermatologue d’une part, et le degré d’urgence du rendez-vous d’autre part.
L’Australie est, en l’occurrence, un modèle pour l’utilisation de la dermatoscopie en médecine générale. Dans ce vaste territoire très touché par le mélanome, les praticiens ont recours à la télédermatologie et télédermatoscopie via leur smartphone depuis plusieurs années. Les images sont envoyées vers les centres de dermatologie.
Ce compagnon indispensable à l’examen clinique dermatologique s’est donc imposé progressivement. Les indications se sont étendues aux tumeurs non pigmentées : les dermatoses du cuir chevelu (trichocopie) et les parasitoses (entomoscopie). La dermatoscopie de la gale est la plus utile en médecine générale (
Son principe : la transillumination
Cette technique – épiluminescence ou transillumination – non invasive permet l’inspection de structures dermo-épidermiques ou dermiques à l’aide d’un dermatoscope à main (
Elle est réalisée au contact de la peau avec un liquide d’immersion (le plus souvent de l’alcool) afin de supprimer les reflets, ou sans appui grâce à des filtres (lumière polarisée), permettant en outre de mieux visualiser les structures plus profondes (en particulier les vaisseaux).
Que voit-on au dermoscope ?
Sept couleurs sont identifiables : noir, brun, gris, bleu, rouge, blanc et jaune.
Le chromophore le plus important dans les lésions pigmentées est la mélanine. Sa couleur dépend de l’étage où elle se situe dans la peau : du noir au bleu de la couche cornée en allant vers le derme réticulaire. Le rouge, lié à l’hémoglobine, est associé aux vaisseaux sanguins, le blanc à de la fibrose lors de processus de régression ou de phénomène de cicatrisation ; et le jaune correspond à des squames des lésions kératinocytaires hautes.
Dans les lésions pigmentées, des structures élémentaires sont visibles (lignes, pseudopodes, cercles, points, mottes ou globules). Ces éléments s’organisent pour donner un patron dermoscopique qui dépend de la nature de la l’atteinte (mélanocytaire ou non ;
Pour les lésions dépourvues de pigment mélanique, une sémiologie des vaisseaux (patrons vasculaires) est venue enrichir celle de la dermoscopie grâce à l’arrivée de la polarisation.
Le diagnostic au bout du dermatoscope ?
De nombreux algorithmes permettent d’orienter la démarche diagnostique. La Société internationale de dermoscopie (IDS) recommande une procédure en 2 étapes (
étape 1 : il s’agit de distinguer, par élimination, les atteintes mélanocytaires de celles non mélanocytaires (analyse des patrons modifiée de Marghoob).4
Devant une lésion pigmentée, on recherche dans l’ordre les éléments et patrons caractéristiques :
– d’une lésion mélanocytaire (étape 1 niveau 1) ou d’un dermatofibrome ;
– d’un carcinome basocellulaire tatoué (étape 1 niveau 2) ;
– d’une kératose séborrhéique (étape 1 niveau 3) ;
– d’un angiome (étape 1 niveau 4).
Pour les atteintes dépourvues de pigment, on explore l’architecture des vaisseaux (patrons vasculaires) pour identifier des structures vasculaires spécifiques de certaines tumeurs bénignes ou malignes (étape 1 niveau 5) :
– arborescents : carcinome basocellulaire (a) ;
– en forme de glomérules : maladie de Bowen (b) ;
– en épingle : carcinome malpighien (c) ;
– en couronne : adénome sébacé (d) ;
– en collier de perles : acanthome à cellule claire (e) ;
– patron vasculaire fraisé : kératose actinique (f).
Un polymorphisme vasculaire (étape 1 niveau 6), c’est-à-dire des vaisseaux en virgules, points, serpentins, épingles, polymorphes et aires rouge laiteux, doit en revanche faire suspecter un mélanome parfois achromique.
Enfin, devant un patron non identifiable, une lésion mélanocytaire est retenue, par défaut (
L’étape 2 consiste, lorsqu’il s’agit d’une origine mélanocytaire, à déterminer son degré de malignité.
Cette phase plus délicate requiert expérience et méthodes d’analyse assez complexes. Ces dernières ont néanmoins été simplifiées pour être utilisables en médecine générale.
La check-list en 3 points a une bonne sensibilité, au détriment néanmoins de sa spécificité.5 Ainsi, l’asymétrie de couleur ou de structure, le réseau pigmentaire atypique et la couleur, blanche ou bleue, permettent d’évaluer la gravité d’une lésion.
Un score supérieur ou égal à 2 doit faire évoquer un mélanome (
Formation : indispensable
Si l’intérêt de la dermatoscopie est démontré, la pertinence du diagnostic dépend du niveau d’expertise du praticien et par conséquent oblige à un apprentissage. Pratiquée par un médecin non entraîné, cette technique peut s’avérer contre-productive. Une formation solide et une pratique fréquente sont donc essentielles.
Plusieurs ouvrages existent maintenant en langue française. Des formations continues pour les généralistes sont proposées. Des applications en ligne sont disponibles pour l’autoformation et l’auto-évaluation.
Le recours à l’expertise d’un confrère dermatologue est fortement conseillé en début de pratique. Cette « télédermoscopie » se fait via des mails sécurisés, des SMS ou messageries instantanées.
Enfin, des systèmes intégrant de l’intelligence artificielle sont en cours de développement.
1. Braun RP, Rabinovitz H, Oliviero M, Kopf AW, Saurat JH, Thomas L. Dermoscopie des lésions pigmentées. Ann Dermatol Venereol 2002;129:187-202.
2. Kittler H, Pehamberger H, Wolff K, Binder M. Diagnostic accuracy of dermoscopy. Lancet Oncol 2002;3:159-65.
3. Dupuy A, Dehen L, Bourrat E, et al. Accuracy of standard dermoscopy for diagnosing scabies. J Am Acad Dermatol 2007;56:53-62.
4. Marghoob AA, Braun RP, Kopf AW. Précis illustré de dermoscopie. Arnette; 2007: 334 p.
5. Soyer HP, Argenziano G, Zalaudek I, et al. Three-point checklist of dermoscopy. A new screening method for early detection of melanoma. Dermatology 2004;208:27-31.