Les impératifs de performance de la dialyse ne sont pas identiques pour une population jeune et une population très âgée. La dialyse peut être débutée plus tardivement chez le sujet âgé et selon un schéma plus progressif.
L’insuffisance rénale chronique touche un nombre croissant de patients en France et en particulier les sujets âgés. Cela est lié au vieillissement de la population mais aussi à l’augmentation de la prévalence de pathologies sources de complications rénales comme l’hypertension artérielle et le diabète de type 2, et paradoxalement à l’amélioration de la prise en charge et de l’espérance de vie de ces patients qui ont ainsi plus de risque de développer ces complications rénales à terme.
Les données épidémiologiques font état en 2015 d’environ 350 000 patients souffrant d’insuffisance rénale chronique aux stades 4 et 5, dialysés ou non, dont 52 % ont plus de 65 ans. Ce nombre continue de croître de 3,5 % par an. De plus, parmi les 46 000 patients dialysés, près de 40 % ont plus de 75 ans, l’âge médian de démarrage de la dialyse étant de 70,3 ans (v. figure).1 Les troisième et quatrième âges sont donc particulièrement concernés par l’insuffisance rénale terminale et doivent bénéficier de la prise en charge la plus adaptée à leur maladie et à leurs spécificités.

Spécificités de la population gériatrique

Compte tenu des caractéristiques des patients gériatriques, certains paramètres sont à prendre en compte tout particulièrement. En premier lieu, leur fragilité, qui combine fatigabilité, réduction de l’activité physique et de la masse musculaire, dénutrition, risque accru de chutes et d’hospitalisations. En second lieu, les comorbidités. Ces patients sont souvent atteints de maladies cardiovasculaires, de diabète compliqué, voire d’hémopathies ou de cancers évolutifs. Ils peuvent avoir des troubles cognitifs, des syndromes démentiels ou des handicaps physiques, qui doivent être évalués et reconnus. Par ailleurs, les patients âgés n’ont souvent plus le même « schéma de vie » que la population générale, ils peuvent être isolés, dépendants, vivre en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), et ces facteurs sont déterminants pour leur prise en charge. Il est donc indispensable pour l’équipe médicale et paramédicale de savoir évaluer les patients dans leur globalité et de s’adapter à ces conditions.

Choix thérapeutiques

Il est obligatoire d’informer le patient sur toutes les techniques de suppléance rénale et de lui garantir le choix. Parmi les choix que l’on peut proposer à un patient âgé, on compte : le traitement conservateur rénal, la dialyse péritonéale, l’hémodialyse et la transplantation.

Traitement conservateur rénal

Il consiste, sans recours à la dialyse, en un suivi régulier conjoint par le médecin traitant, le néphrologue, voire le diététicien et les infirmiers, de façon à suivre le déclin de la fonction rénale et adapter les traitements au fur et à mesure de l’apparition des perturbations cliniques et biologiques liées à l’insuffisance rénale chronique. Cela doit éviter les complications telles que les œdèmes ou l’œdème aigu pulmonaire, l’hyper- kaliémie menaçante, l’hypertension artérielle rebelle et ainsi accompagner le patient le plus longtemps possible dans le meilleur confort possible, sans recourir in fine à la dialyse.

Dialyse péritonéale

Elle consiste à implanter un cathéter souple en silicone dans la cavité péritonéale lors d’une courte anesthésie, qui peut être locale, et à effectuer des échanges osmotiques entre un liquide de dialysat infusé dans la cavité et le sang du patient qui perfuse le péritoine. Cette technique, après apprentissage par le patient ou formation d’infirmiers libéraux, s’applique au domicile du patient, en EHPAD ou en « long séjour ». Une consultation mensuelle est prévue au centre de dialyse pour le suivi du patient. Il y a deux façons principales d’effectuer la dialyse péritonéale : soit des échanges diurnes par simple gravité à renouveler 2 à 4 fois par jour de manière rythmée, soit des échanges nocturnes sur un cycleur de dialyse qui réalise une succession d’échanges de dialysat au cours de la nuit de façon silencieuse et automatisée. Le patient peut là aussi être aidé d’un infirmier à domicile.
Cette technique s’adresse à des patients indemnes de chirurgie abdominale, sans obésité morbide ou insuffisance respiratoire restrictive. Elle s’adresse aussi spécifiquement aux patients souffrant de syndrome cardio-rénal car elle permet une gestion continue de la surcharge hydrosodée. Elle concerne aussi directement les patients sans possibilité d’abord vasculaire pour hémodialyse, plus fréquent chez les sujets âgés.

Hémodialyse

Elle consiste à épurer le sang à travers une membrane synthétique lors de séances de plusieurs heures répétées plusieurs fois par semaine, le schéma classique permettant une épuration efficace est de 3 séances de 4 heures hebdomadaires. Cette technique nécessite un abord vasculaire : une fistule artérioveineuse réalisée lors d’une courte intervention chirurgicale ou à défaut un cathéter central spécifique à la dialyse. Elle peut être effectuée :
– en centre, si l’état du patient nécessite une présence médicale permanente, ce qui peut souvent être le cas pour des patients âgés ;
– en unité de dialyse médicalisée avec présence médicale plus restreinte ;
– en autodialyse en présence d’une infirmière, avec des consultations médicales régulières, pour des patients plus autonomes capables notamment d’apprendre et appliquer une partie de la technique d’hémodialyse ;
– à domicile, sur des machines portables fonctionnant à l’aide de poches de dialysat stérile, le patient et son entourage prenant alors en charge totalement la technique de l’hémodialyse lors de séances quasi quotidiennes de 2 à 3 heures et le suivi étant assuré mensuellement au centre de dialyse. Cette dernière technique nécessite une préparation et un apprentissage, en particulier pour la ponction de la fistule artérioveineuse par le patient lui-même, et un entourage prêt à réagir en cas de problème, ce qui peut être un facteur limitant pour des patients plus âgés.

Transplantation rénale

Elle améliore la survie et la qualité de vie des patients par rapport à la dialyse, même pour des sujets âgés de plus de 65 ou 70 ans. En France, 12 % des patients transplantés en 2014 avaient plus de 70 ans. Son recours nécessite une sélection stricte des candidats en raison des risques encourus. Une évaluation cardiovasculaire, néoplasique et des capacités cognitives est nécessaire pour déterminer un « âge physiologique » et l’éligibilité à la greffe. Des protocoles spécifiques ont été élaborés de façon à étendre la possibilité de greffe à cette population. On peut ainsi proposer le don à partir d’un donneur vivant âgé, la greffe à critères élargis (donneur de plus de 60 ans, ou plus de 50 ans avec hypertension artérielle ou accident vasculaire cérébral), la double greffe de reins de donneur âgé de plus de 65 ans. Cependant, les risques cardiovasculaires, infectieux et oncogènes inhérents aux traitements immunosuppresseurs au long cours sont des freins à la greffe chez des patients très âgés.2 De même, le délai d’attente de la transplantation, parfois de plusieurs années, peut rendre le projet caduc.

Avant le choix, l’évaluation

Lorsque la fonction rénale se dégrade de façon critique, le néphrologue doit poser les termes de ce qui est « possible » et « adapté » à chaque patient. Entrent en ligne de compte toutes les spécificités de la population gériatrique en termes social, d’autonomie, de mode de vie, de fonctions cognitives, de pathologies associées, voire d’espérance de vie. Il est souhaitable d’effectuer une évaluation globale avec l’équipe soignante (travailleurs sociaux, infirmiers, diététiciens, psychologues, gériatres et neurogériatres, néphrologue, médecin traitant) ainsi que l’entourage du patient. Cette évaluation pluridisciplinaire et la confrontation des points de vue permettent de déterminer s’il est envisageable de proposer la dialyse, voire la transplantation. Elle permet aussi d’orienter vers telle ou telle technique en fonction des conditions de vie du patient et des contrindications médicales.

À l’heure du choix

Le choix de la technique est avant tout le choix du patient. Celui-ci doit être pris en compte et respecté le plus possible, en tenant compte des données de l’évaluation. Le recours à la dialyse chez les sujets très âgés entraîne souvent une dégradation de la qualité de vie au quotidien mais améliore la survie et les signes et complications de l’insuffisance rénale. La médiane de survie en dialyse, quelle que soit la technique, est d’environ 2 ans chez les patients les plus âgés. Par exemple, en dialyse péritonéale assistée à domicile, elle est de 24 mois en France pour les plus de 75 ans.3 Des scores de risque de mortalité après mise en dialyse ont été établis qui prennent en compte l’âge, l’état nutritionnel, la dépendance, l’existence d’un cancer, d’une insuffisance cardiaque, le nombre de comorbidités. Ils évaluent le risque de décès à 6 mois à 20 % pour les patients à risque intermédiaire et 55 % pour les patients à haut risque.4 La question la plus importante est donc celle de la qualité de vie.
Certains patients font le choix du traitement conservateur rénal car ils ne souhaitent pas d’« acharnement thérapeutique » dans leur grand âge ou redoutent la dialyse. Il convient de les assurer de la possibilité de changer d’avis lorsque la situation aura évolué. Le traitement conservateur est aussi parfaitement adapté aux patients âgés qui ont une vitesse lente de déclin de la fonction rénale.5 Dans certains cas de maladie intercurrente avancée avec faible espérance de vie, l’équipe et/ou la famille prend elle-même la décision du traitement conservateur.
Le choix de la dialyse péritonéale est souvent fait par des patients qui souhaitent être autonomes à domicile, désireux de se prendre en charge ou qui ne souhaitent pas un traitement passant par un circuit sanguin. Il peut concerner des patients déjà dépendants, voire en EHPAD ou en « long séjour », du fait de la possibilité en France du recours à des infirmiers à domicile spécifiquement formés. Cela permet à un plus grand nombre de patients de bénéficier de la dialyse péritonéale. Les passages journaliers offrent un bon niveau de surveillance pour ces patients fragiles. Les questionnaires de qualité de vie objectivent une maladie décrite comme moins envahissante et une bonne satisfaction du traitement. Cette technique expose moins les patients au risque cumulatif de syndromes démentiels ou aux accidents vasculaires cérébraux hémorragiques.6
Le choix de l’hémodialyse est souvent fait par des patients qui ne veulent pas « ramener la maladie à la maison », se sentent plus en sécurité en centre, sont isolés ou ont une contre-indication à la dialyse péritonéale. C’est aussi la technique souvent appliquée « par défaut » aux patients trop fragiles ou dépendants pour bénéficier de l’autodialyse ou de l’hémodialyse à domicile. Néanmoins les séances exposent les patients aux complications d’abord vasculaire, aux épisodes d’hypotension per-dialytique dont la répétition altère les fonctions myocardiques et cérébrales, aux hypotensions post-dialytiques avec une phase de récupération plus longue.6

Adaptations particulières aux patients de gériatrie

Les impératifs de performance de la dialyse ne sont pas identiques pour une population jeune et une population très âgée. Il est facile d’adapter la dialyse sans suivre forcément le schéma communément établi. Il est ainsi possible de débuter la dialyse plus tard. En effet, plusieurs études ont montré qu’il n’y avait aucun bénéfice à commencer la dialyse pour des clairances supérieures à 6 mL/min chez les patients âgés.5 La dialyse peut être débutée selon un schéma progressif adapté à la fonction rénale résiduelle qui décline plus lentement chez ces patients. Il est possible de n’hémodialyser les patients qu’à raison de deux séances par semaine ou de raccourcir la durée des séances, sans les sous-dialyser. Pour les mêmes raisons, il est possible de limiter les échanges en dialyse péritonéale à 2 ou 3 par jour ou de ne les prescrire que 5 ou 6 jours par semaine. La dialyse doit pouvoir être adaptée à chacun sur mesure.

ADAPTER LA PRISE EN CHARGE

Dans la population, plusieurs évolutions coexistent : l’allongement de l’espérance de vie, un vieillissement en meilleur état physiologique mais aussi la forte prévalence de l’hypertension artérielle et du diabète de type 2 et l’accumulation de comorbidités chez les patients âgés. L’insuffisance rénale chronique terminale est donc une question d’actualité pour ces patients et nécessite une prise en charge adaptée au plus près de leur état physiologique. A priori, une fois le choix d’un traitement de suppléance fait, toutes les techniques peuvent être discutées, puis proposées à chaque patient selon son état, suivant un schéma évalué de façon pluridisciplinaire et sur mesure.
Références
1. Agence de la biomédecine. Rapport annuel 2015 du Réseau épidémiologie information néphrologie. www.agence-biomedecine.fr ou http://bit.ly/2LiK6Sq
2. Lemoine M, Guerrot D, Bertrand D. Transplantation rénale et sujet âgé : mise au point. Nephrol Ther 2018:14:71-80.
3. Castrale C, Evans D, Verger c, et al. Peritoneal dialysis in elderly patients: report from the French Peritoneal Dialysis Registry (RDPLF). Nephrol Dial Transplant 2010:25:255-62.
4. Ahmed FA, Catic AG. Decision-making in geriatric patients with end-stage renal disease: thinking beyond nephrology. J Clin Med 2019:8. doi: 10.3390/jcm8010005.
5. Rosansky S, Schell J, Shega J, et al. Treatment decisions for older adults with advanced chronic kidney disease. BMC Nephrology 2017:18:200.
6. Brown E, Finkelstein FO, Iyasere OU, Kliger A. Peritoneal or hemodialysis for the frail elderly patient, the choice of 2 evils? Kidney Int 2017:91:294-303.

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