Un traitement par bêtabloquants est recommandé de façon systématique en post-infarctus du myocarde mais son efficacité au long cours est contestée, notamment chez les patients sans dysfonction ventriculaire gauche (FEVG > 50 %), de plus en plus nombreux aujourd’hui. Les résultats d’un essai randomisé sur plus de 5 000 patients suivis près de 4 ans, parus dans le NEJM, pourraient remettre en cause les recommandations actuelles dans cette population.

Les bêtabloquants sont un pilier du traitement médical en post-infarctus du myocarde immédiat. Plusieurs études ont également montré qu’une thérapie au long cours réduit la mortalité d’environ 20 %. Ainsi, en l’absence de contre-indication, ils sont systématiquement prescrits, dans le cadre du traitement préventif appelé « BASIC ».

Cependant, la plupart des preuves disponibles proviennent d’études ayant recruté des patients avec dysfonction ventriculaire gauche et menées dans les années 1980, c’est-à-dire avant l’avènement de progrès diagnostiques et thérapeutiques tels que les troponines hautement sensibles, les interventions coronariennes percutanées, les agents antithrombotiques, les statines à haute intensité et les antagonistes du SRAA. 

Plus récemment, une méta-analysed’essais randomisés a suggéré que, à l’ère des stratégies modernes de revascularisation, les bêtabloquants ne réduiraient pas la mortalité de manière significative. De plus, il n’existait pas jusqu’ici des données solides (provenant d’essais randomisés récents de suffisamment bonne qualité) sur l’intérêt d’un traitement au long cours chez les patients avec fraction d’éjection préservée.

L’essai REDUCE-AMI (Randomized Evaluation of Decreased Usage of Beta-Blockers after Acute Myocardial Infarction), dont les résultats viennent de paraître dans le NEJM, a donc cherché à évaluer l’efficacité des bêtabloquants oraux administrés en post-infarctus à des patients sans dysfonction ventriculaire gauche et sur une période de suivi de plusieurs années.

Pas de différence sur la mortalité à 3,5 ans

Cet essai randomisé ouvert a été conduit dans 45 centres, en Suède, Estonie et Nouvelle-Zélande, entre septembre 2017 et mai 2023. Les chercheurs ont recruté 5 020 patients (dont 95,4 % en Suède) ayant eu un infarctus aigu du myocarde (IM) avec une angiographie coronarienne précoce confirmant la présence d’une sténose, et une FEVG ≥ 50 %. Dans plus d’un tiers des cas, il s’agissait d’un IM avec sus-décalage du segment ST.

L’âge médian des participants était de 65 ans, 22,5 % étaient des femmes, 46,2 % avaient une HTA, 14 % un diabète et 7,1 % un antécédent d’IM. La cohorte était représentative de la population des patients ayant un IM avec FEVG préservée dans ces pays et les participants n’avaient pas, en général, un haut risque de subir un nouvel événement cardiaque. Ont été exclus les patients ayant une autre indication pour le traitement bêtabloquant en prévention secondaire.

La quasi-totalité des patients (95,5 %) ont eu une intervention coronarienne percutanée (angioplastie coronaire) et 3,9 % un pontage aorto-coronarien. Ils ont ensuite été aléatoirement répartis en deux groupes. Dans le premier, les participants recevaient des bêtabloquants pendant le reste du séjour hospitalier et après la sortie : du metoprolol pour 62,2 % d’entre eux (dose d’initiation médiane : 50 mg/j ; dose cible médiane : 100 mg/j) ou du bisoprolol pour 37,8 % d’entre eux (dose d’initiation médiane : 2,5 mg/j ; dose cible médiane : 5 mg/j). Dans le second (groupe contrôle), ils ne recevaient pas de bêtabloquants (mais pas de placebo).

À la sortie de l’hôpital, la quasi-totalité des patients des deux groupes prenaient une statine (99 % et 98 % respectivement), de l’aspirine (98 % et 97 % respectivement) et un inhibiteur du récepteur P2Y12 (96 %) ; enfin, 79 % et 81 % respectivement prenaient un IEC ou ARA2. L’observance de la prise de bêtabloquants au long cours dans le groupe concerné a été enregistrée dans la cohorte suédoise : 91 % des participants prenaient toujours le traitement après 6 à 10 semaines et 82 % le prenaient encore à 11 - 13 mois.

Le critère principal de jugement était un critère composite comprenant le décès toutes causes et la récidive d’infarctus de myocarde. Après un suivi médian de 3,5 ans, l’analyse n’a pas montré de différence sur le critère de jugement principal : ce dernier est survenu chez 7,9 % des participants du groupe prenant les bêtabloquants versus 8,3 % des contrôles, soit un hazard ratio de 0,96 (IC95 % : 0,79 - 1,16 ; p = 0,64).

Par ailleurs, il n’y avait pas de différence dans les critères secondaires : décès toutes causes (3,9 % vs 4,1 %), décès d’origine cardiovasculaire (1,5 % vs 1,3 %), récidive d’IM (4,5 % vs 4,7 %), hospitalisation pour fibrillation atriale (1,1 % vs 1,4 %) ou hospitalisation pour insuffisance cardiaque (0,8 % vs 0,9 %). Les résultats étaient similaires dans les analyses en sous-groupes.

Quant à la sécurité, les deux groupes étaient comparables  : l’incidence des hospitalisations pour bradycardie, bloc auriculo-ventriculaire du deuxième ou troisième degré, hypotension, syncope ou pose d’un pacemaker était de 3,4 % dans le groupe bêtabloquants et 3,2 % dans le groupe contrôle ; l’incidence de l’hospitalisation pour asthme ou BPCO, de 0,6 % et 0,6 % respectivement ; celle de l’hospitalisation pour AVC, de 1,4 % versus 1,8 %.

En conclusion, le traitement par metoprolol ou bisoprolol n’a pas montré d’amélioration sur le pronostic à moyen terme (< 5 ans) chez des patients en post-infarctus avec une FEVG préservée. Mais s’il n’y a pas réduction des décès toutes causes, cardiovasculaires ou des récidives d’infarctus sous bêtabloquants, il n’y pas non plus de sur-risque de bradycardie, syncope ou hypotension.

Cet essai bien conçu et randomisé confirme donc les résultats d’autres études observationnelles menées récemment. Toutefois, il n’est pas parfait et a quelques limites : il s’agit d’une étude en ouvert, sans contrôle par placebo ; les doses utilisées sont plus faibles de celles employées dans les études précédentes ; les données sur la survenue d’arythmies ventriculaires n’ont pas été recueillies dans chacun des groupes.

Qu’en retenir ?

Ces résultats remettent en question l’usage systématique des bêtabloquants chez les patients ayant eu un infarctus du myocarde avec une FEVG préservée et suggèrent la nécessité de revoir les recommandations pour cette population. Compte tenu de certaines limites de l’étude, il faut toutefois attendre leur confirmation par des essais contrôlés en double aveugle : six autres essais sont en cours et les résultats sont attendus avant la fin de l’année. 

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