L’épidémie de grippe saisonnière touche à sa fin. Le Pr Bruno Lina* a abordé le bilan de cette vague exceptionnelle – caractéristiques atypiques, impact hospitalier –, le scénario pour les prochaines années, les nouveautés en matière de vaccination, ainsi que l’état des lieux sur la grippe aviaire dont la propagation inquiète les autorités de santé.

*Bruno Lina est virologue au CNR des virus des infections respiratoires et professeur à la faculté de médecine Lyon-Est.

L’épidémiologie de la grippe a été bousculée pendant ces 3 dernières années…

En 2020, l’épidémie a débuté en janvier de façon classique mais elle s’est effondrée au niveau international en parallèle à l’apparition du SARS-CoV-2, à cause d’un phénomène de « compétition » avec ce dernier et surtout grâce à la mise en place des mesures barrières dans le contexte pandémique (confinement, distanciation physique et sociale, port du masque). Après une absence de circulation dans le monde pendant 8 à 9 mois, le virus est réapparu début 2021 dans certains pays tropicaux en Asie et Afrique, mais la circulation est restée faible en Europe jusqu’à l’automne 2022 (fig. 1).

Cette baisse de transmission depuis 2020 s’est accompagnée de la sélection des souches ayant un très bon fitness – c’est-à-dire ayant une meilleure infectivité et capacité de transmission – mais aussi d’une réduction drastique de la diversité génétique : le lignage B/Yamagata a disparu ; parmi les A(H3N2), seulement deux groupes de virus ont circulé dont un majoritaire ; un seul lignage a été sélectionné parmi les A(H3N1) et un seul B/Victoria.

Résultat : à l’automne 2022, le terrain était particulièrement propice à une flambée épidémique – levée totale des mesures barrières et des virus sélectionnés hautement transmissibles.

Quelles sont les caractéristiques de cette épidémie 2022-23 ?

L’épidémie s’est caractérisée par une ascension particulièrement précoce et rapide, touchant toutes les classes d’âge et l’ensemble du territoire, provoquée essentiellement par un seul lignage H3N2 (fig. 2). Après une baisse pendant les vacances scolaires de fin d’année, on a observé un rebond dû à la circulation d’un lignage de type B.

Autre différence : les réservoirs de la grippe sont généralement les jeunes enfants, alors que cette année c’est surtout la tranche d’âge entre 5 et 40 ans qui a été le principal vecteur de transmission.

Quelles sont les données de mortalité ?

L’autre point très marquant est son impact clinique très élevé. À la fin de l’épidémie, on ne sera pas loin de 20 000 décès cumulés imputables à la grippe, soit plus que ceux rapportés pendant la grippe 2017-18, qui était particulièrement mortifère (17 000 décès). L’impact a été lourd pour les soignants, qui ont dû faire face à un phénomène exceptionnel de triple épidémie grippe, VRS (qui a circulé de façon importante car les enfants n’étaient pas immunisés) et Covid, sans compter le métapneumovirus très présent chez les enfants.

Les données hospitalières ont montré une sévérité importante par rapport aux épidémies de grippe précédentes, dans toutes les classes d’âge et surtout chez les 45-64 ans, avec un glissement de la mortalité observé vers les plus jeunes (la part de mortalité des 40-65 ans est plus élevée par rapport aux autres années, fig. 3). Comment expliquer ce phénomène ? Une hypothèse serait que la vague d’infection par omicron ait induit une « sidération immunitaire », une baisse transitoire du système immunitaire rendant les personnes plus susceptibles à la grippe. Mais cela n’a pas été démontré.

Quelle efficacité du vaccin ? 

La diversité génétique des virus circulants est un écueil pour choisir la bonne composition vaccinale. Cette année, avec la sélection des souches, il y a une excellente adéquation entre la composition du vaccin et les virus circulants, qui s’est traduite par une augmentation de l’efficacité du vaccin. Cependant, ces virus étant plus transmissibles, sa performance en matière de protection de la population a été moins bonne que prévu.

Faut-il s’attendre à nouveau à une triple épidémie l’année prochaine ?

Aucune prédiction ne peut être faite. Les virus de la grippe recommenceront-ils à muter lors de leur circulation dans l’hémisphère sud ? Par ailleurs, si on pensait initialement que le SARS-CoV-2, dans la phase postpandémique, se serait comporté comme la grippe (une épidémie tous les ans), il nous semble aujourd’hui qu’il aura plutôt le profil d’un rhinovirus : il circule faiblement toute l’année et peut donner des bouffées épidémiques en automne et au printemps (avril-mai).

Quoi de neuf sur les vaccins ?

Les perspectives vaccinales se sont élargies avec l’arrivée sur le marché d’un vaccin quadrivalent à haute dose pour les personnes de plus de 65 ans et un vaccin atténué nasal pour les enfants âgés de 2 à 17 ans. La vaccination des enfants est aujourd’hui recommandée car elle a montré un intérêt collectif (en Grande-Bretagne, par exemple) pour protéger les plus fragiles (en réduisant le « réservoir » du virus), d’autant plus que les pédiatres estiment qu’il existe un bénéfice individuel (risque de complications, absentéisme scolaire…). Cependant, pour observer un effet mesurable dans les autres populations, il faudrait un niveau assez élevé de vaccination chez les enfants, qui sera difficile à obtenir en France.

Quant aux nouveaux vaccins antigrippaux, des essais de phase III sur des vaccins à ARNm sont en cours, avec 2 types de format (soit à base d’hémagglutinine soit d’hémagglutinine + neuraminidase), mais ils ne changeront pas la donne car ils induisent le même type de protection humorale que les vaccins classiques. Des vaccins ciblant la réponse T sont en cours d’évaluation, et pourraient avoir un réel intérêt. Le vaccin universel, qui devrait théoriquement protéger contre tous les virus, vient de montrer des résultats décevants (il n’est pas supérieur aux vaccins classiques) mais il a eu un intérêt : les chercheurs ont réussi à isoler chez les personnes vaccinées des anticorps monoclonaux extrêmement protecteurs, qui pourront être utilisés en immunothérapie.

Grippe aviaire : faut -il s’inquiéter ?

Entre décembre 2022 et mars 2023, on a observé plusieurs foyers de cette épizootie qu’on appelle panzootie (pandémie chez les oiseaux), liée à un lignage H5N1 qui se répand rapidement. Ce virus a la capacité d’infecter les oiseaux d’élevage mais aussi les sauvages et, chose nouvelle, est devenu capable de tuer les oiseaux migrateurs (qui étaient seulement « vecteurs » auparavant), comme cela a été constaté dans des foyers en Bretagne. De plus, avec le réchauffement climatique, les oiseaux migrateurs ont tendance à moins migrer et à installer ainsi le virus en France, devenu endémique.

Dans le monde, il y a des bouffées épidémiques en cours chez les oiseux de bord de mer (goélands, mouettes, pélicans), associées à une mortalité très élevée. Autre point inquiétant : la contamination de mammifères aquatiques et terrestres : on a trouvé des foyers dans des colonies de phoques en Amérique et dans des élevages de visons en Espagne ; un chat et des renards ont été contaminés en France. Ces mammifères se sont infectés en mangeant des oiseaux malades ou morts ayant une charge virale élevée.

Pour le moment, il n’y a pas de notion de risque chez l’homme. Depuis 2017, les cas chez l’homme sont exceptionnels. Entre janvier 2020 et décembre 2022, quelques cas sporadiques d’infections (ou portages asymptomatiques) par des virus H5N1 de clade 2.3.4.4b (6 dont 2 décès) ont été rapportés, tous chez des personnes ayant eu un contact direct avec des volailles infectées (manipulation, consommation). Aucune transmission aérienne n’a été mise en évidence.

Une surveillance très active a été mise en place en Europe.

Dans les régions concernées (zone Manche-Atlantique, couloir Meuse-Rhin-Rhône) il faut y penser devant un tableau respiratoire sévère chez une personne exposée à des oiseaux d’élevage (encadré ci-dessous).

Encadre

Conduite à tenir devant un cas suspect

Il faut interroger tout patient ayant de la fièvre et des signes respiratoires sur ses expositions à risque dans les 10 jours précédant les symptômes : contact avec des oiseaux ou porcins sauvages ou domestiques, ou leurs déjections, surtout en cas d’exposition fréquente prolongée (professionnelle) ou contact à moins d’un mètre sans protection avec un patient confirmé d’infection à influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) ou d’un virus influenza d’origine porcine, surtout en cas de symptômes respiratoires chez le patient source.

Foyers d’épizootie aviaire : zone Manche-Atlantique, couloir Meuse-Rhin-Rhône, centre du pays (mise à jour régulière sur Influenza aviaire : la situation en France).

En cas de suspicion, appeler l’infectiologue d’astreinte pour avis expert et circuit de prise en charge ou appeler le Centre 15 si signes de gravité. Éviter le passage aux urgences.

Mesures de prévention

Le calendrier des vaccinations a introduit la recommandation de vacciner contre la grippe saisonnière les professionnels exposés aux virus influenza porcins et aviaires dans un cadre professionnel (éleveurs, vétérinaires, techniciens). Cette vaccination n’est pas une mesure de protection individuelle contre les virus porcins ou aviaires mais limite le risque de réassortiment entre des virus animaux et humains.

Enfin, des mesures de protection doivent être respectées par tous les professionnels susceptibles d’être en contact étroit avec des oiseaux et porcins infectés, ainsi qu’avec des sous-produits animaux contaminés (cadavres) : port d’équipement de protection individuelle (masque, gants, lunettes, sur-tenue), hygiène des mains et gestion des déchets.

D’après
Lina B. Le point sur la grippe – Atelier de VLS. Vaccination et lien social 22 mars 2023.