Parmi les psychédéliques évalués ces dernières années contre la dépression, la kétamine est la molécule qui a les preuves les plus solides. Aujourd’hui, son accès est restreint au cadre hospitalier, mais une nouvelle étude montrant qu’un comprimé par voie orale est sûr et efficace pourrait changer la donne…

La kétamine – un stupéfiant utilisé en anesthésie – a fait ses preuves dans le traitement de la dépression résistante. Dans cette indication, son usage est uniquement hospitalier aujourd’hui (voie intraveineuse ou, plus récemment, des formes en spray d’eskétamine). Jusqu’à présent,peu d’études ont évalué la voie d’administration orale, qui offre pourtant l’avantage d’être plus simple et de pouvoir être employée en pratique de ville.

Une étude de phase II randomisée en double aveugle a évalué l’efficacité et la sécurité d’un traitement oral par kétamine (comprimés à libération prolongée) chez des sujets ayant une dépression résistante au traitement avec un score Montgomery-Asberg Depression Rating Scale (MADRS) de 20 au minimum (dépression modérée) et de 30 en moyenne, et 4,8 traitements antidépresseurs en moyenne conduits au préalable sans succès. Ses résultats viennent de paraître dans Nature Medicine .

La dose de 180 mg a montré la plus grande efficacité

Cette étude multicentrique (Australie, Nouvelle-Zélande, Taiwan et Singapour) comprenait deux étapes. Dans la première, 231 sujets ont reçu pendant 5 jours des comprimés LP de kétamine à la dose de 120 mg/jour, puis ont été évalués à J8. Seuls les patients répondeurs à ce premier traitement ont été sélectionnés pour l’étape suivante, afin de réduire le taux d’échec.

Ainsi, 168 personnes ont ensuite été aléatoirement assignées à parts égales à l’un des 5 groupes suivants : le groupe contrôle, qui recevait un placebo, ou 4 autres groupes qui continuaient la prise de kétamine aux doses de 30 mg, 60 mg, 120 mg ou 180 mg respectivement, deux fois par semaine pendant 12 semaines. L’administration avait lieu à la maison pour la plupart des participants. L’âge moyen était situé entre 43 et 47 ans selon les groupes, et la proportion de femmes variait entre 34 % et 58 %. La proportion de patients qui ont complété l’étude était plus importante à mesure que les doses étaient plus élevées, variant de 30 % (placebo) à 56 % (groupe 180 mg).

L’évolution du score MADRS à la semaine 13 était le critère principal de jugement. Tous les groupes traités ont eu des réductions moyennes plus importantes du score MADRS que le groupe contrôle. L’effet le plus important a été observé dans le groupe 180 mg, où il a baissé en moyenne 6,1 points de plus que dans le groupe placebo (IC95 % : 1,00 à 11,16 ; P = 0,019) – un résultat considéré statistiquement significatif. En effet, entre le début du traitement et la fin du suivi, la réduction moyenne du score dans ce groupe était de 14 points, contre 8 dans le groupe placebo, 9,9 dans le groupe 30 mg, 8,6 dans le groupe 60 mg et 12,5 dans le groupe 120 mg.

Par ailleurs, les réductions étaient plus importantes chez les femmes et les patients de moins de 65 ans, ainsi que chez ceux prenant des antidépresseurs et ceux dont le poids était supérieur au poids médian du groupe.

Profil de sécurité rassurant et peu d’effet dissociatif

La tolérance du traitement a été considérée très bonne : la plupart des effets indésirables étaient d’intensité faible  ; ils ont touché 131 participants. Les EI d’intensité modérée en ont touché 42 sujets.

Durant la première étape, les EI les plus fréquemment rapportés ont été : vertiges, maux de têtes, dissociation, fatigue et nausées. Dans la seconde partie, certains EI ont été plus fréquents dans le groupe de 180 mg, notamment vertiges, dissociation et nausées.

Néanmoins, la dissociation, mesurée par l’échelle Clinician-Administered Dissociative States Scale (CADSS), est restée en moyenne en dessous de 1 point à chaque mesure durant la seconde partie de l’étude, et en dessous de 3 points durant la première partie pour tous les participants. Une sédation de faible intensité a été rapportée par 5 participants, surtout dans le groupe 30 mg. Les taux de cystites n’ont pas différé entre le groupe contrôle et le groupe 180 mg. Aucun changement notable n’a été observé sur la pression artérielle, les ECG ou le poids. Enfin, il y a eu 10 effets indésirables graves (dont un suicide), mais aucun n’a été jugé être en rapport avec le traitement.

Les auteurs en concluent qu’un traitement par kétamine à libération prolongée per os est sûr, efficace et bien toléré par les patients et offre une alternative intéressante aux formes intraveineuses ou intranasales actuellement disponibles : administration plus facile en ville, risque réduit de mésusage (les comprimés utilisés dans cette étude étaient très durs et difficiles à broyer) mais aussi de certains effets indésirables (cardiovasculaires, sédation…) et notamment de dissociation.

Enfin, sur ce dernier point, la Pr Colleen Loo, un des auteures de l’étude, souligne que l’efficacité de cette galénique à libération prolongée, qui entraîne peu ou pas de dissociation, remet en question l’hypothèse selon laquelle l’effet antidépresseur de la kétamine serait dû en partie à son effet dissociatif. Davantage de recherches sont nécessaires pour confirmer ces résultats et continuer d’explorer ces mécanismes.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés