Une étude parue fin janvier dans Nature Medicine décrit cinq cas de personnes ayant développé des signes cliniques de démence précoce alors qu’ils avaient reçu durant l’enfance un traitement avec des hormones de croissance recueillies dans l’hypophyse de cadavres humains (les échantillons étaient contaminés par des protéines amyloïde Aβ). Ces traitements ont été réalisés avant 1985 au Royaume-Uni ; ils sont aujourd’hui désuets.
L’équipe à l’origine de cette étude avait déjà révélé, en 2015, grâce à des analyses post-mortem, la présence de dépôts d’amyloïde Aβ dans le cerveau de 4 personnes qui avaient eu ce même traitement et qui étaient par la suite décédées d’une maladie de Creutzfeldt-Jakob due aux prions présents dans les échantillons de ces hormones de croissance. Si ces 4 personnes sont décédées avant que d’éventuels signes cliniques liés à l’accumulation d’amyloïde Aβ n’aient pu être observés, les auteurs pensent que la présence de ces plaques amyloïdes suggère qu’elles auraient développé une angiopathie amyloïde cérébrale, qui est souvent un précurseur de la maladie d’Alzheimer.
Pour aller plus loin, ils ont donc étudié, en 2018, les échantillons archivés des hormones issues des cadavres qui avaient étaient utilisées à l’époque pour ces traitements. Ils y ont décelé la présence de protéines amyloïdes Aβ. Lorsqu’ils ont injecté ce traitement à des souris, ils ont constaté que ces dernières développaient des plaques amyloïdes dans le cerveau et des angiopathie amyloïdes cérébrales subséquentes.
Finalement, dans leur étude la plus récente, portant sur huit personnes qui avaient reçu ce même traitement – mais qui n’étaient pas mortes de la maladie de Creutzfeldt-Jakob –, ils ont révélé que cinq d’entre elles ont développé des signes cliniques précoces de démence, entre 38 et 55 ans. D’après les chercheurs, ces patients avaient des symptômes, une histoire clinique et/ou des imageries compatibles avec un diagnostic de maladie d’Alzheimer. Pourtant, ils n’avaient pas les mutations génétiques qui sont habituellement associées à un développement précoce de cette pathologie (les auteurs ont pu analyser le génome de trois de participants). Ceci suggère que ces patients ont développé une forme de maladie d’Alzheimer iatrogène à la suite du traitement reçu pendant l’enfance avec ces hormones de croissance contaminées.
Ces résultats sont en faveur de l’hypothèse selon laquelle les peptides amyloïdes Aβ – responsables, dans l’hypothèses physiopathologique actuelle, de la maladie d’Alzheimer – pourraient se transmettre à la manière des maladies à prions, par le biais de transferts de matériel biologique. L’année dernière, une étude sur deux vastes cohortes nationales scandinaves avait, par exemple, suggéré que certains types d’AVC hémorragiques – des angiopathies amyloïdes cérébrales sporadiques, caractérisées par l’accumulation de peptide amyloïde Aβ dans le cerveau – pouvaient se transmettre selon le même mécanisme, par des transfusions sanguines.
Néanmoins, les auteurs et d’autres scientifiques soulignent que le faible nombre de personnes dans l’étude en limite la puissance : il est difficile avec seulement 8 participants de déterminer avec certitude le véritable rôle des peptides amyloïdes Aβ provenant du traitement hormonal dans le développement de leur démence. D’autres études sont nécessaires pour approfondir l’hypothèse d’une transmissibilité de la maladie d’Alzheimer par ce biais.
Enfin, comme l’ont souligné diverses sociétés savantes françaises (dont la Société française de pédiatrie et la Société française d’endocrinologie et diabétologie pédiatrique), l’hormone de croissance mise en cause dans ces études, extraite d’hypophyses humaines, n’est plus administrée depuis la fin des années 1980. Cette hormone extractive a été remplacée, depuis 1987, par une hormone de croissance biosynthétique qui est la seule utilisée en France aujourd’hui pour le traitement du déficit en hormone de croissance de l’enfant comme de l’adulte, et dont la sécurité n’est pas remise en cause. Les médecins doivent donc rassurer toutes les familles d’enfants traités ou ayant été traités par hormone de croissance biosynthétique.
Banerjee G, Farmer SF, Hyare H, et al. Iatrogenic Alzheimer’s disease in recipients of cadaveric pituitary-derived growth hormone. Nature Med 29 janvier 2024.
Société française de pédiatrie. Communiqué de la SFEDP. 7 février 2024.