Outre l’extension de l’accès à l’AMP aux couples de femmes et aux femmes seules, qui a été très médiatisée, la nouvelle loi d’août 2021 apporte de nombreux changements, sur les droits des enfants nés d’une AMP, les dons d’organes et gamètes, les tests génétiques, la recherche sur les cellules souches… Les principales nouveautés expliquées de façon limpide par Valérie Depadt, maître de conférences à la faculté de droit de l’université Sorbonne Paris-Nord, conseillère de l’Espace éthique Île-de-France et co-auteur du livre La nouvelle loi de bioéthique en question(s) (Hygée Éditions, 2021).

 

Qu’est-ce qui change en matière de dons d’organes et de produits du corps humain ?

Afin d’augmenter l’opportunité de dons, dont la pénurie est criante (14 356 patients en attente d’une greffe en 2018, pour seulement 5 901 greffes réalisées en 2019), cette loi élargit les possibilités de don croisé.

Autorisée déjà depuis 2011, cette pratique reste peu utilisée. En pratique : si une personne A souhaite donner à son proche (receveur 1) mais qu’ils ne sont pas compatibles, et une personne B et son proche (receveur 2) sont dans la même situation, et si A est compatible avec 2 et B avec 1, une greffe « croisée » peut être organisée. Afin de multiplier les chances, la nouveauté consiste en l’extension du nombre de personnes pouvant en bénéficier (appelées « paires ») : jusqu’à 6 appariements possibles. De plus, le prélèvement sur donneur décédé dans le cadre de cette procédure est également autorisé.

Enfin, pour faciliter ces dons – très compliqués à mettre en place par les hôpitaux – le délai pour l’ensemble des prélèvements est étendu à 24 heures (auparavant, prélèvements et greffes devaient être réalisés simultanément).

Autre avancée éthique importante : pour le don du sang, il n’y a plus de considération quant à l’orientation sexuelle. Le délai d’abstinence de 4 mois qui était demandé aux hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes – mais qui n’était que déclaratif, de toute façon – a été supprimé.

L’un des points les plus débattus a été celui du « bébé-médicament »…

Oui, cette disposition devait être supprimée, mais elle a été réintroduite par le Sénat. Aussi appelée « bébé du double espoir », cette technique permet à des parents dont un enfant est atteint d’une maladie incurable de recourir à un diagnostic préimplantatoire (DPI-HLA) pour sélectionner un embryon indemne de cette maladie en vue de réaliser une greffe de sang du cordon ombilical pour l’aîné.

Si le diagnostic préimplantatoire est déjà autorisé en France – 256 enfants nés en 2018 –, seulement dans les cas d’éventuels déficits génétiques (la sélection de l’embryon pour d’autres raisons, comme le sexe, reste strictement interdite, à la différence d’autres pays comme les États-Unis ou Israël), le problème éthique soulevé est celui d’expliquer à l’enfant les « raisons » de sa venue au monde…

En pratique, on peut nuancer : ces couples doivent vouloir (déjà) un autre bébé, indépendamment de la possibilité de soigner leur aîné, et la sélection de l’embryon est ensuite possible. Mais, outre que cette volonté est déclarative, donc invérifiable, il est difficile de dire que les couples dans cette situation veulent un enfant exclusivement dans ce but thérapeutique.

La question éthique est ensuite : que lui expliquera-t-on ? Qu’il est né pour soigner son aîné ? Ou bien que celui-ci a été soigné à l’occasion de sa naissance ? Vis-à-vis de l’aîné, aussi, des questions se posent, en particulier au sujet de la dette, dont ont parlé de nombreux psychanalystes.

Et dans la recherche embryonnaire, quelles sont les nouveautés ?

Tout d’abord, le délai maximum de culture des embryons à des fins de recherche est fixé à 14 jours. Ensuite, les recherches sur les cellules souches embryonnaires ne font plus l’objet que d’une déclaration à l’Agence de la biomédecine (celles sur l’embryon humain restent soumises à une autorisation, que l’agence ne délivre qu’à certaines conditions).

Enfin, l’interdiction de créer des embryons transgéniques – dans le génome duquel on introduit une séquence d’ADN étrangère à l’organisme concerné – et chimériques – dans lequel on intègre des cellules d’une espèce différente – est supprimée. Cette dernière n’a été levée que dans un sens : les chercheurs pourront injecter des cellules humaines dans un embryon animal, mais pas l’inverse ! L’objectif principal serait, à terme, de réussir à fabriquer des organes pour la greffe, qui manquent cruellement.

Quels changements en matière d’AMP ?

La mesure phare, et la plus médiatisée, est l’extension de l’accès à l’assistance médicale à la procréation (AMP) aux couples de femmes et aux femmes seules. Ce faisant, le législateur change le sens et la place de l’AMP dans notre société : il lui confère une fonction sociétale, en sus de la fonction médicale qui était la sienne jusqu’à présent. Ainsi, pour les couples de femmes et femmes non mariées, conduite en dehors de toute indication médicale, elle est remboursée au même titre qu’une AMP thérapeutique. Les limites d’âge (fixées par un décret du 28 septembre 2021) sont : 45 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes ou la femme du couple qui n’a pas vocation à porter l’enfant ; un prélèvement ou recueil de gamètes en vue d’une AMP est possible jusqu’à l’âge de 43 ans pour les femmes et 60 ans pour les hommes.

Si cette mesure a créé du débat quant à une éventuelle inégalité dans l’accès à la paternité entre les couples homosexuels de femmes et d’hommes, les situations ne sont pas vraiment comparables. En effet, on n’a fait en l’occurrence qu’ouvrir aux premières une technique admise depuis des décennies ; pour les seconds, pour des raisons évidentes, la procréation nécessiterait le recours à une gestation pour autrui (GPA), qui reste strictement interdite en France pour des considérations d’ordre éthique. Le résultat est donc qu’ils ne sont pas soumis au même régime, mais par des arguments qui s’expliquent et qui ne sont pas liés à une quelconque discrimination (l’adoption est, quant à elle, ouverte à tous).

Et sur le droit d’accès aux origines ?

Un droit d’accès aux origines personnelles est créé pour les personnes conçues par don de gamètes ou accueil d’embryon : une fois majeures, elles peuvent saisir la Commission d’accès aux données non identifiantes et à l’identité du tiers donneur, afin d’obtenir ces informations.

Dérogeant au principe d’anonymat, le don de gamètes ou d’un embryon est désormais soumis au consentement préalable des donneurs à la communication de ces données. En cas de refus, le don ne pourra pas avoir lieu.

Mais il y a toutefois un angle mort : l’information sur le mode de conception reste à la discrétion des parents receveurs ; lorsque ceux-ci décident de taire à l’enfant ces circonstances, rien ne lui permettra de le savoir.

Enfin, sur les questions de filiation, une autre mesure à connaître (moins médiatisée) est la possibilité de bénéficier d’une reconnaissance conjointe anticipée pour les couples de femmes ayant fait une AMP à l’étranger, et ce pendant les 3 ans suivant la procédure. Cela permet d’éviter le processus d’adoption.

L’accès aux origines devient-il un droit absolu, au risque de voir disparaître le droit d’accoucher dans l’anonymat ?

Certains demandent en effet sa suppression, au nom justement du droit de l’enfant d’accéder à ses origines, mais je ne pense pas que ces deux questions puissent être liées de la sorte : on ne peut pas comparer une situation d’extrême détresse, qui conduit les femmes à user de cette procédure, avec une situation organisée et anticipée par le législateur comme dans le cas de l’AMP.

Le droit d’accoucher dans l’anonymat permet la prévention du risque de néonaticide et d’abandon du bébé dans un lieu public, comme cela a été démontré dans plusieurs études. Les risques qu’entraînerait sa suppression concernent aussi bien les enfants que les mères, qui ne pourraient alors bénéficier ni d’un suivi du déni de grossesse (phénomène qui concerne plus de 80 % des femmes accouchant sous X en France) ni de la protection face aux pressions sur leur décision de garder ou de se séparer de l’enfant selon leur volonté.

Pour rappel, l’enfant aura tout de même la possibilité d’accéder aux données que la mère a éventuellement laissées au moment de l’accouchement. Depuis la loi de 2002, ce qui est prôné est l’incitation – de la part des médecins, sage-femmes, assistants sociaux – pour que la femme laisse des indications (y compris son identité si elle le souhaite) que l’enfant découvrira à partir de 18 ans s’il le demande. Mais il n’y a pas d’obligation.

Concernant les tests génétiques, quelles nouveautés ?

La nouvelle loi de bioéthique précise le cadre pour leur réalisation. En particulier, les modalités d’information des membres de la famille concernés sont élargies : une personne chez qui on a découvert une anomalie génétique (par un test réalisé au déclenchement d’une maladie ou lors d’une consultation dédiée) a désormais pour obligation d’en informer sa parentèle si cette anomalie peut entraîner une affection grave chez les personnes concernées. Elle n’est pas obligée de le faire elle-même, et peut demander au médecin de s’en charger. L’information est particulièrement importante lorsqu’on sait qu’une prévention vis-à-vis de la maladie est possible. La loi n’établit pas, en revanche, une liste des pathologies concernées par cette mesure.

Les tests génétiques récréatifs restent interdits – et ne sont donc pas encadrés, contrairement à ceux réalisés à des fins médicales ou pour déterminer la paternité. Cela dit, les personnes intéressées peuvent toujours les acheter, via des sites internet américains par exemple... Quand il s’agit de connaître le pourcentage de telle ou telle autre origine géographique dont notre patrimoine est empreint, les répercussions sont certes mineures, mais il en va autrement de la personne qui découvrirait par ce biais d’éventuelles anomalies génétiques (gènes prédisposant pour le cancer, par exemple) et qui se retrouverait seule face à cette information…

Pour finir, y a-t-il d’autres dispositions que les patients doivent connaître ?

Un changement important est la suppression du délai de réflexion d’une semaine pour une interruption médicale de grossesse, suppression décidée notamment pour des questions pragmatiques (les établissements hospitaliers étant surchargés, le temps d’avoir un rendez-vous peut faire dépasser la limite du délai d’interruption de grossesse...).

En matière de dons de gamètes, l’autorisation du conjoint (marié ; homme ou femme) n’est plus nécessaire. Enfin, cette loi ouvre la possibilité d’autoconservation des gamètes hors motif médical (entre 29 et 37 ans pour les femmes, la limite supérieure étant liée à la qualité ovocytaire ; de 29 à 45 ans pour les hommes). Il faut néanmoins rappeler aux patients que cette démarche ne constitue en aucun cas une garantie de grossesse ultérieure, mais simplement une chance supplémentaire…

Propos recueillis par Kristell Delarue et Laura Martin Agudelo, La Revue du Praticien