Depuis les années 2000, la prise en charge des patients dans les structures ophtalmologiques (cabinets de ville et hôpitaux) a évolué par étapes successives. Le fil directeur a été de décharger l’ophtalmologiste de tâches pouvant être confiées à d’autres professionnels du secteur, sans affecter la prise en charge des patients.

Orthoptistes et opticiens : deux professions aux compétences élargies

Depuis vingt ans, nous assistons à une évolution majeure du champ de compétences des orthoptistes et des opticiens. Elle s’est faite sous l’influence prépondérante des ophtalmologistes mais également des autres professions de la filière visuelle, et ceci de façon désordonnée et  non consensuelle, ce qui explique que la situation actuelle soit confuse – et d’ailleurs non stabilisée pour l’heure. 

Orthoptistes, plusieurs avancées 

Les assistants médicaux, en l’occurrence les orthoptistes (encadré 1), ont été introduits dans les cabinets d’ophtalmologie à la suite du rapport Berland de 2006.1 L’examen ophtalmologique comprend classiquement sept étapes : interrogatoire, mesure de l’acuité visuelle, mesure de la pression intraoculaire, examen de la motilité oculaire, examen de l’œil, synthèse et décision thérapeutiques ; confier les quatre premières à l’orthoptiste permet de gagner environ dix minutes de temps médical, qui peuvent être utilisées pour voir un autre patient de la file active, ou une urgence.

Quelques années plus tard, une nouvelle étape a été franchie dans la délégation de tâches : il est devenu possible d’orienter vers l’orthoptiste des patients de 6 à 50 ans ne se plaignant de rien et souhaitant seulement un renouvellement de leurs lunettes. L’examen est entièrement assuré par un orthoptiste salarié d’une structure, et le dossier est analysé a posteriori par l’ophtalmologiste employeur. Les ordonnances sont ensuite envoyées au patient. Ce mode de fonctionnement, issu de l’article 51 de la loi HPST (portant réforme de l’hôpital et relative aux ­patients, à la santé et aux territoires), est entré dans le droit commun en 2018.

Le protocole « Muraine » – du nom du professeur du centre hospitalo-universitaire de Rouen qui l’a initié – lui a fait suite. Sa particularité est de fonctionner à distance, dans un poste avancé d’ophtalmologie situé à quelques dizaines de kilomètres de la structure principale. Il concerne les patients de la même tranche d’âge (6 à 50 ans) qui ­souhaitent une ordonnance de lunettes. 

Les protocoles organisationnels – terme introduit dans le décret de compétence des orthoptistes de 20162 – permettent d’organiser de façon extrêmement souple l’activité des cabinets d’ophtalmologie, en confiant aux orthoptistes les examens complémentaires, sous réserve qu’un protocole soit rédigé et signé par les deux parties (sans passage devant la Haute Autorité de santé).

Ces quatre avancées étaient portées par les ophtalmologistes. En juin 2017,3 c’est en revanche le Syndicat national autonome des orthoptistes (SNAO) qui a obtenu le droit de coter 22,10 euros (AMY 8,5) une réfraction prescrite par un médecin, quel qu’il soit. Cette autorisation de cotation n’a aucune limite d’âge et ne dépend d’aucune condition particulière concernant le patient. 

Enfin, l’article 68 de la loi de financement de la Sécurité sociale de 2022 affranchit les orthoptistes de l’obligation d’intervenir sur prescription sous certaines conditions.4,5 Ils obtiennent ainsi le droit de recevoir des patients pour prescrire des verres correcteurs et des lentilles de contact oculaires. Ils peuvent aussi­réaliser, chez l’enfant, le dépistage de l’amblyopie et celui des troubles de la réfraction. 

Opticiens : impliqués depuis 2006

Dès 2006, les opticiens ont pu renouveler les lunettes,6 avec déclenchement de la prise en charge par les mutuelles et, pour une part très modeste, par la Sécurité ­sociale (encadré 2).

De nouveaux modes d’organisation émergent

Pour les ophtalmologistes, l’organisation considérée aujourd’hui comme normale est celle dans laquelle il est aidé par un ou plusieurs orthoptistes. 

Trois autres modes de fonctionnement, encore un peu confidentiels, préfigurent ce que sera le paysage ophtalmologique des années futures :

  • le poste avancé ophtalmologique est un cabinet secondaire dans lequel exerce un binôme orthoptiste-secrétaire et dans lequel intervient régulièrement un ophtalmologiste (majoritairement en télé-expertise). Ce système s’inscrit dans la continuité du protocole « Muraine » mais sans les contraintes d’âge ;
  • la télémédecine est une voie qui a été ouverte par le groupe Point Vision grâce à une expérimentation avec la Caisse ­nationale d’assurance maladie (Cnam) ;
  • la télé-ophtalmologie mobile développe une prise en charge originale dans des camions qui circulent dans plusieurs départements d’Île-de-France avec une téléconsultation effectuée à partir du service OphtalmoPôle de l’hôpital Cochin (AP-HP).
 

À côté des offres de soins ophtalmo­logiques émergent des organisations purement orthoptiques qui aident leurs membres à proposer un premier recours. Ces structures s’adossent à une expertise ophtalmologique restant en retrait. Le réseau E-ophtalmo, positionné initialement sur le dépistage de la rétinopathie diabétique, et le réseau Relais Vision, offrant une prise en charge de la prescription de lunettes conforme au protocole « Muraine » (c’est-à-dire de 6 à 50 ans), en sont des exemples.

Et le médecin généraliste dans tout ça ?

Le rôle du médecin généraliste se situe à plusieurs niveaux :

  • il dépiste la survenue de troubles visuels : amblyo­pie chez l’enfant, dégénérescence macu­laire liée à l’âge (DMLA) chez l’adulte ;
  • il dépiste la perte de vision due au passage de DMLA sèche à DMLA exsudative (qui n’est souvent perçue par le patient qu’avec trois mois de retard) ou la reprise d’une activité exsudative, en conseillant au patient de se tester une fois par semaine en fermant un œil et en regardant une cible structurée ;
  • il prend en charge les pathologies ophtalmologiques courantes (conjonctivites, chalazion, orgelet…) ;
  • il diagnostique les urgences ophtalmologiques (corps étranger, kératite, uvéite, abcès de cornée…) et oriente les patients.
 

Le médecin généraliste ne peut pas prescrire d’équipement d’optique en l’absence de connaissances spécifiques. Il peut, en revanche, valider la prescription d’un ortho­ptiste. 

Des perspectives positives ? 

Le paysage va être complété, d’ici quelques années, par l’arrivée de l’intelligence artificielle, qui permettra, par exemple, l’analyse en temps réel de tous les clichés de rétine des patients diabétiques sans passer par l’ophtalmologiste. 

Il reste des désaccords au sein de la sphère ophtalmologique, notamment sur les évolutions organisationnelles à favoriser. Le choix doit se faire entre un travail à l’ancienne – avec beaucoup d’ophtalmologistes mais aidés par des orthoptistes – et une organisation plus novatrice – avec des délégations poussées et moins de praticiens. Dans tous les cas, les ophtalmologistes doivent s’organiser pour répondre aux besoins de la population et des territoires.

L’auteur déclare avoir une participation financière dans le capital de e-Ophtalmo et avoir participé à des interventions ponctuelles pour Point Vision.

Encadre

1. Rôles de l’orthoptiste

L’orthoptiste a plusieurs missions en délégation de tâches : 

en accès direct :

  • dépistage de l’amblyopie des enfants de 9 à 15 mois ;
  • dépistage des troubles de la réfraction pour les enfants de 30 mois à 5 ans ;
  • prescription de lunettes pour les personnes de 16 à 42 ans (sous conditions) ;

sur prescription médicale :

  • dépistage d’un trouble de la réfraction (possible à tous les âges) ;
  • renouvellement de lunettes selon la validité de l’ordonnance (un an pour les enfants de moins de 16 ans ; cinq ans pour les adultes de 16 à 42 ans ;  trois ans pour les adultes de plus de 42 ans) ;
  • dépistage d’une rétinopathie pour les patients diabétiques âgés de moins de 70 ans sans rétinopathie diabétique connue, avec lecture des clichés par un ophtalmologiste.
Encadre

2. Rôles de l’opticien

L’opticien a deux missions en délégation de tâches :

  • la réalisation et la délivrance des verres correcteurs prescrits par l’ophtalmologiste ou par l’orthoptiste. La délivrance de lunettes sans ordonnance est possible, mais dans ce cas il n’y a pas de prise en charge par l’Assurance maladie ;
  • le renouvellement (avec ou sans adaptation) des verres correcteurs, des lentilles de contact et des aides visuelles selon la validité de l’ordonnance (un an pour les enfants de moins de 16 ans ; cinq ans pour les adultes de 16 à 42 ans ; trois ans pour les adultes de plus de 42 ans).
Encadre

Gare aux centres déviants !

  • Il existe des centres de santé,7 ouverts 7 jours sur 7, qui ne disposent pas des orthoptistes et ophtalmologistes nécessaires à un fonctionnement normal. 
  • Les ophtalmologistes intervenant dans un centre doivent être connus et joignables ; leur prise en charge doit être complète et organisée (par exemple, le patient ne doit pas être abandonné avec la consigne de réaliser une angiographie).
Encadre

Que dire à vos patients ? 

Le patient doit anticiper la prise de son rendez-vous ophtalmologique pour renouvellement de dispositif optique, en fonction de son âge (tous les ans avant 16 ans, tous les 5 ans entre 16 et 42 ans et tous les 3 ans au-delà).

La patient doit s’assurer que le centre de santé dans lequel il consulte dispose des ressources en orthoptie et ophtalmologie réglementaires.

Références 
1. Observatoire national de la démographie des professions de santé. Rapport. Cinq expérimentations de co­opération et de délégation de tâches entre professions de santé. Juin 2006.
2. Décret n° 2016-1670 du 5 décembre 2016 relatif à la définition des actes d’orthoptie et aux modalités d’exercice de la profession d’orthoptiste, JORF n° 0283 du 6 décembre 2016.
3. Avis relatif à l’avenant n° 12 à la convention nationale organisant les rapports entre les orthoptistes et l’Assurance maladie, signée le 19 avril 1999, JORF n° 0146 du 23 juin 2017.
4. Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la Sécurité sociale pour 2022, JORF n° 0299 du 24 décembre 2021.
5. Décret n° 2022-691 du 26 avril 2022 relatif aux soins visuels pouvant être réalisés sans prescription médicale par les orthoptistes, JORF n° 0098 du 27 avril 2022.
6. Article L4362-10 du code de la santé publique.
7. Améliorer la qualité du système de santé et maîtriser les dépenses. Propositions de l’Assurance maladie pour 2021. Juillet 2020.

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essentiel

La réorganisation des soins en ophtalmologie a débuté dans les années 2000. Débattue et perfectible, elle n’est pas encore fixée mais vise à répondre aux besoins de la population et des territoires.

Il est nécessaire de mesurer l’acuité visuelle des enfants dès qu’ils commencent à parler. Ce contrôle peut être fait au cabinet des médecins généralistes avec des tests adaptés aux jeunes enfants. 

Pour renouveler ses lunettes, il est possible de consulter l’orthoptiste, l’opticien ou l’ophtalmologiste. En revanche, pour certaines urgences, seul l’ophtalmologiste est compétent.