Alors que nos facultés assurent la mise en place, avec de nombreux ajustements, de la réforme du 3e cycle et déploient le service sanitaire, nous sommes entrés dans une période de réformes quasi sans précédents de la formation des métiers médicaux.
Cette réforme attendue a été demandée par le président de la République dans son discours de septembre 2018 alors que les hypothèses de travail n’avaient pas encore été réellement préparées par les acteurs de terrain.

Supprimer l’étau du double concours

Les points clés de cette réforme sont de supprimer l’étau « étouffant » d’un double concours (1re année commune aux études de santé [PACES], Épreuves classantes nationales [ECN]) mais surtout d’insuffler une vision pédagogique nouvelle pour des étudiants dont les profils doivent être diversifiés afin de sortir du « cliché » bac S mention bien ou très bien. Cette réforme doit favoriser la réussite de nos étudiants par une orientation intelligente, notamment de ceux qui ne pourront pas intégrer les filières médicales.
Ces objectifs ne sont pas contestables car il faut transformer un système considéré à juste titre comme responsable de l’échec d’excellents lycéens très motivés, et surtout parce qu’il était devenu incapable de répondre à des besoins de formation dans une période marquée par une pénurie de médecins, avec d’importantes inégalités territoriales. Ces difficultés ont entraîné, comme facteur aggravant, la fuite de nos étudiants « collés » pour obtenir un diplôme médical dans un autre pays de l’Union européenne (Roumanie, Belgique…) et l’afflux « compensatoire » de médecins étrangers qui ont été, pour certains, mal intégrés dans notre système de soins. Il est donc indispensable, sans attendre, de transformer ce système pour s’adapter aux enjeux majeurs de la médecine de demain dans un monde qui doit affronter des incertitudes économiques, sociologiques, politiques et surtout environnementales majeures. Notre responsabilité est d’écouter les « douleurs » d’un système profondément malade que nous devons « réanimer ».

Une réorganisation massive

La médecine et d’autres acteurs de santé vont devoir prendre en charge des patients plus nombreux, plus âgés, plus malades et plus isolés dans des conditions médicosociales qui n’ont pas anticipé l’explosion des maladies chroniques cancéreuses, neurodégénératives et handicapantes. Pour répondre à cette équation complexe, il faudra impérativement une approche plus prédictive, préventive et personnalisée, ce qui va impliquer une réorganisation « massive » incluant des outils digitaux et numériques et un partage des tâches. L’organisation des soins devra être pluriprofessionnelle, avec une délégation des tâches à d’autres professions de santé et des travailleurs sociaux, ce qui justifie de construire une nouvelle culture avec de véritables « work force » dédiées à un fonctionnement optimal du système de soins. Les patients ont aussi changé car leurs souhaits et la connaissance de leur maladie ont beaucoup plus évolué, ce qui nécessite une approche beaucoup plus participative qu’il faut mettre en œuvre progressivement.
Ainsi, cette évolution pédagogique va justifier plus que jamais des médecins formés différemment car ils devront avoir des capacités de coordination, d’écoute et d’accompagnement de patients qui sont dans l’attente d’un bien-être physique, mental et social, comme le précise la définition de l’Organisation mondiale de la santé… depuis 1946 ! Pour cela, il faut que notre formation médicale se transforme pour être plus collaborative, plus digitale, plus pertinente et encore plus humaniste… ce qui est un sacré défi !

Les prérequis de la réforme

Pour « réussir » cette réforme que l’on souhaite transformante, il y a quelques « ingrédients » indispensables qui traduisent les difficultés et l’ampleur de la tâche.

Des connaissances mais aussi des compétences et des valeurs humaines

Les études médicales doivent conserver une sélectivité car le métier de soignant est exigeant dans un monde dans lequel la santé est le bien le plus précieux pour l’homme. L’objectif est que cette sélectivité ne s’exerce pas seulement par un contrôle de connaissances (maintenant exponentielles) mais en privilégiant des indicateurs plus centrés sur les compétences et les valeurs humaines, à condition d’être capables de les évaluer avec pertinence et équité. Soyons justes et équitables en réduisant la pression de sélection pour « le bien-être » des étudiants.

Maîtriser intelligemment la démographie médicale

Reste à définir le nombre « optimal » de médecins qu’il faudra former sans numerus clausus… qui le regrettera ? Cependant, même si le numerus clausus disparaît, nous allons être confrontés à la limite des capacités de formation de nos facultés, ce qui était le critère « ancêtre » du numerus clausus… comme un clin d’œil du destin. L’enjeu est d’imaginer un système de modélisation des besoins (à 5-10 ans) qui dépendront de l’évolution de la médecine et de son organisation, mais aussi de la vie des territoires et de leurs populations. Nous n’avons aujourd’hui aucun outil performant, ce qui explique que dans un premier temps le nombre de médecins formés ne sera pas très différent de celui qui était fixé par « feu » le numerus clausus. L’expérience du passé suggère l’importance d’une maîtrise intelligente de la démographie médicale pour éviter les « effets yoyo » illustrés par les excès des années 1980 et les déficits des années 2000. Il est donc indispensable de revoir notre système pour lui donner une expertise nouvelle en impliquant les agences régionales de santé (ARS), les universités, les collectivités et les patients. Il faut être capables de renforcer les moyens de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé (ONDPS) et surtout être créatif pour développer un outil pratique et efficace de prédiction des besoins.

Diversifier le profil des étudiants

Pour répondre aux enjeux de la médecine et de la diversité des métiers médicaux, il faut être capables de diversifier le profil de nos étudiants, ce que la seule réforme de l’entrée dans les études médicales ne suffira pas à régler. Il faut renforcer les initiatives en amont (à l’école) et les soutiens des étudiants d’horizons variés pour leur permettre de mieux réussir en luttant contre une sélection déterminée par des critères socioéconomiques. Cette diversification, qui a été un succès dans d’autres filières, ne doit pas se faire au détriment de la qualité, ce qui nécessite de rester exigeant. La diversité s’obtiendra aussi en offrant une formation puis des métiers attractifs dans des domaines variés comme la médecine du travail, la médecine sociale, l’industrie de la santé et d’autres filières qu’il faut créer comme la médecine « connectée » et la médecine de l’environnement.

Un premier cycle professionnalisant

La formation médicale, dès le premier cycle, doit être rapidement professionnalisante car il n’est pas raisonnable, dans le contexte actuel, de prolonger des études longues par une organisation du cursus de type LMD (licence- master-doctorat). Cette professionnalisation précoce, qui est une des forces de notre système, doit être construite avec une vision pluriprofessionnelle. C’est l’un des objectifs de la transformation de nos facultés de médecine en faculté des sciences de la santé. Cette professionnalisation précoce, pour une majorité d’étudiants déterminés, doit laisser aussi la possibilité d’accéder aux études médicales (en 2e ou 3e année) par d’autres voies qui donneront une « coloration » disciplinaire avec, si besoin, un temps de maturation personnalisé. Il faut favoriser ces « passerelles » à condition de ne pas mettre les étudiants en échec précoce dès leur entrée dans les études médicales. Ainsi, il faut donc être capable de bien déterminer les critères d’admission avec, si besoin, des formations de mise à niveau. Ces « passerelles » doivent recruter un nombre significatif d’étudiants d’horizons différents, sans quoi cela n’aura pas l’effet transformant souhaité. Il faudra donc bien calibrer ces flux pour qu’ils correspondent à des filières recherchées par les étudiants avec un taux de réussite comparable aux autres voies d’accès.
Nous aurons réussi cette réforme si nous arrivons aussi à mettre en place une orientation intelligente des étudiants qui n’auront pas intégré une des filières médicales. Il faut leur offrir un parcours « sortant » vers un métier de la santé ou une autre filière disciplinaire (biologie, droit, chimie…) selon leur projet professionnel. Favoriser la réussite universitaire étudiante avec un objectif d’employabilité est une de nos responsabilités.

Transformer la pédagogie

La transformation de la pédagogie doit s’accompagner de nouvelles méthodologies d’évaluation. Ces évaluations, même si elles sont standardisées, introduisent une part de subjectivité mais ce qui ne signifie pas de l’inéquité. Il faut rapidement se prémunir d’une forme de suspicion liée à la crainte du retour d’un favoritisme de « caste », notamment par l’introduction d’oraux formatés qui sont pourtant souhaitables pour mieux comprendre la motivation des étudiants. Pour cela, il faut communiquer avec pédagogie sur l’expertise des jurys et les outils d’évaluation dont la validité a été souvent largement éprouvée dans d’autres pays. Cette nouvelle culture de l’évaluation permettra de favoriser et valoriser le projet professionnel des étudiants afin de permettre un choix de discipline plus personnalisé à l’issue du deuxième cycle mais sans induire une stratégie de choix trop précoce. Il faut laisser du temps à l’expérience et à la découverte. Pour réussir cette réforme, il faudra donc sortir d’un déficit chronique de confiance par une nouvelle culture des relations entre les scolarités et nos étudiants avec un esprit d’accompagnement alliant rigueur et bienveillance. Sans confiance, nous ne réussirons pas.

Impliquer les équipes pédagogiques

Cette réforme ne sera possible que si nous obtenons un engagement déterminé de nos équipes pédagogiques. Nos équipes vont devoir s’impliquer dans l’enseignement et les jurys de sélection du premier cycle, et dans la pédagogie du deuxième cycle qui comprendra une évaluation des compétences, notamment par des « examens cliniques objectifs et structurés » (ECOS), ce qui se fait dans de nombreux pays (Canada, Suisse…) depuis longtemps. Cet engagement devra être facilité par une réorganisation des scolarités de nos facultés qui devront être soutenues par d’indispensables moyens complémentaires à la hauteur des enjeux qui sont immenses. Il faut que ces scolarités « new look » conservent leur proximité de terrain sur nos campus santé car elles sont les garants de compétences organisationnelles et réglementaires compliquées à acquérir, mais nécessaires pour assurer un service de qualité pour nos étudiants.

Favoriser une mobilité internationale

Cette réforme, pour être transformante, devra aussi promouvoir un esprit nouveau marqué par plus de créativité, de curiosité et d’esprit d’entreprise pour permettre à nos étudiants d’être capables de « sortir des sentiers battus ». Pour cela, nous avons proposé, avec succès, dans le cadre de la loi santé une mobilité internationale pour faciliter la découverte de systèmes et de sociétés différents, ce qui enrichira certainement le projet professionnel de nos étudiants. Cette expérience pourrait leur donner une citoyenneté européenne de la santé, ce qui est une dimension nouvelle, source de cohésion pour notre société. Cette mobilité, dont ne bénéficient aujourd’hui que 10 % des étudiants en médecine, devrait être facilitée par la disparition du « spectre inhibiteur » de la préparation des ECN. Cette ouverture, nous l’espérons, pourra contribuer à rendre nos étudiants plus épanouis, ce qui est aussi un objectif majeur de ces réformes. Nous aurons réussi cette réforme si nos jeunes médecins, demain, sont plus curieux, plus connectés, plus humanistes et surtout plus heureux.

Intégrer les nouveaux outils

Cette transformation de la formation devra impérativement anticiper l’appropriation précoce du numérique et du digital qui feront l’intelligence artificielle (IA) de demain. Cela pourra se faire par de nouveaux outils et de nouvelles méthodes dans nos centres de « simulation » dont il faut assurer le développement. Des formations « croisées » avec le développement de nouveaux métiers de la médecine « connectée » doivent être envisagées rapidement en collaboration notamment avec les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles, ce qui se fait déjà mais pas suffisamment. Il faudra apprendre à nos étudiants à combiner intelligence naturelle et intelligence artificielle en renforçant leur sensibilité éthique et déontologique pour les préparer aux évolutions de notre société.

Diversifier la formation

La réussite de cette réforme dépendra aussi de l’implication de tous pour permettre plus d’expérience par des stages médicaux ambulatoires, mais aussi dans différentes autres structures (médicosociales, administratives, industrielles…). Cette réforme de la formation doit aussi inciter à une initiation précoce à la recherche et à l’innovation par des dispositifs pédagogiques comme des doubles cursus. L’objectif est de favoriser la diversification par le décloisonnement et l’ouverture de la formation dans nos territoires, nos institutions et nos entreprises. Cela se fera à condition d’avoir les moyens d’assurer ce déploiement beaucoup plus complexe à mettre en œuvre que nos traditionnels stages hospitaliers qui ont assuré la formation de générations d’étudiants.

Avoir une vision territoriale

Cette réforme va permettre à chaque université de proposer une offre de formation originale qui créera une forme de compétition constructive, ce qui suggère à terme qu’un étudiant pourra choisir de s’inscrire dans l’université qui propose l’offre de formation la plus adaptée à son projet. Cette diversité doit favoriser une formation en santé (des médecins et des autres professionnels) avec une vision territoriale, ce qui n’est pas encore suffisamment la stratégie de nos universités. Ainsi, des universités sans secteur santé pourront proposer des voies d’accès aux études médicales pour des étudiants de leur territoire. Même si ces étudiants iront suivre leur formation médicale dans une université santé à l’issue de leur premier cycle, ils pourront revenir dans des terrains de stage territoriaux avec le souhait de les « fidéliser » dans des zones « fragiles ». Cette mesure s’intègre à de nombreuses actions « Initiatives territoires » qui visent à réduire les disparités de l’offre de soins, ce qui est de notre responsabilité sociétale.
Cette responsabilité des universités dans la formation médicale permet d’envisager une coordination extrêmement légitime entre la formation initiale et une formation « tout au long de la vie » qui pourra être mise à disposition des professionnels de santé, notamment dans le domaine de l’innovation par de nouveaux outils comme les plateformes d’e-learning et de simulation.

Un énorme effort de pédagogie à faire

En conclusion, ces « conditions » de la réussite seront déterminantes pour que cette réforme ambitieuse soit transformante, ce que nous souhaitons. Il faudra être capable de mieux sélectionner et de mieux former nos futurs médecins pour construire une offre de soins plus pertinente et plus performante avec l’objectif d’être en phase avec les défis de la médecine moderne. Cette réforme qui introduit une « diversification » est de fait beaucoup plus complexe que le système de la PACES et de son numerus clausus qui était simple et rigide, mais facile à comprendre. Pour préparer cette réforme, il faudra donc faire un énorme effort de pédagogie pour expliquer aux lycéens et à leur famille les objectifs et l’organisation proposés dans chaque université, et cela dès la mise en ligne des attendus de Parcoursup (décembre 2019).
Ces « conditions » suscitent des inquiétudes liées à de nombreuses incertitudes surtout organisationnelles mais aussi à la masse des tâches pédagogiques que l’on ne peut pas imaginer mettre en place dans ce délai incroyablement court sans des moyens adaptés que nous revendiquons.
La motivation de nos équipes est admirable, mais l’accumulation des charges et des contraintes rend l’année 2020 à « haut risque » car elle sera l’année de la fin de la PACES et celle du début du nouveau deuxième cycle. Nous aurons besoin d’une énergie, d’une solidarité et de soutien sans failles, faisant fi dans ce moment « historique » des clivages et des postures qui minent encore trop nos communautés et nos institutions. Souhaitons que nous réussissions ensemble car cela ne peut être qu’un succès collectif. Gardons le meilleur, la professionnalisation que l’on nous envie… abandonnons le pire, la « malveillance » des études, pour que, demain, nos médecins et nos soignants puissent animer un système de soins pertinent et solidaire dont nous serons fiers. On avance ensemble. 
Encadre

Les 10 conditions de la réussite de la réforme de la formation médicale

1. Proposer des études médicales sélectives mais plus centrées sur l’acquisition de compétences et les valeurs humaines avec le souhait de favoriser la réussite et l’épanouissement des étudiants.2. Définir le nombre de médecins à former grâce à un algorithme prédictif anticipant les besoins des territoires en renforçant le rôle et les moyens de l’ONDPS.3. Diversifier le profil des étudiants en médecine par des filières d’accès et des passerelles « multiples » et attractives mais aussi par différentes autres mesures (dès l’école) pour une offre professionnelle « ouverte » répondant à une offre de soins adaptée.4. Garantir une formation rapidement professionnalisante en évitant une « LMDisation » de la formation mais en favorisant une culture collaborative pluriprofessionnelle précoce.5. Mettre en place de nouvelles méthodes d’enseignement et d’évaluation, dont des oraux, sans suspicion d’inéquité, et cela dans un nouveau pacte de confiance universitaire.6. Obtenir un engagement sans failles de nos équipes pédagogiques et réorganiser nos scolarités en revendiquant des moyens à la hauteur des enjeux sans précédents de cette réforme.7. Promouvoir un esprit nouveau avec plus de créativité, de curiosité et d’ouverture d’esprit, notamment par des mobilités internationales dans l’idée d’une citoyenneté européenne de la santé.8. Faciliter l’appropriation de la médecine connectée et de l’IA de demain par une formation notamment en collaboration avec les écoles d’ingénieurs et les grandes écoles en favorisant une sensibilisation éthique et déontologique nouvelle.9. Favoriser la formation précoce à la recherche et veiller à l’implication de tous les acteurs de la santé, du secteur médico-social, des institutions et des entreprises pour une « ouverture territoriale » de la formation à condition d’avoir les moyens pour le faire.10. Permettre dans chaque université une diversification de l’offre de formation médicale et des autres professions de santé en construisant une offre « tout au long de la vie » avec la mise à disposition d’outils numériques pour améliorer les connaissances (innovations) et les compétences.

Dans cet article

Ce contenu est exclusivement réservé aux abonnés