Le fleuve alcool sera-t-il la Bérézina qui verra sombrer la politique de santé publique d’Emmanuel Macron et d’Agnès Buzyn ? Tout avait pourtant bien débuté avec des décisions courageuses notamment en termes de politique vaccinale (dont dernièrement – enfin ! – la vaccination des garçons contre les infections à papillomavirus) et de lutte contre le tabagisme, mais la complaisance du président de la République envers le lobby alcoolier donne à ce dernier des ailes pour tailler des croupières à la loi Évin et brouiller ou s’opposer aux mesures indispensables pour diminuer les dégâts considérables liés à l’alcool en France. La façon dont a été torpillée l’opération Janvier sec que préparait Santé publique France avec le soutien de la Ligue contre le cancer, de toute la communauté des addictologues et de France Assos Santé est édifiante.1 Le lobby alcoolier s’est félicité du soutien présidentiel, lequel n’a pas démenti… « Le président de la République nous a affirmé qu’il n’y aura pas de “Janvier sec” et que nous pouvons le faire savoir », rapporte Maxime Toubart, président du Syndicat général des vignerons de la Champagne sur le site Vitisphère…2« Seul Emmanuel Macron a fait capoter cette cabale », surenchérit Denis Saverot sur le site de La Revue du vin de France qui, emporté par son élan, en demande encore plus :3« La situation est préoccupante. Si Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy ou François Hollande étaient encore à l’Élysée, nous aurions certainement eu droit à un “Janvier sec” soutenu par le gouvernement (…) Le gouvernement commence (enfin) à supprimer les comités Théodule, cette centaine d’organismes inutiles financés par nos impôts. Il est grand temps d’ajouter l’ANPAA, l’OFDT, le Fonds Actions Addictions et quelques autres à la liste. » Que des lobbyistes en appellent au démantèlement de structures de santé publique en dit long sur la libération actuelle de leur parole. Comment ne pas faire le lien avec le contenu du rapport que vient de publier le Greco, organe anticorruption du Conseil de l’Europe, qui appelle la France à redoubler d’efforts dans ce domaine et émet le vœu « qu’une plus grande transparence s’impose quant aux contacts entre l’exécutif et les groupes d’intérêts afin que leur influence sur la prise de décision soit plus claire. Les membres de l’exécutif, y compris le président de la République, devraient donc faire état publiquement et à intervalles réguliers des lobbyistes rencontrés et des questions abordées ».4
Cette polémique autour du Janvier sec illustre l’extraordinaire conflit de légitimité qui voit des structures commerciales s’immiscer dans les débats de santé publique. On a souvent évoqué ici la stratégie bien connue des industriels du tabac et des alcooliers pour attirer de nouveaux publics principalement chez les jeunes et chez les femmes. On sait combien la campagne du lobby viticole en direction des femmes enceintes a choqué les professionnels de la santé publique.5 On voit les manœuvres des GAFA pour investir le champ de la santé, ce qu’illustre par exemple la spectaculaire décision d’Apple de supprimer de l’App Store les dizaines d’applications dédiées au vapotage, à la suite des décès liés à l’inhalation de produits trafiqués aux États-Unis. La firme a prétexté « évaluer en permanence les applications et consulter les dernières données factuelles afin de déterminer les risques pour la santé des utilisateurs ». Est-ce vraiment son rôle d’intervenir ainsi, en quelque sorte, dans le débat sur les risques comparés du vapotage et du tabagisme et pour quelles motivations réelles ?
Santé publique ou intérêts privés, il va falloir choisir… 
1. Le Monde, 4 décembre 2019. http://bit.ly/37NMV48
2. Vitisphère. http://bit.ly/39O1DtT
3. La Revue du vin de France. http://bit.ly/303XqO8
4. Council of Europe. http://bit.ly/36HPuEM
5. Le Figaro, 20 octobre 2019. http://bit.ly/2YyutsV