La simultagnosie, cette incapacité à percevoir simultanément deux objets et à tirer les enseignements de la confrontation des divers éléments d’une image s’observe dans le syndrome de Balint, fruit d’une déconnexion interhémisphérique. L’activité de l’hémisphère gauche non modérée par le droit provoque un attachement au détail. Une semblable fixation existe dans l’autisme où elle peut être interprétée comme un échec de la dialectique des hémisphères.
Attachement à l’objet, un désordre fondamental du comportement autistique
La fixation sur le détail qui caractérise la simultagnosie des autistes s’inscrit dans un ensemble de désordres du comportement ayant en commun l’attachement obstiné à l’objet. Dès 1985, Gilbert Lelord attirait l’attention de l’Académie de médecine sur cette défaillance dans le jeu des hémisphères : « Dans un monde qui ne cesse d’alerter ses sens, l’autiste fixé sur une modalité et accaparé par une information ne supporte pas le dérangement et encore moins la surprise. »1
La simultagnosie s’inscrit dans la dialectique des hémisphères
« L’hémisphère droit veille au grain, l’hémisphère gauche pique le grain. » Depuis que Lesley Rogers l’a mise en évidence chez le pigeon, la spécialisation des hémisphères a été établie pour l’ensemble des vertébrés. Au service de l’espèce, l’hémisphère droit s’ouvre sur l’espace ; au service de l’individu, l’hémisphère gauche s’approprie l’objet. Ignorance de l’existence de l’autre (absence d’empathie), méconnaissance de son propre corps (asomatognosie) et de l’espace (désorientation), l’hémisphère droit de l’autiste cesse de modérer son conjoint qui, suivant son attachement à l’objet, développe une pensée en images et s’adonne au fonctionnement hyperlogique de l’hémisphère voué au langage. Voire dans l’autisme une faillite de l’alternance qui conduit à étudier le fonctionnement aberrant d’un cerveau si peu différent en apparence du cerveau de tout le monde et à s’interroger sur les événements qui ont faussé durablement la dialectique des hémisphères.2
Test de Navon
Les sujets normaux décryptent l’une et l’autre des lettres qui entrent en compétition dans le test de Navon. Les simultagnosiques s’attachant obstinément à la petite lettre persistent à ne lire que le E (fig. 1 ).
Les patients simultagnosiques s’attachent à une des mini-scènes mais sont incapables de dégager la signification de ce drame domestique (fig. 2 ). En présence d’une scène complexe, la fixation sur un détail les empêche de saisir la signification de l’ensemble. Capables d’identifier les objets isolés ou les parties d’une image, ils sont dans l’impossibilité de percevoir à la fois deux objets ou plusieurs parties d’une image et de tirer un enseignement de leur relation (fig. 2 ).
Les patients simultagnosiques s’attachent à une des mini-scènes mais sont incapables de dégager la signification de ce drame domestique (
Syndrome de Balint
Décrit par Rezso Balint en 1909, ce syndrome résulte de lésions uni- ou bilatérales de la jonction pariéto-occipitale postérieure engendrant une déconnexion (disconnection des Anglo-Saxons) interhémisphérique. La simultagnosie en est une composante.
Chez un sujet dont le champ visuel est normal, le regard tantôt errant, tantôt fixé sur une cible, explore mal la scène, c’est l’ataxie optique ; les gestes sont mal adaptés à leur objectif, c’est l’apraxie optique. Le patient s’arrête aux premières lettres dès que le texte lui impose de déchiffrer.
Devant une suite de lettres, il ne lit que les premières s’il s’agit d’un non-mot. Il procède au hasard pour le reste d’un mot de la langue, c’est la simultagnosie.
Les lésions responsables d’un syndrome de Balint intéressent le corps calleux et/ou le cortex pariéto-occipital de l’hémisphère droit. L’ouverture sur l’espace (hémisphère droit) s’incline face à la fixation sur l’objet (hémisphère gauche). L’hémisphère du langage et de l’initiative ne lâche pas sa proie, l’hémisphère chargé de l’espace n’intervenant plus pour l’y contraindre.
Chez un sujet dont le champ visuel est normal, le regard tantôt errant, tantôt fixé sur une cible, explore mal la scène, c’est l’ataxie optique ; les gestes sont mal adaptés à leur objectif, c’est l’apraxie optique. Le patient s’arrête aux premières lettres dès que le texte lui impose de déchiffrer.
Devant une suite de lettres, il ne lit que les premières s’il s’agit d’un non-mot. Il procède au hasard pour le reste d’un mot de la langue, c’est la simultagnosie.
Les lésions responsables d’un syndrome de Balint intéressent le corps calleux et/ou le cortex pariéto-occipital de l’hémisphère droit. L’ouverture sur l’espace (hémisphère droit) s’incline face à la fixation sur l’objet (hémisphère gauche). L’hémisphère du langage et de l’initiative ne lâche pas sa proie, l’hémisphère chargé de l’espace n’intervenant plus pour l’y contraindre.
Simultagnosie des autistes : un hémisphère gauche totalitaire
Bien qu’elle ne relève pas d’une semblable déconnexion, la simultagnosie des autistes n’en marque pas moins le comportement des patients. « Quand un autiste entre dans une pièce, la première chose qu’il voit, c’est une tache sur la table basse et dix-sept lames de parquet » (I, p. 140) [v. encadré des citations page 479 ]. La même adhérence à l’information élémentaire rend compte de l’attachement irrésistible au jeu en cours, de la passion pour les puzzles ou de ses équivalents dans les autres domaines.
L’autiste détourne son regard des yeux de sa mère pour l’attacher au point fixe que constitue son nez. Désormais, un tel échec de l’échange des regards met sur la piste du diagnostic chez un sujet qui n’évolue pas comme les autres.
L’enfant qui tarde à marcher ou se refuse à parler, l’écolier écarté des jeux collectifs, l’adolescent qui développe sans limite des intérêts aberrants, l’adulte qui tout en faisant preuve de talents prodigieux reste perdu dans des lieux familiers ont en commun la difficulté à vivre dans le monde tel qu’il est et le même attachement obstiné au moment et à l’objet.
L’autiste détourne son regard des yeux de sa mère pour l’attacher au point fixe que constitue son nez. Désormais, un tel échec de l’échange des regards met sur la piste du diagnostic chez un sujet qui n’évolue pas comme les autres.
L’enfant qui tarde à marcher ou se refuse à parler, l’écolier écarté des jeux collectifs, l’adolescent qui développe sans limite des intérêts aberrants, l’adulte qui tout en faisant preuve de talents prodigieux reste perdu dans des lieux familiers ont en commun la difficulté à vivre dans le monde tel qu’il est et le même attachement obstiné au moment et à l’objet.
Difficulté à saisir le tableau d’ensemble
« On peut dire que les autistes ont du mal à saisir le tableau d’ensemble, ou qu’ils ne voient pas l’ensemble derrière l’arbre » (II, p. 140). L’inventaire de la vie des autistes constate l’échec des comportements adaptés au monde. L’effacement de la contribution hémisphérique droite qui compromet la vie sociale va de pair avec une vie soumise à des principes relevant de la logique, propre à l’autre hémisphère. Il en résulte une rupture de l’alternance dialectique des hémisphères, qui est la clé de la sagesse.
« Je parlais (hémisphère gauche) à mon corps (hémisphère droit) comme à une personne étrangère » (III, p. 139). Dessiner un bonhomme est une acquisition tardive et laborieuse pour l’enfant autiste incapable d’habiter son propre corps. Il enveloppe, enferme ou agresse ce corps pour en éprouver les limites. « Rien de mieux qu’une armoire, c’est un moment de bonheur » (III, p. 140). Ses gestes ou ses indications vocales n’orientent pas vers une localisation de la douleur. Le déficit de l’image du corps relève de la défaillance hémisphérique droite. « Lorsqu’il tourne sur lui-même, c’est pour rassembler les morceaux » (III, p. 94). Ce traitement parcellaire du corps renvoie à l’attachement au détail propre au fonctionnement de l’autre hémisphère.
« Il m’a fallu attendre 25 ans pour réussir à serrer la main et à regarder quelqu’un en face » (III, p. 56). La défaillance de l’empathie ne se limite pas au partage des émotions. « Des autistes peuvent facilement vous parler en vous tournant le dos » (III, p. 54). Allant jusqu’à la méconnaissance de la présence de l’autre, elle contribue à l’isolement social au point d’en venir à une définition pragmatique de l’autre (hémisphère gauche) : « Un ami, c’est quelqu’un qui porte ton sac. »
La prosopagnosie et la dépersonnalisation des voix sont des témoins de la défaillance hémisphérique droite. L’identification par l’autiste de son éducatrice sur le nævus qui marque sa joue gauche peut être rapprochée de l’identification d’Hitler par sa mèche ou de Churchill par son cigare, façon de procéder des patients atteints d’une lésion du sillon temporal dans l’hémisphère droit. Dans l’un et l’autre cas, l’hémisphère gauche, privé de concurrent, procède à sa façon en s’attachant à un détail.
« Le regard que me renvoyait le miroir était bien en peine de me donner une réponse, lui qui me répétait : c’est qui, moi ? » (IV, p. 140). L’idée que l’autiste acquiert de sa propre identité, privé des racines somatique et affective de l’autonomie, est le fruit d’un raisonnement au point d’incarner des personnalités en tout point opposées : « Je ne m’appellerai plus Donna mais Lee... » (IV, p. 142). Faute de se connaître (hémisphère droit), l’autiste cherche à se définir (hémisphère gauche).
« La gauche et la droite sont assez difficiles à distinguer pour moi, soit dit en passant, comme l’est et l’ouest » (III, p. 23). L’orientation, la représentation de l’espace, la mémoire spatiale sont défaillantes (hémisphère droit). Réduit à se diriger en mémorisant une série de repères, l’autiste procède pas à pas. Cette façon de procéder relève de l’hémisphère gauche qui vit l’espace dans le champ où il opère son action.
« Si on vous dit que le cours s’arrête à 10 h, le fait que le prof parle encore à 10h02 crée une angoisse prodigieuse » (III, p. 40). La chronométrie mettant en jeu la boucle audiophonatoire (hémisphère gauche), une telle adhérence à l’instant présent contraste avec une insensibilité à la durée qui, fruit de l’accumulation des moments, répond à la défaillance de la mémoire épisodique (hémisphère droit).
« Quand il regarde, il paraît ne pas entendre, quand il écoute, il paraît ne pas voir » (II, p. 140). L’adhérence à une modalité sensorielle (hémisphère gauche) au même titre que l’adhérence à l’objet va de pair avec une intolérance au mouvement de cet objet. « Arrêtez le monde, je veux descendre » (IV, p. 70). Les déplacements de l’entourage, l’échappement des objets déclenchent des réactions démesurées. « Cligner des yeux permet de ralentir les choses, de les fractionner… cela rend les choses plus fixes, donc plus prévisibles et plus rassurantes » (IV, p. 105). « Il y avait un long temps entre le moment où j’avais l’intention d’un geste et celui où je parvenais à le réaliser » (III, p. 24).
« Je parlais (hémisphère gauche) à mon corps (hémisphère droit) comme à une personne étrangère » (III, p. 139). Dessiner un bonhomme est une acquisition tardive et laborieuse pour l’enfant autiste incapable d’habiter son propre corps. Il enveloppe, enferme ou agresse ce corps pour en éprouver les limites. « Rien de mieux qu’une armoire, c’est un moment de bonheur » (III, p. 140). Ses gestes ou ses indications vocales n’orientent pas vers une localisation de la douleur. Le déficit de l’image du corps relève de la défaillance hémisphérique droite. « Lorsqu’il tourne sur lui-même, c’est pour rassembler les morceaux » (III, p. 94). Ce traitement parcellaire du corps renvoie à l’attachement au détail propre au fonctionnement de l’autre hémisphère.
« Il m’a fallu attendre 25 ans pour réussir à serrer la main et à regarder quelqu’un en face » (III, p. 56). La défaillance de l’empathie ne se limite pas au partage des émotions. « Des autistes peuvent facilement vous parler en vous tournant le dos » (III, p. 54). Allant jusqu’à la méconnaissance de la présence de l’autre, elle contribue à l’isolement social au point d’en venir à une définition pragmatique de l’autre (hémisphère gauche) : « Un ami, c’est quelqu’un qui porte ton sac. »
La prosopagnosie et la dépersonnalisation des voix sont des témoins de la défaillance hémisphérique droite. L’identification par l’autiste de son éducatrice sur le nævus qui marque sa joue gauche peut être rapprochée de l’identification d’Hitler par sa mèche ou de Churchill par son cigare, façon de procéder des patients atteints d’une lésion du sillon temporal dans l’hémisphère droit. Dans l’un et l’autre cas, l’hémisphère gauche, privé de concurrent, procède à sa façon en s’attachant à un détail.
« Le regard que me renvoyait le miroir était bien en peine de me donner une réponse, lui qui me répétait : c’est qui, moi ? » (IV, p. 140). L’idée que l’autiste acquiert de sa propre identité, privé des racines somatique et affective de l’autonomie, est le fruit d’un raisonnement au point d’incarner des personnalités en tout point opposées : « Je ne m’appellerai plus Donna mais Lee... » (IV, p. 142). Faute de se connaître (hémisphère droit), l’autiste cherche à se définir (hémisphère gauche).
« La gauche et la droite sont assez difficiles à distinguer pour moi, soit dit en passant, comme l’est et l’ouest » (III, p. 23). L’orientation, la représentation de l’espace, la mémoire spatiale sont défaillantes (hémisphère droit). Réduit à se diriger en mémorisant une série de repères, l’autiste procède pas à pas. Cette façon de procéder relève de l’hémisphère gauche qui vit l’espace dans le champ où il opère son action.
« Si on vous dit que le cours s’arrête à 10 h, le fait que le prof parle encore à 10h02 crée une angoisse prodigieuse » (III, p. 40). La chronométrie mettant en jeu la boucle audiophonatoire (hémisphère gauche), une telle adhérence à l’instant présent contraste avec une insensibilité à la durée qui, fruit de l’accumulation des moments, répond à la défaillance de la mémoire épisodique (hémisphère droit).
« Quand il regarde, il paraît ne pas entendre, quand il écoute, il paraît ne pas voir » (II, p. 140). L’adhérence à une modalité sensorielle (hémisphère gauche) au même titre que l’adhérence à l’objet va de pair avec une intolérance au mouvement de cet objet. « Arrêtez le monde, je veux descendre » (IV, p. 70). Les déplacements de l’entourage, l’échappement des objets déclenchent des réactions démesurées. « Cligner des yeux permet de ralentir les choses, de les fractionner… cela rend les choses plus fixes, donc plus prévisibles et plus rassurantes » (IV, p. 105). « Il y avait un long temps entre le moment où j’avais l’intention d’un geste et celui où je parvenais à le réaliser » (III, p. 24).
Absence d’empathie
La maladresse dans les interactions sociales répond à l’absence d’empathie (hémisphère droit). Les persévérations, les stéréotypies, l’inadaptation des attitudes relèvent d’une activité inappropriée de l’hémisphère gauche qui décompose l’action en cours, de sorte qu’elle n’est plus adaptée à la situation ou au schéma corporel.
« Je parlais moins aux gens que je ne soliloquais au-dessus de leur tête » (IV, p. 43). L’absence des expressions automatiques, bonjour, au revoir, des gestes associés à la rencontre, de toute intonation, au même titre que le retard de l’expression orale sont expliqués par l’impossibilité de se construire un interlocuteur (hémisphère droit). Ces anomalies de la communication ne s’opposent pas à l’acquisition d’un langage intérieur dont la sémantique rigoureuse, le caractère logique, abstrait et impérieusement déductif portent la marque de l’hémisphère gauche.
« Il m’est beaucoup plus facile d’écrire un texte, de le taper à l’ordinateur que de le dire » (III, p. 22). Le langage écrit dispense d’interlocuteur. La lecture, à l’affût des livres, des tableaux ou des chiffres, est assortie d’une adhésion au contenu littéral du texte allant de pair avec une mémoire photographique de la page (hémisphère gauche.) « J’aimais lire, mais plutôt les annuaires du téléphone et les indicateurs de rues. »
« Je n’avais en tête que l’Égypte, la liste des pharaons que je connaissais par cœur » (III, p. 33). La capacité d’enregistrement des autistes peut être prodigieuse lorsqu’elle s’applique à des pages de dictionnaire, des tableaux de chiffres ou l’immatriculation des voitures. Il déchiffre l’image qu’il a dans la tête (pensée en images, hémisphère gauche). En revanche, la mémoire des visages et des voix, celle des trajets, celle de la source d’une acquisition sont défaillantes, comme la mémoire épisodique au sens du « vécu à nouveau » (hémisphère droit). L’activité de l’hémisphère gauche qui a codifié de véritables clichés bénéficie de l’effacement de l’autre hémisphère qui ne fait pas valoir le contexte. Le patient dont Alexandre Romanovitch Louria (dit Luria) a décrit le comportement sous le titre Une prodigieuse mémoire était capable de répéter dans l’ordre une série de 50 chiffres qui lui avait été présentée vingt ans auparavant.
La propension à mettre en œuvre des règles opératoires facilite le maniement des algorithmes, si bien que certains autistes sont de prodigieux calculateurs. Soumise à « l’intelligence cristallisée de la médiation verbale » (I, p. 18), leur pensée est rigide, monolithique, bloquée sur un thème, insensible à l’argumentation (hémisphère gauche). « Je traduis tous les mots, entendus ou écrits, en films colorisés. Ils défilent dans ma tête comme des vidéos que je lis ou bien je stocke la photo pour la lire plus tard » (V, p. 140). L’autiste qui récite dix pages du dictionnaire ne les a pas apprises par cœur, il ne fait que lire l’image qu’il a gardée en tête.
« Je parlais moins aux gens que je ne soliloquais au-dessus de leur tête » (IV, p. 43). L’absence des expressions automatiques, bonjour, au revoir, des gestes associés à la rencontre, de toute intonation, au même titre que le retard de l’expression orale sont expliqués par l’impossibilité de se construire un interlocuteur (hémisphère droit). Ces anomalies de la communication ne s’opposent pas à l’acquisition d’un langage intérieur dont la sémantique rigoureuse, le caractère logique, abstrait et impérieusement déductif portent la marque de l’hémisphère gauche.
« Il m’est beaucoup plus facile d’écrire un texte, de le taper à l’ordinateur que de le dire » (III, p. 22). Le langage écrit dispense d’interlocuteur. La lecture, à l’affût des livres, des tableaux ou des chiffres, est assortie d’une adhésion au contenu littéral du texte allant de pair avec une mémoire photographique de la page (hémisphère gauche.) « J’aimais lire, mais plutôt les annuaires du téléphone et les indicateurs de rues. »
« Je n’avais en tête que l’Égypte, la liste des pharaons que je connaissais par cœur » (III, p. 33). La capacité d’enregistrement des autistes peut être prodigieuse lorsqu’elle s’applique à des pages de dictionnaire, des tableaux de chiffres ou l’immatriculation des voitures. Il déchiffre l’image qu’il a dans la tête (pensée en images, hémisphère gauche). En revanche, la mémoire des visages et des voix, celle des trajets, celle de la source d’une acquisition sont défaillantes, comme la mémoire épisodique au sens du « vécu à nouveau » (hémisphère droit). L’activité de l’hémisphère gauche qui a codifié de véritables clichés bénéficie de l’effacement de l’autre hémisphère qui ne fait pas valoir le contexte. Le patient dont Alexandre Romanovitch Louria (dit Luria) a décrit le comportement sous le titre Une prodigieuse mémoire était capable de répéter dans l’ordre une série de 50 chiffres qui lui avait été présentée vingt ans auparavant.
La propension à mettre en œuvre des règles opératoires facilite le maniement des algorithmes, si bien que certains autistes sont de prodigieux calculateurs. Soumise à « l’intelligence cristallisée de la médiation verbale » (I, p. 18), leur pensée est rigide, monolithique, bloquée sur un thème, insensible à l’argumentation (hémisphère gauche). « Je traduis tous les mots, entendus ou écrits, en films colorisés. Ils défilent dans ma tête comme des vidéos que je lis ou bien je stocke la photo pour la lire plus tard » (V, p. 140). L’autiste qui récite dix pages du dictionnaire ne les a pas apprises par cœur, il ne fait que lire l’image qu’il a gardée en tête.
De V1 à V4 et réciproquement
Au sein de l’hémisphère gauche, l’aire V4, à la jonction temporo-occipitale, présente le message visuel issu de l’aire V1 au cortex temporal où il prendra un nom et développera sa signification. L’activation de V1 engendre celle de V4 qui, en retour, inhibe V1, ouvrant la voie à une expérience nouvelle. R. Seymour et G. Rippon4 ont étudié chez 18 autistes le fondement électrophysiologique de la simultagnosie. Assurée par des oscillations gamma, la transmission de V1 à V4 du message visuel est équivalente chez les autistes et chez les témoins ; en revanche, l’action en retour de V4 sur V1, assurée par des oscillations alpha, est significativement réduite chez les autistes, cette réduction étant positivement corrélée au quotient autistique.
Dans ces conditions, le traitement à la source du message visuel (hémisphère gauche) cesse d’être modelé par la pression du contexte (hémisphère droit). Alors que la simultagnosie du syndrome de Balint résulte d’une déconnexion interhémisphérique, celle des autistes relève d’une abdication de l’hémisphère droit, qui cesse de plaider pour le détachement à l’égard de l’objet et la prise en compte du contexte. Livré à lui-même, l’hémisphère gauche se refuse à lâcher sa proie.
Dans ces conditions, le traitement à la source du message visuel (hémisphère gauche) cesse d’être modelé par la pression du contexte (hémisphère droit). Alors que la simultagnosie du syndrome de Balint résulte d’une déconnexion interhémisphérique, celle des autistes relève d’une abdication de l’hémisphère droit, qui cesse de plaider pour le détachement à l’égard de l’objet et la prise en compte du contexte. Livré à lui-même, l’hémisphère gauche se refuse à lâcher sa proie.
Apprivoiser
L’empathie développe l’empathie. « Mon père avait l’art de réagir correctement. Patient, il me laissait le temps de lui montrer ce que je ressentais par le biais des objets, la seule façon qui m’était accessible » (IV, p. 115).
L’autiste mène une vie repliée sur soi. Loin d’être vide, comme le voulait Bruno Bettelheim, « la forteresse » accumule des connaissances et développe une façon de penser originale. Elle est fermée dans la mesure où la défaillance de l’hémisphère droit la prive d’ouverture sur le monde. Solliciter l’hémisphère en retrait est l’objectif de l’éducation. Éveiller le corps, peupler l’espace, laisser jouer, éviter de punir, ne pas exiger mais solliciter, encourager, amadouer. À l’étiage du cocon familial, le psychothérapeute prendra en charge le couple mère-enfant.5
Avec la scolarisation, le sujet qui a consenti à marcher et à communiquer tout en développant ses propres rites se heurte à un monde qui ne lui convient pas. « C’est comme si on parlait à un dictionnaire, il prend nos paroles au pied de la lettre, ses remarques sont incongrues, ses questions sans intérêt, il ignore les convenances. » Dès lors, son existence relève d’un compromis. Qu’il s’agisse de communiquer, de s’habiller, de se diriger ou de traiter ses affaires, l’autiste se comporte comme un original même s’il accède à un statut social distingué. Même chez les autistes de haut niveau, l’hémisphère gauche n’entre pas dans le rang. Une différence du volume au profit de l’hémisphère gauche, marque à long terme du dysfonctionnement, a pu être constatée chez certains d’entre eux.
L’autiste mène une vie repliée sur soi. Loin d’être vide, comme le voulait Bruno Bettelheim, « la forteresse » accumule des connaissances et développe une façon de penser originale. Elle est fermée dans la mesure où la défaillance de l’hémisphère droit la prive d’ouverture sur le monde. Solliciter l’hémisphère en retrait est l’objectif de l’éducation. Éveiller le corps, peupler l’espace, laisser jouer, éviter de punir, ne pas exiger mais solliciter, encourager, amadouer. À l’étiage du cocon familial, le psychothérapeute prendra en charge le couple mère-enfant.5
Avec la scolarisation, le sujet qui a consenti à marcher et à communiquer tout en développant ses propres rites se heurte à un monde qui ne lui convient pas. « C’est comme si on parlait à un dictionnaire, il prend nos paroles au pied de la lettre, ses remarques sont incongrues, ses questions sans intérêt, il ignore les convenances. » Dès lors, son existence relève d’un compromis. Qu’il s’agisse de communiquer, de s’habiller, de se diriger ou de traiter ses affaires, l’autiste se comporte comme un original même s’il accède à un statut social distingué. Même chez les autistes de haut niveau, l’hémisphère gauche n’entre pas dans le rang. Une différence du volume au profit de l’hémisphère gauche, marque à long terme du dysfonctionnement, a pu être constatée chez certains d’entre eux.
Un dysfonctionnement en quête de sa cause
Le surdéveloppement d’un faisceau (fig. 3 ) étroitement engagé dans la simultagnosie n’est qu’une conséquence à long terme du dysfonctionnement, support de la simultagnosie chez un autiste de haut niveau. Il ne remet pas en question la notion que l’autisme répond au comportement aberrant d’un cerveau dont la normalité n’a pas cessé de décevoir les anatomistes. Quand les psychanalystes soumis au tollé des pédiatres eurent renoncé à incriminer le comportement de la mère, la génétique tenta de relever le défi. En dépit de recherches menées durant un demi-siècle, le gène de l’autisme reste à découvrir, les données fondées sur la gémellité ayant trouvé une explication dans les conditions qui président à la parturition des grossesses multipares.
L’idée que le désordre présent dès le premier jour puisse résulter des conditions de la naissance tarda à s’imposer. Il est vrai que, au moment où le comportement de l’enfant retient l’attention au point que la famille fasse appel au pédopsychiatre, les péripéties de la période périnatale sont souvent tombées dans l’oubli, d’autant que les dystocies associées à l’autisme se sont montrées d’autant plus pathogènes qu’elles ont laissé moins de souvenirs douloureux.
Il n’en va plus de même depuis que l’Institut Kaiser a réexaminé le dossier de 6 255 autistes nés en Californie sous sa juridiction :6 37 % d’entre eux avaient souffert de désordres périnataux explicitement reconnus. Si l’on ajoute que la prévalence de l’épilepsie atteint 10 % chez les autistes, une attention systématique méritait d’être accordée aux conditions de la mise au monde.
L’idée que le désordre présent dès le premier jour puisse résulter des conditions de la naissance tarda à s’imposer. Il est vrai que, au moment où le comportement de l’enfant retient l’attention au point que la famille fasse appel au pédopsychiatre, les péripéties de la période périnatale sont souvent tombées dans l’oubli, d’autant que les dystocies associées à l’autisme se sont montrées d’autant plus pathogènes qu’elles ont laissé moins de souvenirs douloureux.
Il n’en va plus de même depuis que l’Institut Kaiser a réexaminé le dossier de 6 255 autistes nés en Californie sous sa juridiction :6 37 % d’entre eux avaient souffert de désordres périnataux explicitement reconnus. Si l’on ajoute que la prévalence de l’épilepsie atteint 10 % chez les autistes, une attention systématique méritait d’être accordée aux conditions de la mise au monde.
Une piste obstétricale ?
Les comportements opposés du campagnol des villes et du campagnol des champs ont montré que la vasopressine agissant sur l’hémisphère gauche gère les conduites d’attaque et d’appropriation alors que l’ocytocine intervenant sur l’hémisphère droit est l’agent du maternage et de la pacification.7 Administrée à des sujets normaux, l’ocytocine, agent de l’empathie, améliore les relations sociales, favorise l’altruisme, facilite l’identification des visages, la confiance au sein des sociétés humaines.8
« Tu accoucheras dans la douleur. » Lors de l’accouchement, la vasopressine est produite en réponse au stress. L’ocytocine est mise en circulation en réponse à la distension du col utérin. Les afférences qui déclenchent sa sécrétion par les noyaux paraventriculaire et supra-optique répondent aux récepteurs du col utérin qui sous-tendent la douleur. Les voies afférentes qui gouvernent la sécrétion de l’ocytocine sont les voies de la douleur obstétricale.
Sécrétée par les noyaux de l’hypothalamus, l’hormone est libérée dans la circulation maternelle et, de là, dans la circulation fœtale. Ainsi, l’ocytocine, agent d’expulsion au service de la mise au monde, est dans le même moment appelée à développer l’empathie entre la mère et le nouveau-venu : sur le versant maternel, elle participe au travail de l’expulsion tout en préparant l’accueil du nouveau-né en mobilisant l’empathie par son action sur l’hémisphère droit ; sur le versant fœtal, elle prépare l’hémisphère droit de l’enfant à sa rencontre avec le monde. Au moment de la naissance, une bouffée de l’hormone inondant les deux circulations conforte le lien mère-enfant. Par la suite, la sécrétion d’ocytocine dans la circulation de la mère au rythme des tétées contribue à renforcer sur le versant maternel l’empathie fondamentale.
La prématurité réduisant la durée du travail, la naissance par césarienne qui dispense de ce travail, l’usage excessif de médications antalgiques agissant sur les récepteurs du col (paracétamol) font que l’ocytocine n’est pas sollicitée. La vasopressine qui abonde en situation de stress prend le dessus et, avec elle, l’hémisphère gauche impose sa loi sans désemparer.9
C’est ainsi que, intervenant dans la période périnatale, le désordre responsable de l’autisme compromet le jeu alternant des hémisphères cérébraux au moment où l’ouverture sur le monde se doit de prévaloir sur l’attention à l’objet. Un pli est pris, fait pour durer. Chez l’autiste adolescent, le taux d’ocytocine plasmatique reste significativement inférieur à celui des adolescents non autistes.10
Témoignage de la résistance au désengagement, la simultagnosie, constante relativement méconnue de l’autisme, en est la signature. En conduisant à interpréter le trouble du développement comme une pathologie de l’alternance des hémisphères, elle ébauche une explication à un désordre qui n’a cessé de dérouter les chercheurs. En faisant de la capitulation de l’hémisphère droit le fondement de l’autisme et en cherchant, dans les aléas de la période périnatale, les facteurs déterminant cette défaite, une politique préventive de l’autisme voit le jour. Aux obstétriciens de mener le jeu.
« Tu accoucheras dans la douleur. » Lors de l’accouchement, la vasopressine est produite en réponse au stress. L’ocytocine est mise en circulation en réponse à la distension du col utérin. Les afférences qui déclenchent sa sécrétion par les noyaux paraventriculaire et supra-optique répondent aux récepteurs du col utérin qui sous-tendent la douleur. Les voies afférentes qui gouvernent la sécrétion de l’ocytocine sont les voies de la douleur obstétricale.
Sécrétée par les noyaux de l’hypothalamus, l’hormone est libérée dans la circulation maternelle et, de là, dans la circulation fœtale. Ainsi, l’ocytocine, agent d’expulsion au service de la mise au monde, est dans le même moment appelée à développer l’empathie entre la mère et le nouveau-venu : sur le versant maternel, elle participe au travail de l’expulsion tout en préparant l’accueil du nouveau-né en mobilisant l’empathie par son action sur l’hémisphère droit ; sur le versant fœtal, elle prépare l’hémisphère droit de l’enfant à sa rencontre avec le monde. Au moment de la naissance, une bouffée de l’hormone inondant les deux circulations conforte le lien mère-enfant. Par la suite, la sécrétion d’ocytocine dans la circulation de la mère au rythme des tétées contribue à renforcer sur le versant maternel l’empathie fondamentale.
La prématurité réduisant la durée du travail, la naissance par césarienne qui dispense de ce travail, l’usage excessif de médications antalgiques agissant sur les récepteurs du col (paracétamol) font que l’ocytocine n’est pas sollicitée. La vasopressine qui abonde en situation de stress prend le dessus et, avec elle, l’hémisphère gauche impose sa loi sans désemparer.9
C’est ainsi que, intervenant dans la période périnatale, le désordre responsable de l’autisme compromet le jeu alternant des hémisphères cérébraux au moment où l’ouverture sur le monde se doit de prévaloir sur l’attention à l’objet. Un pli est pris, fait pour durer. Chez l’autiste adolescent, le taux d’ocytocine plasmatique reste significativement inférieur à celui des adolescents non autistes.10
Témoignage de la résistance au désengagement, la simultagnosie, constante relativement méconnue de l’autisme, en est la signature. En conduisant à interpréter le trouble du développement comme une pathologie de l’alternance des hémisphères, elle ébauche une explication à un désordre qui n’a cessé de dérouter les chercheurs. En faisant de la capitulation de l’hémisphère droit le fondement de l’autisme et en cherchant, dans les aléas de la période périnatale, les facteurs déterminant cette défaite, une politique préventive de l’autisme voit le jour. Aux obstétriciens de mener le jeu.
Encadre
Références des citations
I. Temple Grandin. Ma vie d’autiste. Paris : Odile Jacob, 2000.
II. Temple Grandin, Richard Panek. Dans le cerveau des autistes. Paris : Odile Jacob, 2014.
III. Josef Schovanec. Je suis à l’Est ! Paris : Plon, 2012.
IV. Donna Williams. Si on me touche, je n’existe plus. Paris : Robert Laffont, 1992.
V. Hugo Horiot. L’Empereur, c’est moi. Paris : L’Iconoclaste, 2013.
VI. Temple Grandin. Penser en images. Paris : Odile Jacob, 1997.
Références
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3. Cambier J. Vers un abord neuropsychologique de l’autisme. Bull Acad Natl Med 2016;200:435-45.
4. Seymour RA, Rippon G, Gooding-Williams G, Schoffelen JM, Kessler K. Dysregulated oscillatory connectivity in the visual system in autism spectrum disorder. Brain 2019;142:3294-305.
5. Lechevalier B. Hypothèse concernant l’autisme. In : Le corps et le sens. Paris : Delachaux, 1998:162-4.
6. Jacobsen S, Chiu V, Xiang A, et al. Children exposed to complications at birth at risk of autism, study finds. Am J Perinat 2017; DOI: 10.1055/s-0036-1597624 www.sciencedaily.com/releases/2017/01/170131124140.htm
7. Kosfeld M, Heinrichs M, Zak PJ, Fischbacher U, Fehr E. Oxytocin increases trust in humans. Nature 2005;435: 673-6.
8. Carter C, DeVries AC, Getz LL. Physiological substrate of mammalian monogamy: the prairie vole model. Neurosci Biobehav Rev 1995;19:303-14.
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10. Modahl C, Green L, Fein D, et al. Plasma oxytocin levels in autistic children. Biol Psychiatry 1998;43:270-7.
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