L’exercice de la médecine actuelle, quelle que soit la spécialité, repose sur une démarche la plus scientifique et rationnelle possible.
En théorie, donc, le patient vient pour un ou plusieurs symptômes. Nous l’interrogeons et nous l’examinons, ce qui nous permet d’évoquer une ou plusieurs hypothèses diagnostiques. Celles-ci peuvent donner lieu à la prescription d’examens complémentaires (mais en médecine générale ce n’est pas le cas pour la majorité des motifs) et il en découle une prise en charge thérapeutique, la plus validée possible (recommandations de la HAS et des sociétés savantes). Ça, c’est ce qu’on nous apprend à la fac…
En pratique, dans la vraie vie de médecin généraliste, cela ressemble souvent plutôt à ceci : le patient nous raconte sa vie, on essaie de cadrer un minimum les demandes parfois multiples, on le « papouille » un peu et on limite au mieux ses requêtes d’examens complémentaires. Cela donne lieu à un diagnostic parfois très flou, voire franchement en dehors des cases – mention spéciale pour les concepts de « cysphrite », « rhinusite » ou « bronchonie » de l’auteur et médecin Jaddo.* La prise en charge thérapeutique repose ensuite sur des traitements médicamenteux la plupart du temps – et probablement trop souvent – mais aussi beaucoup sur des conseils.
Et c’est là que la démarche scientifique en pâtit quelque peu ! Car ces conseils sont très souvent tirés de notre expérience personnelle. Un bon exemple : la parentalité – nos idées parfois péremptoires sur le sommeil, l’alimentation, les colères, etc. (liste non exhaustive) des 0-2 ans deviennent souvent plus empreintes d’empathie et de compréhension lorsque l’on est soi-même devenu parent et que l’on s’est heurté à des difficultés similaires.
Nous sommes également influencés par tout ce que nous racontent les patients. Exemple actuel : à force d’entendre les parents vanter l’efficacité de la désobstruction rhinopharyngée (DRP) faite à la seringue « avec un embout souple » (phrase la plus entendue en pédiatrie depuis deux mois !), on se retrouve à conseiller cette technique sans l’avoir jamais essayée. Et il est utopique d’attendre une étude DRP à la dosette versus DRP à la seringue pour un étayage scientifique !
En matière de prévention et de mesures hygiénodiététiques, qui n’a pas déjà vanté les mérites du sport en se demandant de quand datait sa dernière séance… ? Qui n’a pas prôné l’arrêt absolu et impératif des cotons-tiges tout en continuant à les utiliser… ? Et il existe forcément des médecins fumeurs, en surpoids, en surmenage…
L’échange entre le médecin généraliste et le patient va d’ailleurs parfois plus loin que ce que le médecin ne souhaiterait. La fatigue de fin de journée fait naturellement s’estomper le filtre entre vie pro et vie perso. Or beaucoup de patients ont une appétence et une curiosité naturelle pour la vie privée de leur docteur. Ainsi, nous sommes parfois étonnés quand un patient nous cite notre lieu de vacances ou l’âge scolaire de nos enfants…
Il faut donc trouver un équilibre : conserver un rationnel minimal scientifique (evidence-based medicine), une certaine systématisation dans la démarche médicale, maintes fois apprise et répétée qui devient donc subliminale, mais en y associant une part « humaine » – sans laquelle il est plus difficile de créer une relation thérapeutique de qualité ; tout en gardant à l’esprit qu’il n’y a pas qu’une seule façon de faire, que les méthodes souvent empiriques de chaque patient nous enrichissent et pourront ensuite en aider d’autres.
Et la recherche de cet équilibre constitue, de mon point de vue, l’essence même du métier de médecin généraliste et ce qui en fait toute la beauté.