1 000 à 3 000 grossesses par an sont concernées par un acte de thérapie fœtale. Certains succès sont évidents, mais d’autres interventions se heurtent à un faible niveau de preuve et à des incertitudes quant au risque de morbidité après la naissance.

La thérapie fœtale s’est développée depuis 50 ans à partir des possibilités du diagnostic prénatal des maladies et malformations congénitales. Elle s’adresse à celles dont l’aggravation pendant la vie intra-utérine leur confère un caractère létal avant ou au décours de la naissance, ou conduit à la constitution de séquelles graves et irréversibles. Des traitements médicaux et chirurgicaux innovants sont alors administrés soit à la femme enceinte en utilisant le passage transplacentaire, soit directement au fœtus de façon invasive pour la femme enceinte et le fœtus lui-même.
La thérapeutique fœtale vise donc soit à traiter l’anomalie, soit à ralentir ou interrompre son évolution jusqu’à la naissance, avant un traitement néonatal complet. Les intérêts de la femme enceinte et du fœtus doivent être garantis par une approche scientifique et éthique rigoureuse et multidisciplinaire, au sein de centres d’excellence.
Les prérequis d’une thérapie fœtale tiennent compte de la balance bénéfice-risque avec, d’un côté, la gravité estimée de l’affection et son potentiel d’évo- lution avant la naissance et, de l’autre, le bien-fondé de la stratégie envisagée et les risques qu’elle fait courir au fœtus mais aussi à la mère. Ces prérequis ont été exposés dès 1982 :

– un fœtus unique (singleton) dont l’anomalie est isolée et dont l’histoire naturelle défavorable et irréversible est prévisible. Cela repose sur l’échographie mais aussi l’imagerie par résonance magnétique prénatale, l’analyse du caryotype et une analyse chromosomique et génomique ;
– un traitement justifié par la physiopathologie de l’anomalie et une absence de traitement post-natal adapté. L’indication est validée par une consultation multidisciplinaire ;
– les risques maternels doivent être acceptables. Outre les effets secondaires des médicaments administrés à la mère, les risques maternels sont liés au degré d’invasivité des gestes donnant accès au fœtus et permettant la chirurgie fœtale. Ces risques sont infectieux et hémorragiques pour les gestes échoguidés et la fœtoscopie. Les risques de la chirurgie à utérus ouvert sont plus importants pour la grossesse en cours mais aussi pour les grossesses ultérieures en raison de la cicatrice utérine corporéale, incluant les ruptures utérines et le placenta accreta ;
– les droits de la femme enceinte à l’interruption médicale de grossesse ainsi que ceux à l’accompagnement d’un nouveau-né au-delà de toute ressource thérapeutique doivent être assurés ;
– la douleur fœtale est prise en charge par une anes- thésie fœtale administrée à partir d’un terme de 20 semaines par injection dans la veine ombilicale ou intramusculaire sous contrôle échographique ;
– la réflexion éthique et le soutien psychologique de la femme et de sa famille sont des éléments essentiels de la prise en charge.

Quels développements ?

Le niveau de preuve de l’efficacité des thérapies fœtales est généralement faible en raison de la rareté et de l’hétérogénéité phénotypique prénatale des anomalies congénitales, dont le degré d’évolution est également variable au moment de la prise en charge.

Des succès…

En 2017, le registre de la thérapie fœtale est très large mais ses indications sont rares. Elle concerne 1 000 à 3 000 grossesses par an en France (
).
 
La chirurgie fœtoscopique des grossesses multiples monochoriales compliquées où deux fœtus subissent les effets du partage inégal d’un placenta commun consiste à rendre ces placentas fonctionnellement dichoriaux par coagulation des vaisseaux commu- niquant sur la plaque choriale. Premier succès de la chirurgie fœtale prouvé par une étude randomisée, cette intervention a marqué un tournant décisif.3
 
 
 
 

… mais quelle morbidité chez les survivants ?

Bien que le fondement de la chirurgie prénatale repose sur l’amélioration de la survie périnatale, l’importance de la morbidité chez les survivants conditionne l’acceptabilité de ces interventions mises en balance avec la possibilité d’interrompre la grossesse comme l’autorise en particulier la loi française dans ces conditions.
Deux indications illustrent cet aspect, les uropathies obstructives basses et le myéloméningocèle.
 
Le myéloméningocèle est une malformation dont le pronostic moteur et sphinctérien s’aggrave pendant la grossesse en raison de la toxicité du liquide amniotique sur le tissu médullaire exposé. Cette indication de chirurgie fœtale est controversée à plus d’un titre : d’une part elle n’engage pas le pronostic vital, et le traitement chirurgical, qu’il soit pré- ou postnatal, ne permet pas la guérison ; d’autre part cette chirurgie est encore largement proposée avec un accès au fœtus par laparotomie et hystérotomie maternelles, ce qui est très invasif et grève l’avenir obstétrical de ces femmes. Une étude randomisée menée aux États-Unis où l’interruption de grossesse n’est pas possible à la fin du deuxième trimestre de grossesse a montré qu’un tiers des cas opérés avaient une fonction motrice améliorée de deux niveaux médullaires en comparaison des cas opérés après la naissance.4 Plus récemment, un abord chirurgical endoscopique avec inflation intra-utérine de CO2 a montré des résultats chirurgicaux comparables au prix d’une morbidité maternelle moindre. L’effet du CO2 sur le métabolisme fœtal et sur les membranes amniotiques reste cependant à évaluer.5
Un troisième exemple permet également de comprendre les difficultés d’évaluation objective et indiscutable du traitement prénatal, celui des sténoses aortiques et pulmonaires à septum intact. Ces sténoses peuvent entraîner la constitution d’une hypoplasie ventriculaire lorsqu’elles s’aggravent in utero, empêchant une réparation postnatale biventriculaire, conduisant à des interventions itératives purement palliatives. Une dilatation de la valve sténosée ou atrétique est possible par son abord rétrograde par un cathéter de dilatation coronarienne dans une aiguille de 17G par abord direct de la pointe du ventricule concerné sous contrôle échographique. L’intervention permet une fois sur deux un développement du ven- tricule autorisant une réparation postnatale biven- triculaire. Une évaluation de cette intervention n’a pas encore été conduite autrement que par l’observation de cohortes. En effet, là encore, la gravité de l’anomalie justifie une demande d’interruption de grossesse, et une femme souhaitant poursuivre sa grossesse et acceptant une randomisation, avec une intervention dont le succès serait de 50 % n’aurait en fait que 25 % de chance d’obtenir le résultat espéré. La réalisation d’un tel essai est donc improbable.6
La randomisation pour avoir valeur de standard d’efficacité doit s’adresser à un groupe de patients homogènes dont la seule variable soit le traitement étudié. Cela est illusoire pour la pathologie fœtale par essence hétérogène sur le plan phénotypique et le degré de développement de l’anomalie tels qu’appréciés par les moyens actuels d’imagerie et de biologie. Le standard devient dès lors un dogme qui doit être remis en question afin qu’il ne s’oppose pas au progrès médical. Une alternative possible est l’utilisation d’études de phase II séquentielle qui sont utilisées particuliè- rement en oncologie où la pathologie est rare et létale et où le placebo ou l’abstention thérapeutique n’ont pas de place. Cette méthode a été utilisée pour évaluer l’efficacité d’un traitement antiviral par valaciclovir dans le cadre des infections fœtales symptomatiques et se fondant sur l’estimation de l’histoire naturelle de l’infection. Ce traitement a fait ainsi la preuve de la plausibilité de son efficacité.7
La prise de décision repose sur une information dont la qualité dépend de l’anticipation du pronostic à la naissance et de la valeur accordée à l’intervention assez largement subjective. Le risque de perte fœtale après chirurgie varie de 10 à 50 %. De plus, la rareté des indications comme des opérateurs rend les résultats des publications difficilement extrapolables d’un centre à l’autre. Il s’agit d’une décision partagée dans laquelle l’intérêt scientifique et la compétence du praticien doivent être bien différenciées.
La situation française est à la fois privilégiée et précaire : privilégiée par l’existence d’un réseau de diag- nostic prénatal multidisciplinaire national ; précaire par l’absence de moyens spécifiques alloués au suivi à long terme des survivants. De plus, les centres pluridisciplinaires de diagnostic prénatal (CPDPN) ont été créés dans le but d’encadrer les indications et la réalisation des interruptions médicales de grossesse. Très peu d’entre eux disposent d’une expertise et d’un plateau technique multidisciplinaire permettant une approche globale de la thérapie fœtale.3

Vers une thérapie embryonnaire

La thérapie fœtale restera limitée par la constitution embryonnaire des anomalies. La thérapie embryonnaire dans le cadre du diagnostic préimplantatoire est une perspective réaliste dans les troubles métaboliques limités à un système d’organe, et de l’«édition » du génome par les CRISPR (clustered regularly interspaced short palindromic repeats) utilisés comme nucléases pour cliver une séquence de manière spécifique. Les conséquences somatiques éventuelles les rendent cependant aujourd’hui encore hasardeuses. V

Références

1. Harrison MR, Filly RA, Golbus MS, et al. Fetal treatment 1982. N Engl J Med 1982;307:1651-2.

2. Académie de médecine. Thérapeutique fœtale. http://www.academie-medecine.fr/publication100100525/

. Senat MV, Deprest J, Boulvain M, Paupe A, Winer N, Ville Y. Endoscopic laser surgery versus serial amnioreduction for severe twin-to-twin transfusion syndrome. N Engl J Med 2004;351:136-44.

4. Adzick NS, Thom EA, Spong CY, et al.; MOMS investigators. A randomized trial of prenatal versus postnatal repair of myelomeningocele. N Engl J Med 2011;364:993-1004.

5. Belfort MA, Whitehead WE, Shamshirsaz AA, et al. Fetoscopic open neural tube defect repair: development and refinement of a two-port, carbon dioxide insufflation technique. Obstet Gynecol 2017;129:734-43.

6. Freud LR, McElhinney DB, Marshall AC, et al. Fetal aortic valvuloplasty for evolving hypoplastic left heart syndrome: postnatal outcomes of the first 100 patients. Circulation 2014;130:638-45.

7. Am J Obstet Gynecol. 2016 Oct;215(4):462.e1-462.e10. doi: 10.1016/j.ajog.2016.04.003. Epub 2016 Apr 13. In utero treatment of congenital cytomegalovirus infection with valacyclovir in a multicenter, open-label, phase II study. Leruez-Ville M1, Ghout I2, Bussières L3, Stirnemann J4, Magny JF5, Couderc S6, Salomon LJ4, Guilleminot T1, Aegerter P2, Benoist G7, Winer N8, Picone O9, Jacquemard F10, Ville Y11.

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