Le chemin de la vérité scientifique est semé d’embûches. L’état d’incertitude et d’inachèvement de nos connaissances fait que chaque avancée dans la compréhension d’un phénomène se double d’un nouvel aveuglement : si l’expérience du foie lavé permit à Claude Bernard de découvrir la fonction glycogénique du foie, pas un instant il ne soupçonna le rôle du pancréas dans la régulation de la glycémie... Toutefois si les bases physiologiques sur lesquelles s’organise le vivant ne nous ont jamais parues aussi complexes, nos tâtonnements ne nous empêchent pas de progresser. Le récent prix Nobel de médecine a ainsi couronné les travaux qui ont fondé l’immunothérapie des cancers, une véritable révolution médicale. Parfois, les bénéfices découlent d’observations plus triviales : on doit ainsi aux Australiens d’avoir fait significativement reculer la mort subite du nourrisson en le faisant dormir sur le dos et d’avoir anéanti l’origine psychosomatique de l’ulcère gastro-duodénal en se penchant sur une bactérie hélicoïdale qui n’avait jamais intéressé personne… Cela ne doit pas cependant occulter d’autres obstacles : l’inconduite scientifique, dont on découvre l’étendue et les nombreux conflits d’intérêts qui faussent l’impartialité des raisonnements. Sur le plan médical, ils sont surtout financiers et témoignent des tentatives des industriels pour influencer les prescripteurs, mais l’idéologie et la raison politique pèsent aussi. Les efforts pour dédouaner l’Organisation des Nations unies de sa responsabilité dans l’importation du choléra en Haïti sont à cet égard édifiants (v. page 578). Surtout un nouvel avatar est apparu : la vérité alternative (ou fake news) dont la puissance de désorganisation pour fausser le débat scientifique est impressionnante. Jusqu’ici, le partage était clair entre fait scientifique d’une part et croyance, rumeur ou préjugé d’autre part. Ce n’est plus le cas : objets d’intenses manipulations et à l’impact amplifié par les réseaux sociaux et Internet, les fake news concurrencent directement le champ du savoir avec des arguments chocs qui prennent de court la rationalité scientifique dont le temps d’explication n’est pas le même. Un exemple actuel est l’intense campagne de dénigrement de Nutri-Score, le logo nutritionnel apposé sur les emballages alimentaires (v. page 489). Probablement encouragée par les lobbys qui, depuis le début, font tout pour empêcher sa diffusion, celle-ci est un modèle de désinformation. L’argument utilisé consiste à comparer les scores obtenus par des aliments de catégories différentes pour s’étonner de voir certaines huiles d’olive moins bien classées que tel ou tel soda, alors que les scores sont en réalité calculés pour aider le consommateur à choisir entre les aliments d’une catégorie bien précise. Autre exemple, la description récente d’une augmentation de l’incidence du cancer du col utérin, chez des femmes de moins de 50 ans, dans des pays pionniers de la vaccination contre le papillomavirus, sert à remettre en question l’innocuité et l’efficacité du vaccin, sauf que cette tendance précède les campagnes vaccinales et qu’il est encore trop tôt pour mesurer leur impact sur ce cancer, du fait du long délai entre l’infection par un virus oncogène et son apparition (on ne mesure actuellement que l’impact sur les condylomes et les lésions précancéreuses) [v. page 529]. On pourrait multiplier les exemples de fake news qui circulent actuellement dans le domaine de la santé. À l’évidence, si la médecine est historiquement habituée à investir de nouveaux champs de bataille, celui-ci n’était pas prévu et il est de taille…