Une véritable rupture socioprofessionnelle…
Pour le cancer du sein, environ un quart des femmes n’ont pas repris le travail deux ans après le diagnostic.2 Le cancer du sein engendre ainsi une véritable rupture socioprofessionnelle. Le retour au travail est un enjeu important puisqu’il est généralement perçu par les femmes comme une étape de leur rétablissement : en effet, il est souvent synonyme d’un retour à la vie « normale » et il s’agit d’un cap dans le processus de reconstruction identitaire. D’un point de vue sociétal, le retour au travail après un cancer du sein est également bénéfique puisque les arrêts maladie ont des conséquences économiques (réduction de la productivité, coût de l’indemnisation durant un arrêt de travail pour maladie). Ainsi, il est crucial de permettre aux femmes qui le souhaitent de reprendre le travail dans les meilleures conditions possibles. Cependant, de nombreux obstacles au retour au travail et au maintien en emploi ont été mis en exergue.3
… et des obstacles au retour
Tout d’abord, les effets indésirables du cancer du sein et de ses traitements sont variés et peuvent durer de quelques semaines à plusieurs mois ou années, voire être définitifs. Les principaux effets indésirables rapportés par les patientes après un cancer du sein sont la fatigue, les difficultés de concentration, la détresse émotionnelle, la dépression, l’anxiété, les douleurs et les limitations physiques du haut du corps (lymphœdème, mobilité de l’épaule). Ainsi, suivant la sévérité, la durée et l’accumulation de ces effets indésirables, bon nombre de patientes sont à risque de ne pas retourner au travail après cette période d’arrêt ou de ne pas être en mesure de se maintenir en emploi.4
Ensuite, de nombreux éléments liés aux conditions de travail et d’emploi peuvent influer sur le retour et le maintien en emploi des femmes après un cancer du sein. Ainsi, des éléments tels que la taille de l’entreprise, le type de contrat, le montant du salaire en période d’arrêt maladie, les conditions de travail physiques (postures pénibles, horaires décalés) ou psychosociales (autonomie, stress, soutien des collègues ou des supérieurs) peuvent jouer un rôle en tant que facilitateurs ou freins au retour au travail.
Enfin, le retour et le maintien en emploi diffèrent également selon la position socio-économique de la femme. La littérature montre que le diagnostic de cancer du sein impacte plus négativement les femmes les plus fragiles socialement. Ainsi, les patientes ayant un faible niveau de revenu, un faible niveau d’études ou étant dans une catégorie socioprofessionnelle moins favorisée ont un plus grand risque de ne pas retourner au travail après un cancer du sein. Ces associations sont en partie la conséquence de traitements plus lourds et d’effets indésirables des traitements plus marqués en raison de tumeurs détectées à des stades plus avancés, et de moins bonnes conditions d’emploi parmi les femmes socialement défavorisées. Le cancer du sein peut donc créer ou renforcer les inégalités sociales existantes.
Faciliter le processus de retour au travail
Un certain nombre de femmes se posent la question de déclarer ou non leur maladie à leur employeur. Légalement, rien ne les y oblige, mais il est parfois difficile de justifier une absence de plusieurs mois ou un « trou » dans le curriculum vitae. De plus, pour certaines femmes, la reprise du travail dans les conditions d’avant le diagnostic en termes d’horaires ou de charge de travail peut être difficile, voire impossible, du fait des séquelles, temporaires ou permanentes, de la maladie. Un certain nombre de femmes ont donc besoin d’aménagement(s) de leur poste de travail, de leurs horaires ou de leur temps de travail pour pouvoir reprendre leur activité professionnelle. Il a d’ailleurs été montré que l’accès à au moins un aménagement augmentait le taux d’emploi après un cancer.2
La visite de préreprise est l’occasion de discuter de ces questions avec un médecin. En effet, avant le retour au travail, toute personne ayant eu un arrêt maladie de plus de 3 mois a la possibilité d’effectuer une visite de préreprise auprès d’un médecin du travail. Cette visite réalisée à la demande du salarié a pour but de préparer la reprise du travail. Il est préférable de réaliser cette visite assez en amont de la reprise afin d’identifier les difficultés potentielles à la reprise et les aménagements nécessaires, et de discuter avec l’employeur des solutions possibles. En ce qui concerne le temps partiel thérapeutique, il est accordé en premier lieu pour une durée de 3 mois et est reconductible jusqu’à 1 an au maximum. Au-delà des aménagements, certaines femmes souhaitent obtenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. Cependant, cette reconnaissance nécessite des démarches administratives complexes.
De plus, une fois de retour au travail, les femmes peuvent faire l’objet de discriminations, se voir refuser une promotion, être rétrogradées, voire « mises au placard », ou ne pas avoir de reconduction de contrat, par exemple. Le regard des autres et leurs comportements ont également un impact, certains souhaitent accueillir la femme comme avant la maladie, d’autres vont la ménager, d’autres encore ont des comportements de rejet, d’exclusion ou d’évitement. Le manque de soutien apporté sur le lieu de travail aux patientes ayant eu un cancer du sein concernant le retour au travail a été démontré.3 Avoir le support de son employeur et de ses collègues est donc un élément d’importance, afin d’envisager un retour dans les meilleures conditions.
En tant que société et communauté médicale, il est essentiel de trouver les moyens d’aider les femmes à mieux appréhender la vie après un cancer du sein afin de réduire le fardeau de la maladie sur leur vie et celle de leurs proches (
Assurance emprunteur et « droit à l’oubli »
Les femmes diagnostiquées d’un cancer du sein font également face à d’autres problématiques, par exemple l’accès au prêt, en raison de l’obligation de souscrire une assurance emprunteur. En France, depuis janvier 2016, la loi précise les dispositions sur le « droit à l’oubli » et permet aux anciens patients de ne pas avoir à déclarer un cancer survenu préalablement à une demande d’assurance emprunteur. Auparavant, les patients couraient le risque de voir leur dossier refusé par les assureurs, ou d’avoir à faire face à une surprime ou une exclusion de garantie. Pour le cancer du sein chez des femmes adultes, le « droit à l’oubli », généralement applicable dix ans après la fin du protocole thérapeutique et en l’absence de rechute, peut aujourd’hui être réduit en fonction du type histologique et du stade du cancer (un an, par exemple, dans le cas de carcinome lobulaire ou canalaire in situ non infiltrant).
2. Institut national du cancer. La vie cinq ans après un diagnostic de cancer – VICAN5. INCa, 2018.
3. Tamminga SJ, de Boer AG, Verbeek JH, et al. Breast cancer survivors’ views of factors that influence the return- to-work process--a qualitative study. Scand J Work Environ Health 2012;38:144-54.
4. Dumas A, Vaz Luis I, Bovagnet T, et al. Impact of breast cancer treatment on employment : Results of a multicenter prospective cohort study (CANTO). J Clin Oncol 2020;38(7):734-743.
5. Sevellec M, Belin L, Bourrillon MF, et al. Travailler après un cancer : bilan 6 ans après la reprise. Analyse d’une cohorte de 153 salariés. Bull Cancer 2015;102(6 Suppl 1):S5-13.
6. De Boer AG, Taskila T, Tamminga SJ, et al. Interventions to enhance return-to-work for cancer patients. Cochrane Database Syst Rev 2011;(2):CD007569.