L’activité physique adaptée est déjà recommandée par la HAS en première ligne dans la prise en charge de la dépression légère à modérée, en association à la psychothérapie. Selon une méta-analyse récente, son efficacité rivalise avec celle des antidépresseurs, et ce même dans les épisodes dépressifs sévères ! Des résultats intéressants alors que le nombre de patients atteints de dépression augmente fortement en France, notamment chez les jeunes.

Le dernier BEH de Santé publique France fait état d’une tendance préoccupante, révélant sans doute les répercussions durables de la pandémie : la prévalence des épisodes dépressifs caractérisés a connu une forte hausse ces dernières années en France. Elle a augmenté de 3,5 points chez les 18-75 ans (passant de 9,8 % à 13,3 % sur la période 2017-2021). Cette tendance est particulièrement marquée chez les 18-24 ans, avec une hausse de 9 points entre 2017 (11,7 %) et 2021 (20,8 %). Ainsi, les jeunes adultes, mais aussi les femmes, les personnes vivant seules et en famille monoparentale, les personnes financièrement précaires ou au chômage et celles indiquant que le Covid-19 avait eu un impact négatif sur leur moral, sont les catégories de la population ayant eu, en 2021, le risque d’épisode dépressif caractérisé le plus élevé.

Alors que le paysage des traitements médicamenteux de la dépression est en pleine transformation, ces données soulignent le besoin de trouver des thérapeutiques efficaces, avec des balance bénéfices-risques les plus favorables, pour traiter un contingent croissant de patients… Le sport pourrait-il devenir un traitement privilégié même en cas de dépression sévère ?

Si l’activité physique est déjà recommandée en complément des traitements médicamenteux et psychothérapeutiques dans de nombreuses guidelines françaises (HAS) et internationales (OMS, NICE…) – et même en première ligne pour les dépressions légères à modérées –, ses effets précis dans la réduction des symptômes dépressifs sont difficiles à évaluer, tant les diverses études qui y sont consacrées sont inégales : critères d’inclusion variables, différences dans les interventions (activité physique seule ou couplée à des traitements médicamenteux), groupes contrôles ayant aussi des niveaux – même faibles – d’activité physique, ce qui peut biaiser les résultats, etc. Les méta-analyses sur le sujet disponibles à ce jour ne pouvaient donc pas, à leur tour, établir clairement des preuves en faveur de l’utilisation de l’exercice physique en tant que traitement à part entière de la dépression, en particulier sévère.

Une équipe internationale de chercheurs s’est donc donné pour but, dans la méta-analyse la plus récente et complète sur le sujet, qui vient d’être publiée dans le BMJ, d’évaluer plus précisément ces effets.

Exercice aérobie d’intensité modérée : plus efficace que les antidépresseurs même pour les dépressions sévères ?

Cette revue systématique avec méta-analyse et méta-régression a inclus 41 essais randomisés contrôlés avec un total de 2 264 participants âgés de 18 ans et plus ayant un diagnostic d’épisode dépressif majeur (20 études) ou des symptômes dépressifs établis par des scores validés (21 études). Le pourcentage de femmes allait de 26 % à 100 % selon l’étude, et les âges moyens allaient de 18,8 à 87,9. Ces essais provenaient de pays d’Amérique du Nord et du Sud, d’Europe, d’Asie et d’Australie.

Dans toutes les études incluses, l’exercice physique était défini comme un exercice planifié, structuré, répétitif et réalisé avec l’intention de maintenir ou améliorer la condition physique (se distinguant donc du concept plus vaste d’« activité physique » qui englobe tout mouvement corporel requérant une dépense d’énergie). Il s’agissait d’un exercice physique aérobie et/ou de renforcement musculaire. Par ailleurs, les auteurs ont exclu les études évaluant des exercices de type yoga, tai-chi et autres activités intégrant la pleine conscience.

Les groupes contrôle (sans exercice) pouvaient être constitués de sujets bénéficiant des soins habituels (antidépresseurs et psychothérapie initiés au moins 3 mois avant le début de l’étude), des sujets non traités mis sur « liste d’attente » (wait list control group) ou recevant un placebo. Les études dans lesquelles le groupe contrôle pratiquait aussi un exercice physique, si petit soit-il (étirements, exercice à faible dose), ont été exclues.

La méta-analyse a trouvé un effet important en faveur de l’exercice physique dans l’amélioration de la dépression sévère ou des symptômes dépressifs (différence moyenne standardisée [DMS] = - 0,946). L’effet positif de l’exercice est resté significatif même en considérant seulement les études avec faible risque de biais, et indépendamment de la classification de la dépression, du type d’exercice, de la pratique supervisée ou non, de la taille de l’échantillon.

L’analyse par type d’exercice a révélé un effet plus important pour l’exercice aérobie (qui était celui évalué dans la plupart des essais inclus [30] ; DMS = - 1,156), suivi par le renforcement musculaire qui a montré des résultats comparables (DMS = - 1,042). La majorité des essais concernait un exercice d’intensité modérée à soutenue, mais les essais concernant l’exercice d’intensité faible ont aussi trouvé un effet important. L’exercice réalisé sous supervision montrait des effets plus importants (DMS = - 1,026 versus - 0,451 pour l’exercice non supervisé). Une différence minime était notée entre l’exercice pratiqué en groupe et de façon solitaire, en faveur toutefois du premier. De façon surprenante, la combinaison d’un exercice aérobie et du renforcement musculaire a montré des effets plus faibles que lorsque chacun de ces exercices était pratiqué de façon séparée. Par ailleurs, la taille d’effet diminuait lorsqu’étaient considérées seulement les études où le groupe intervention comportait plus de 25 sujets.

Dans les études évaluant uniquement les épisodes dépressifs majeurs, des effets significatifs de l’exercice physique étaient observés (DMS = - 0,998) sauf pour l’exercice de faible intensité, l’exercice pratiqué sans supervision et l’exercice « combiné » (aérobie + renforcement musculaire).

Ces résultats se traduisent globalement par un NST = 2 pour l’exercice physique (c’est-à-dire le nombre de sujets à traiter pour qu’un seul soit soulagé) ; mieux, il serait de 1,9 en considérant spécifiquement les épisodes dépressifs majeurs et 1,6 lorsque l’exercice est pratiqué sous supervision. En comparaison, les antidépresseurs ont un NST = 4 et la psychothérapie un NST = 2,5 selon des méta-analyses récentes.

Des essais de non-infériorité encore nécessaires

Toutefois, l’hétérogénéité des essais inclus dans cette méta-analyse ainsi que la petite taille de certains échantillons incitent à la prudence dans l’interprétation de ces résultats.

Une autre limite est que les sujets inclus dans ces essais étaient par définition motivés par la réalisation d’une activité physique et n’avaient pas de contre-indications physiques à sa réalisation, ce qui peut ne pas être le cas de tous les patients atteints de dépression dans la vraie vie.

Si, d’après les auteurs, ces résultats plaident tout de même en faveur de l’exercice physique comme un véritable traitement de la dépression, fondé sur les preuves – surtout d’un exercice physique aérobie, d’intensité modérée à soutenue, réalisée sous supervision et si possible en groupe –, ils précisent que davantage de recherches sont encore nécessaires : en particulier, des essais de non-infériorité comparant l’exercice aux traitements actuels proposés en première ligne, et des études capables de suivre l’efficacité sur le long terme.

Pour rappel, la prescription d’activité physique adaptée pour les patients atteints de dépression a fait l’objet d’une recommandation de la HAS en 2022, avec des indications d’examens complémentaires, de contre-indications et points de vigilance, ainsi que des conseils de prescription (consulter les fiches HAS sur ce lien).

D’après
Heissel A, Heinen D, Brokmeier LL, et al. Exercise as medicine for depressive symptoms? A systematic review and meta-analysis with meta-regression. Br J Sports Med 1er février 2023.
À lire aussi :
Martin Agudelo L. En psychiatrie aussi : prescrire l’activité physique !  Rev Prat (en ligne) 4 octobre 2020.
Charpeaud T, Honciuc M, Chéreau-Boudet I, et al. Activité physique en psychiatrie.  Rev Prat Med Gen 2018;32(996);164-5.
Martin Agudelo L. Activité physique sur ordonnance : recos HAS. Rev Prat (en ligne) 9 septembre 2022.

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