1. Arachide : quelles sont les protéines allergisantes ?
Désormais, aborder le sujet de l’allergie alimentaire IgE-médiée à l’arachide demande une approche personnalisée. En effet, l’arachide est un réservoir à allergènes provenant de plusieurs familles de protéines végétales. Actuellement, 18 d’entre eux sont identifiés dans la nomenclature internationale (fig.1), dont certains sont associés à un risque d’anaphylaxie. Lors du bilan, plusieurs sortent du lot (fig.1), et notamment les cupines (Ara h1, Ara h3) et les albumines 2S (Ara h2 et Ara h6).
On considère que 90 % des allergiques à l’arachide réagissent au minimum à un des trois allergènes suivants : Ara h1, Ara h2, Ara h3.
2. Eviction totale ou non en fonction du bilan ?
En cas de réaction allergique IgE-médiée après un contact avec de l’arachide (urticaire, œdème, anaphylaxie), le bilan allergologique repose sur des tests cutanés (prick tests) et le dosage des IgE-spécifiques. Un test de provocation orale (TPO) est nécessaire dans certaines circonstances : recherche d’un seuil de réactivité (en vue d’une induction de tolérance ou de l’autorisation de la consommation de plats contenant des traces), confirmation d’une allergie en cas de multi-allergie alimentaire.
La prise en charge varie en fonction des allergènes en cause (d’après le bilan), du seuil de réactivité lors du TPO, des symptômes ressentis par le patient :
- Une personne monoallergique à l’allergène Ara h8 (PR 10) a généralement des réactions modérées péri-orales en raison de l’allergie croisée avec Bet V1 du pollen de bouleau. La consommation de traces dans les plats industriels est le plus souvent possible après avis de l’allergologue.
- Une personne allergique à plusieurs allergènes (surtout les albumines 2S et les globulines 7S et 11S ou LTP) a un risque de réactions plus sévères de type anaphylactique. L’éviction est souvent conseillée.
- L’huile d’arachideest souvent bien tolérée, à condition que celle-ci soitraffinée en Europe. Il faut donc être vigilant sur la provenance de l’huile (restaurants exotiques ou pays hors CEE) sous peine de retrouver des particules d’arachide dans sa composition.
- La lecture des ingrédients des préparations industrielles ou des produits vendus en vrac est impérative (allergènes à étiquetage obligatoire).
3. La cuisson produit-elle un effet sur le potentiel allergisant ?
Lorsque les cacahuètes sont grillées à sec (torréfaction à 150-170°C pendant 20 min), la réaction de Maillard (qui induit un changement de structure de plusieurs molécules) peut augmenter jusqu’à 90 fois la capacité de liaison d’Ara h1 avec les IgE spécifiques et accroître sa résistance aux enzymes digestifs, rendant cette légumineuse encore plus allergisante. À l’inverse, l’ébullition de l’arachide (à 100°C) ou la friture (120°C pendant 10 min) réduit la quantité d’allergène Ara h1 et diminue son potentiel de liaison avec les IgE spécifiques. Il en est de même pour Ara h2, après ébullition (5 min au bain-marie) puis friture dans l’huile à 175°C pendant 2 min (sans toutefois rendre l’arachide « hypoallergénique »).
4. Les allergènes d’arachide passent-ils dans le lait maternel ?
Oui ! Dans une étude de 2016, les auteurs ont recherché les Ara h2 dans le lait maternel de 32 femmes ayant consommé 100 g de cacahuètes grillées. L’allergène était présent 1 à 4 h après ingestion dans le lait de 9 mamans sur 32, 8 à 12 h après pour les autres. Dans une autre publication, Ara h2 était retrouvé dans le lait à des concentrations comprises entre 2,3 et 184 ng/mL chez 14 mères sur 40, 1 à 4 h après ingestion de 100 g de cacahuètes grillées, alors que Ara h6 était présent chez 9 mères sur 40, avec un taux variant entre 1,1 et 79 ng/mL.
5. Un baiser est-il dangereux ?
Plusieurs décès d’adolescentes allergiques à l’arachide ont été décrits après un baiser avec un partenaire en ayant consommé au préalable. On parle dans ce cas d’allergie par procuration. En prévention, certaines précautions sont à envisager :
- Le baiser affectueux sur le front d’un nourrisson après consommation de cacahuètes délivre 12 µl de salive pouvant contenir jusqu’à 1110 µg/mL d’allergène Ara h1 (disparaissant au minimum 4h 30 plus tard). Lors d’un apéritif à base d’arachide, les dangers pour l’enfant allergique sont multiples : contamination croisée par contact avec une surface contaminée, risque d’ingestion accidentelle, d’allergie par procuration et même par inhalation.
- Le taux salivaire d’Ara h1 peut atteindre 3538 ng/mL après un baiser fougueux ou « french kiss » avec une personne ayant consommé de l’arachide, et peut donc provoquer une anaphylaxie mortelle. Le brossage des dents juste avant le baiser permet d’en diminuer la concentration sans toutefois l’annuler. Ainsi, il est recommandé de se laver les dents et d’attendre au moins 5 heures avant d’embrasser un allergique à l’arachide. Mâcher un chewing-gum n’a aucun effet salvateur. La meilleure attitude reste de ne pas consommer d’arachide dans les 24 heures qui précédent un rendez-vous galant avec un ou une allergique à l’arachide.
- Il faut également prendre garde à la transmission cutanée d’allergènes de peau contaminée à peau atopique. Pour cette raison, les mains doivent être lavées après la manipulation de préparations contenant de l’arachide et avant de prendre un bébé dans les bras sous peine de le sensibiliser ou déclencher une allergie à cet aliment. Se rincer les mains à l’eau est insuffisant : il faut utiliser de l’eau et du savon.
6. Quels produits de nettoyage utiliser pour éviter une contamination croisée ?
Le risque de contact indirect avec l’arachide lié à la présence de résidus sur différents supports peut déclencher des drames. Ara h1 peut persister 110 jours sur un plan de travail non nettoyé, d’autant plus si celui-ci est poreux ! Ainsi, tout objet ou surface ayant été en contact avec de l’arachide doit être nettoyée avec un détergent ou lingette (le lavage à l’eau + produit à vaisselle est insuffisant).
7. Quelles précautions prendre en avion ?
Toutes origines confondues, les allergies sont la 7e cause d’accidents médicaux en vol et sont à l’origine de 4 % des urgences lors de trajets commerciaux. Les réactions anaphylactiques sévères concernent environ 1 % des voyageurs avec pour principales causes l’arachide ou les fruits à coque. La gestion de la crise est possible si la réaction reste modérée (stylo auto-injecteur d’adrénaline, à garder dans le bagage à main). En cas de réaction anaphylactique de grade 3 ou 4, le vol est parfois dérouté vers une destination proche en vue d’une prise en charge d’urgence au sol.
Les circonstances de déclenchement sont multiples dans ce milieu clos avec un système de ventilation qui contribue à la dispersion des particules allergéniques en suspension, d’autant plus si l’arachide se présente en forme soufflée (type « Curly »). Le possible dépôt des allergènes sur les tablettes et sièges de l’appareil engendre un risque de contact (nettoyer la surface avec une lingette).
La composition et l’étiquetage des plats offerts durant les trajets ou achetés avant l’embarquement sont aussi à surveiller. Attention : la liste des allergènes à étiquetage obligatoires varie selon les pays (14 en Europe, 9 aux Etats Unis…).
Ainsi, avant de partir, le patient doit consulter un médecin pour obtenir un certificat stipulant les aliments à risque (en français et anglais) ainsi que l’ordonnance originale comportant les posologies et médicaments à administrer (en DCI) en cas de réaction.
Il faut informer la compagnie aérienne de ses allergies dès la réservation du billet et le personnel navigant le jour du vol dès l’entrée dans l’avion. Quelques compagnies développent aujourd’hui des « zones tampons » sans allergènes. D’autres ont cessé la vente de cacahuètes pendant le trajet (mais n’interdisent pas leur consommation si le sachet est acheté avant le départ). Enfin, certaines tiennent à disposition une trousse de pharmacie contenant un tensiomètre, un stéthoscope, de l’adrénaline en stylo auto-injectable avec dosages adaptables en fonction du poids du passager, un bronchodilatateur, un antihistaminique et de la cortisone en comprimés ou injectable.
8. Que penser de l’ITO à l’arachide ?
L’immunothérapie orale (ITO) est un traitement prometteur, pouvant améliorer la qualité de vie de l’enfant, avec la possible levée du PAI (Projet accueil individualisé).
Son indication est posée en fonction de différents critères après le bilan allergologique et un TPO en milieu hospitalier. Plusieurs protocoles sont proposés à partir de l’âge de 5 ans. Cette méthode permet d’augmenter le seuil de réactivité à l’aliment responsable. Cependant, dans certains cas, des effets indésirables (urticaire, angio-œdème, douleurs abdominales, anaphylaxie de grade modéré à sévère) durant la phase de progression peuvent entraîner l’arrêt du traitement. Dans une étude publiée en 2020, sur 176 enfants, 28 % ont eu une réaction anaphylactique en hôpital de jour, conduisant à l’abandon du traitement chez 4,20 % des enfants.
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Pour en savoir plus :
Viva Voyages. Une passagère débarquée d’un avion à cause d’une allergie publié le 13 nov 2022.
Radio Canada. Allergie aux arachides: baiser fatal ? publié le 25 nov 2005
Parents. Allergie alimentaire : une adolescente est morte après avoir mangé un cookie publié le 20 avr. 2022
France Info. Allergies aux arachides : le baiser mortel publié le 13 juin 2016
Dans cet article
- 1. Arachide : quelles sont les protéines allergisantes ?
- 2. Eviction totale ou non en fonction du bilan ?
- 3. La cuisson produit-elle un effet sur le potentiel allergisant ?
- 4. Les allergènes d’arachide passent-ils dans le lait maternel ?
- 5. Un baiser est-il dangereux ?
- 6. Quels produits de nettoyage utiliser pour éviter une contamination croisée ?
- 7. Quelles précautions prendre en avion ?
- 8. Que penser de l’ITO à l’arachide ?