Aujourd’hui, un mouvement se met en place, remettant en question le fonctionnement actuel du don, et principalement l’anonymat. Au nom d’une génération d’enfants « du don », il réclame l’accès aux origines. Cette demande suscite à la fois l’intérêt et l’attention des médias : d’une part, en mettant en scène les diffi- cultés de ces enfants et leurs souffrances, et en s’em- parant des revendications de certains ; d’autre part, en donnant la parole à des professionnels (sociologues, psychologues, psychanalystes et anthropologues) prenant part à ce débat. Les différentes positions suscitent des réactions émotionnelles, passionnelles, parfois virulentes, entre les défenseurs du principe de l’anonymat et ceux qui revendiquent sa levée. Chaque partie présente des arguments qui s’opposent, alors que les éléments avancés n’ont pas, ou rarement, fait l’objet d’études sérieuses en France.
Le don et l’anonymat*
Quelques arguments contre l’anonymat
Selon I. Théry,5 la pratique de l’anonymat gomme la place du tiers donneur qui joue un rôle dans l’histoire de l’enfant. Elle empêcherait l’accès à des informations sur l’histoire médicale ou génétique de la famille, mais aussi toute autre donnée. En revanche, certaines données sont tout à fait à la disposition des médecins qui les détiennent. Ils sont garants de l’anonymat, selon les exigences de la loi. L’expression de l’injustice est adressée par des jeunes militants à l’encontre des CECOS. Ils se représentent le corps médical comme détenteur de la « vérité » dans sa toute-puissance. On assiste donc à une demande teintée d’histoires personnelles et de vécus, parfois exprimant une grande souffrance.
Selon les militants de la levée de l’anonymat, il ne s’agirait pas de remettre en cause une paternité psychique ou sociale, mais de défendre l’intérêt d’un enfant qui est en manque de représentation d’une partie de son identité et d’une part du récit de son histoire. Geneviève Delaisi de Parseval6 explique ainsi « la capacité à mettre en intrigue son passé, à traduire son histoire sous une forme de récit. L’origine biologique ne donne sûrement pas l’identité mais l’identité de toute personne se construit dans une relation qui n’appartient qu’à lui avec cette origine ». L’intérêt de l’enfant est présenté sur deux niveaux : psychologique, « construire son histoire », et médical, « connaître la vérité biologique ».
Quelques arguments pour l’anonymat
Au niveau médical
Au niveau psychologique
Avis des enfants nés par don
QUELLE DÉFINITION DES ORIGINES ?
Préserver ou remettre en cause l’anonymat reste un grand débat. Il ne s’agit pas de renier le droit de l’enfant à connaître ses conditions de naissance, car, selon la déclaration des droits de l’enfant, tout enfant a le droit de connaître ses origines. Seulement, quelle est la définition des origines ? Se limite-t-elle à la biologie ? Constitue-t-elle son histoire ? De quel désir un enfant est-il né ? De quelle histoire ?
L’accès à des données non identifiantes sur le donneur pour les personnes conçues grâce à un don de gamètes ou d’embryon. Premières données recueillies par l’Association des enfants du don.
Le principe de l’anonymat des donneurs et donneuses de gamètes et d’embryons fait régulièrement débat, aussi bien du côté de certains couples (parents ou non) que du côté de certaines personnes issues d’un tel donb. Entre une levée totale de l’anonymat des dons et le statu quo, une position intermédiaire a été envisagée lors de la précédente révision des lois de bioéthique, avant d’être abandonnéec dans la version définitive de la loi de 2011d. Ce « compromis » consistait à proposer aux personnes issues d’un don d’accéder à certaines données dites « non identifiantes », autrement dit d’autoriser la consultation de données relatives au donneur sans permettre son identification (état civil ou photo). Parmi ces dernières figuraient la situation familiale du donneur, sa catégorie socioprofessionnelle, sa nationalité ou encore sa motivation. Le principal argument plaidant en faveur d’un accès à ces données « non identifiantes », serait d’apporter aux personnes issues d’un don des éléments d’information sur leur donneur car jugées utiles dans la construction de leur identité selon l’avis de certains psychologues et psychanalystes (v. article principal). Pour autant, ce dispositif soulève de nombreuses questions. À combien de données non identifiantes faut-il se limiter et sur quel(s) fondement(s) ? N’y a-t-il pas un risque d’en dire à la fois trop et pas assez pour les personnes désireuses de connaître leur donneur ? Et pour les autres, n’y aura-t-il pas toujours une certaine curiosité d’aller consulter ces données au risque d’être, peut-être, déçu ? Afin de se faire une idée plus précise des demandes des personnes issues d’un don, l’Association des enfants du don (ADEDD)e a interrogé 14 personnes entre 21 et 34 ans, toutes issues d’un don de sperme et informées de leur mode de conception à différents âges (entre 0f et 34 ans). Le faible nombre de personnes interrogées ne permet évidemment pas de tirer de conclusion définitive, mais simplement d’avoir une idée générale sur la question. L’analyse des questionnaires fait ainsi apparaître que 6 personnes sur 14 souhaiteraient, si la loi le permettait, disposer de données « non identifiantes » et, parmi celles-ci, 4 souhaiteraient connaître l’identité de leur donneurg. Par ailleurs, il est intéressant de constater que sur 7 personnes informées avant l’âge de 13 ans, seule 1 souhaiterait avoir accès aux données « non identifiantes » ou à l’identité de son donneur, alors que sur les 7 personnes informées au-delà de l’âge de 13 ans, 5 souhaiteraient avoir accès aux données « non identifiantes » et, parmi celles-ci, 3 à l’identité de leur donneur. À la lumière de cet échantillon, il semblerait que plus un enfant est informé tôt de son mode de conception, moins ce dernier sera en quête d’informations (identifiantes ou non) sur son donneur. Cette intuition mérite d’être confirmée par une étude de plus grande envergure que l’ADEDD entend bien poursuivre dans les prochaines années maintenant que les personnes issues d’un don sont en âge de s’exprimer et de devenir parents à leur tour.
2. Bujan L. Histoire des CECOS : une œuvre collective. Rev Prat 2018;68:225-9.
3. Milbank JM. L’éthique du don de sperme. Traduit par Jouannet P, Bateman S. In : Donner et après. Paris : Springer, 2010:265-7.
4. Fine A, Vers une reconnaissance de la pluriparentalité ? Esprit. L’un et l’autre sexe 2001;3-4:40-52.
5. Théry I. L’anonymat des dons d’engendrement est-il vraiment « éthique » ? La Revue des droits de l’homme 2013;3.
6. Delaisi de Parseval G. Comment entendre les demandes de levée du secret des origines ? Esprit 2005;5:165-79.
7. Monteil L, Bourrouillou G., Connaître ses « origines génétiques » et… ne rien savoir ! In Donner et après, P. Jouannet et R. Mieusset (eds). Paris : Springer 2010:61-4.
8. de Melo-Martin I. How best to protect the vital interst of donor conceived individuels: prohibiting or mandating anonymity in gamete donations ? RBMS 2016;3:100-8.
9. Mazzone JC. Du sang au sens, du biologique à la psyché ou l’accès aux origines d’un enfant né d’un homme stérile. mt Med Reprod Gynecol Endocrinol 2011;13:210-3.
10. Guyotat J. Transmission. Filiation. Recherche en psychanalyse 2005;1:115-9.
11. Squires C. Essai sur le don de gamètes. Topique 2011;116:73-88