En quoi consiste le projet d’impression 3D à l’AP-HP ?
Ce projet existe depuis la pandémie de Covid- 19. À l’époque, avec une équipe de médecins et d’ingénieurs, nous avons rapidement mis en place un parc d’imprimantes 3D, installé au sein de l’abbaye de Port-Royal à l’hôpital Cochin (fig. 1). Le but était de produire, dans ce contexte d’urgence, les dispositifs qui n’étaient plus disponibles en raison des ruptures des chaînes d’approvisionnement – pénurie de certaines pièces utilisées en réanimation surtout. Pendant un an, nous avons ainsi produit plusieurs dizaines de milliers d’objets (quasiment 200 types de pièces), allant de joints pour les tuyaux des appareils de réanimation aux supports de visières de protection.
Par la suite, nous avons voulu pérenniser ce dispositif au sein de l’AP-HP, car grâce à ce projet – qui avait initialement été financé dans sa totalité par des dons de mécènes privés (groupes Hermès et Kering, en particulier) – nous avions acquis un parc d’imprimantes 3D très conséquent (une soixantaine).
Nous avons donc créé un nouveau service qui se trouve maintenant à l’hôpital Broussais à Paris (fig. 2). Y sont mises à disposition des technologies de conception assistée par ordinateur et d’impression 3D pour tous les agents de l’AP-HP (médecins, infirmiers, aides-soignants, kinésithérapeutes...). Le système fonctionne avec un site internet sur lequel tout professionnel de l’AP-HP peut déposer une demande. Après validation par un comité scientifique, celle-ci est analysée par deux ingénieurs qui travaillent à plein temps pour la structure. Ils organisent un rendez-vous de consultation avec le demandeur et, si cela est réalisable, produisent le dispositif. Cela peut être un objet d’enseignement, un modèle anatomique, un nouvel instrument de travail...
L’idée est de continuer à développer ce projet pour avoir, à terme, une véritable structure en interne avec plusieurs ingénieurs à temps plein, ainsi que des soignants, pour travailler en partenariat et concevoir toutes sortes de nouveaux objets facilitant la pratique.
Au niveau national, de plus en plus de CHU essaient de monter le même type de structure. Nous avons ainsi créé un réseau national de plateformes d’impression 3D qui intègre pour l’instant une vingtaine de CHU.
Produisez-vous des outils ayant une application clinique directe ?
Avec les imprimantes 3D, il est possible de produire des pièces utilisables en chirurgie, allant des guides de coupe (instruments permettant de découper l’os de manière plus précise) aux plaques et implants d’apposition. Cependant, à l’AP-HP nous ne fabriquons pas encore ces outils – c’est encore au stade de projet – parce qu’obtenir l’autorisation de produire des implants est un processus très long sur le plan réglementaire : comme il s’agit de dispositifs médicaux, il faut à peu près deux ans de procédures administratives et plusieurs centaines de milliers d’euros d’investissement.
Pour l’heure, lorsque nous fabriquons des objets de cette catégorie, ils ont le statut de prototype et ne peuvent être utilisés que dans le cadre de la recherche.
Il existe néanmoins beaucoup d’autres objets que nous produisons et qui peuvent être directement utilisés dans le travail clinique : par exemple, des outils employés en orthophonie pour accompagner certains types de rééducation ; des pièces pour aider les radiothérapeutes à mieux positionner certaines sondes au moment des traitements ; ou encore des outils pour les ergothérapeutes (fig. 3). En somme, nous pouvons fabriquer sur mesure n’importe quel objet qui n’existe pas déjà dans l’industrie, tant que ce n’est pas un dispositif médical (pour l’instant).
Enfin, nous produisons également beaucoup de modèles anatomiques utilisés pour l’enseignement, qui aident à mieux comprendre certaines maladies dans des domaines très variés (crâne, colonne vertébrale, etc. ; fig. 4 et 5). Ces outils rejoignent, en ce sens, les objectifs des illustrations médicales : à l’hôpital Necker, nous travaillons en partenariat avec une école d’art (école Estienne) et des illustrateurs scientifiques et médicaux pour produire des dessins permettant de mieux montrer certaines étapes des traitements chirurgicaux complexes, en particulier dans la chirurgie des malformations crâniofaciales. Les dessins et modèles 3D sont aussi bien utilisés dans les cours avec les étudiants que pour expliquer aux patients ces procédures complexes – c’est particulièrement utile en pédiatrie !
Vous avez également des projets de formation à l’étranger, pour lesquels ces outils sont précieux…
La chirurgie crâniofaciale, la prise en charge des malformations du crâne et de la face, est un domaine qui n’est pas encore bien développé dans beaucoup de pays. J’ai donc actuellement le projet de développer ce type de chirurgie en Arménie, en Géorgie et en Ukraine.
Dans ces trois pays, il n’existe pas, à l’heure actuelle, de centres spécialisés dans le traitement des malformations crâniofaciales. Soit les enfants sont pris en charge à l’étranger – pour les plus chanceux d’entre eux –, avec toute la désorganisation et la charge familiale que cela implique, soit ils ne sont pas pris en charge du tout.
Notre projet, en partenariat avec l’hôpital Necker, consiste en une transmission de compétences : des chirurgiens, dont moi-même, voyagent régulièrement dans ces pays pour opérer des patients mais aussi effectuer des séminaires avec des chirurgiens locaux, que nous formons, par exemple, aux ostéotomies crâniennes régulièrement pratiquées à Necker. Dans ce cadre pédagogique, nous utilisons les modèles imprimés en 3D qui permettent des explications plus détaillées, comme cela a été le cas début décembre 2023 à Kyiv (en Ukraine) avec une équipe de quinze chirurgiens locaux !
Le but est que, dans trois à cinq ans, ces équipes locales deviennent autonomes et que des centres spécialisés aient pu voir le jour (sachant que pour ce type de chirurgie des maladies rares, il faut idéalement un centre pour environ 10 millions d’habitants). Cela implique non seulement la formation des chirurgiens mais aussi d’autres professionnels impliqués dans la prise en charge de ces pathologies (équipe pluridisciplinaire constituée d’infirmières de bloc opératoire, anesthésistes, ORL, ophtalmologistes, généticiens, médecins du sommeil, psychologues...).