Depuis une vingtaine d’années, les articles consacrés à l’« après-cancer » se succèdent, semblables dans leurs conclusions : s’occuper des personnes traitées pour cancer est désormais fondamental, les aider à franchir cette phase de transition est unanimement reconnu comme une mission de santé publique. En 2011, ce temps était défini comme celui de « l’accompagnement vers une normalisation personnalisée », évoquant le continuum développé dans le Plan cancer II et illustré, quelques années après, lors de la publication du Plan cancer III, par les notions de parcours et coordinations transversales.1
Si le terme « survivors », traduit littéralement par « rescapés ou survivants », peut choquer, il représente une évolution lexicale, promue par le National Coalition for Cancer Survivorship (NCCS) à la suite des démarches initiées en 1985 amenant à remplacer le mot précédemment utilisé de « victim » par « survivor ».2, 3 Quel que soit le terme utilisé, l’après-traitement fait actuellement partie intégrante de la prise en charge et mérite toutes les attentions.
En 2005, un éditorial du Journal of Clinical Oncology introduisait le changement de paradigme des années à venir : depuis 25 ans, le cancer, maladie autrefois fatale, était devenu un mal dont on survivait longtemps, pour ne pas dire dont on guérissait, nécessitant une véritable prise de conscience de tous, quel que soit le mode d’exercice.4
En 2010, l’International Journal of Psychiatry in ­Medicine publiait un article titré « It’s not over when it’s over! ».5
Autrement dit, tenant compte de l’augmentation du nombre de cancers et de l’efficacité des traitements sur des tumeurs diagnostiquées plus tôt, l’enjeu des années à venir ne sera pas tant de soigner au mieux les cancers que de suivre les patients qui en ont été atteints. Il faudra s’attacher à leur qualité de vie tout en ne sous-estimant pas le risque de mourir d’autres maladies, souvent liées au mode de vie et à l’environnement (sédentarité, sur-poids, tabac, alcool...). Le fait d’avoir eu un cancer n’en diminue pas l’éventualité, mais peut la faire oublier, en l’absence de mutualisation de suivi.

L’après-cancer : une définition en fonction de chacun…

La perception de l’après-cancer dépend de la personne et comporte des repères objectifs, subjectifs, voire affectifs, la rendant hétérogène, en fonction des personnes interrogées : patientes, entourage, médecins traitants, oncologues, statisticiens et épidémiologistes.6 Les attentes sont elles aussi différentes.

Pour le patient ou la patiente

Est-ce la période qui s’ouvre au-delà de la prise en charge initiale ? Si l’on interroge les patients (c’est leur grand reproche face au corps médical), « on n’est jamais sûr d’être guéri ». La preuve, quel oncologue prononce le mot « guérison » ? Alors, l’après reste, pour beaucoup, une notion nébuleuse et incertaine. Le contact physique avec les médecins, et non virtuel, comme parfois proposé, semble tout parti­culièrement nécessaire dans une réassurance progressive.8
Est-ce la période où la patiente a fini tout traitement ? Pour 80 % d’entre elles, il faut au moins 5 ans, voire plus (tendance actuelle à la prolongation des traitements antihormonaux), avant de pouvoir en parler. Une étude réalisée à Taiwan, à travers des interviews de patientes entre 48 et 72 ans, ayant plus de 5 ans de recul par rapport au diagnostic de cancer du sein, met en évidence que la peur de la récidive reste présente, ce d’autant que les traitements s’arrêtent, avec le besoin de promouvoir une bonne santé (nutrition, exercice, mode de vie), l’espoir de voir l’amélioration d’effets indésirables persistant, la reconsidération de l’image corporelle. Malgré le temps écoulé, le besoin de relation privilégiée et attentive avec le médecin traitant est évoqué comme un point fort, les femmes se sentant encore très vulnérables.9
Est-ce la période suivant la fin des traitements initiaux, chirurgie, chimiothérapie (plus ou moins thérapie ciblée), radiothérapie ? La période où, enfin, on ne revient plus, jour après jour, semaine après semaine à l’hôpital ? Cette phase de transition est parfois déconcertante, la patiente n’est plus vraiment malade, mais pas vraiment « comme avant », avec un questionnement sur le futur, ce d’autant que manquent les repères.10, 11

Pour l’entourage ou le milieu professionnel de la patiente

L’après équivaut à l’avant dans un monde idéal, ce qui n’est que très rarement le cas et dont l’absence de prise en compte dans ses aspects de fragilité et de perte de confiance en soi peut être plus difficile à vivre pour la patiente que les traitements eux-mêmes. Nombreuses sont les études soulignant, par exemple, les différences de vécu des couples, décalées dans le temps.12 La reprise du rythme quotidien auprès des siens s’avère très souvent complexe et déstabilisante.
Chaque jour, les préoccupations des obtentions de mi-temps thérapeutique et de leur renouvellement, l’absence d’empathie des interlocuteurs représentent un autre combat.
Autrement dit, il s’agit bien d’un état de vulnérabilité :13 la fin des traitements n’étant pas synonyme de la fin de la maladie, comment concilier un retour à la vie normale, avec l’impression d’être en sursis ? Très clairement, pour les patients et leur entourage, l’après-cancer tire ses racines du temps dont il est issu, il s’agit d’une nouvelle temporalité à penser dans la prise en charge de cette période, qui est en relation directe avec le vécu du diag­nostic, de son annonce et des traitements.

Et les professionnels de santé ?

Dans le monde médical, la définition s’avère tout aussi plurielle :14
– celle de l’oncologue qui a fini les traitements initiaux et délègue – ou non – la surveillance. La définition de l’oncologue, du chirurgien au radiothérapeute en passant par le radiologue impliqué, peut être hétérogène et non reproductible, en l’absence d’une coordination centrale de type « parcours ». Cela se résume en général à la question du nombre d’années conseillées de suivi par l’institution (publique ou privée), et ce en dehors des règles imposées par les essais cliniques ;15, 16
– celle du médecin traitant qui voit revenir son patient souvent perdu de vue (au moins physiquement) depuis des mois, qu’il va falloir prendre en charge, selon un schéma souvent ignoré, et ce malgré les correspondances régulières reçues au cours des traitements ;17
– celle du spécialiste d’organe (ici le gynécologue) habitué à un schéma en alternance, prôné ces dernières années. Dans le cas spécifique du cancer du sein, l’avantage majeur du gynécologue résidait dans ses compétences hormonales pouvant être un recours apprécié dans les effets indésirables multiples ; par ailleurs, il assurait un examen clinique trop souvent banalisé et non effectué car, le plus souvent, non souhaité par la patiente. L’imparfait souligne la carence actuelle de ceux-ci sur le plan démographique et l’urgence à former tous les interlo­cuteurs, dont les sages-femmes, et à favoriser les cycles de formations spécialisées pour les médecins traitants ;
– celle, enfin, des organismes de santé, de santé publique, dont la définition est plus arithmétique et peu influençable par la situation réelle.
Vouloir définir l’après-cancer est donc ambitieux. La mise en place d’un plan maladie chronique parallèlement au Plan cancer, la classification du cancer en maladie chronique augmentent la complexité de la tâche.18
Un tableau à plusieurs entrées permettrait, en fonction des contraintes économiques et organisationnelles d’un système de santé, d’engager une discussion éthique pour fixer une ligne de démarcation entre début et fin, aucune loi ni règle morale ne pouvant strictement l’arbitrer (v. tableau).

Spécificités de l’après-cancer du sein : quelques pistes

Le très grand éventail des âges des femmes atteintes d’un cancer du sein, les protocoles thérapeutiques nombreux, et la diversité des traitements anti-hormonaux prescrits rendent difficile la prise en compte détaillée des complications et effets indésirables des traitements.
Les cancers du sein survenant chez des femmes jeunes, moindres en pourcentage global, sont un vrai défi dans l’organisation du suivi partagé et complémentaire, chez des patientes qui consultent peu, n’étant pas mala­des, et n’ayant plus de jeunes enfants à faire examiner régulièrement. Ils posent, en sus des autres, la problé­matique globale du vécu des troubles hormonaux, du choix d’une contraception, voire du souci de la fertilité ultérieure avec des désirs de grossesse.19
Ceux concernant les femmes plus âgées, à la retraite ou plus disponibles, se rapprochent davantage d’une surveillance habituelle dans une population déjà fidélisée, souvent sous traitement pour d’autres pathologies (hyper­cholestérolémie, surpoids, hypertension artérielle…). Ainsi, beaucoup des problématiques vues dans l’après-cancer des femmes âgées se superposent à des morbidités connues de cette tranche d’âge.20 La prévention secondaire a ici une place à conquérir, par une sensibilisation probablement plus efficace.21 La survenue d’un cancer conduit, dans les suites de son traitement, à de nombreux questionnements, tant médicaux, professionnels que personnels.22

Quelle surveillance ?

La détection de récidives peut être assurée par le médecin traitant, aussi bien que par l’oncologue, pour peu qu’existent les guidelines actualisées et qu’elles soient accessibles aisément.23-26

Surveillance médicale et radiologique

Selon les référentiels du suivi des cancers du sein.27-31
 

Examen clinique

Réalisé tous les 4 mois pendant 2 ans, puis 2 fois par an jusqu’à 5 ans, et ensuite 1 fois par an sans limite de date, c’est un examen locorégional des seins et des aires ganglionnaires, et ce dénudée : aspect du sein ou de la cicatrice de mastectomie, aspect des aires ganglionnaires et du membre supérieur (lymphœdème ?), mobilité de celui-ci et de l’articulation scapulaire, douleurs résiduelles…
 

Imagerie

Hormis cet examen régulier, la seule autre contrainte est la mammographie annuelle, sans limite de date, qu’il faut savoir rappeler au cours du temps ; les compléments par échographie mammaire sont liés aux informations données par la mammographie ; la place de l’imagerie par résonance magnétique (IRM) est définie par les consignes de fin de traitement, mais jamais systématique, en dehors des cas à haut risque mammaire. Restant, au cours du temps, annuelle, la mammographie ne doit pas être pratiquée dans le cadre du dépistage organisé que tous les deux ans. Certains examens peuvent être recommandés, selon les traitements en cours (hormonothérapie, thérapies ciblées…).
Aucune autre investigation n’est nécessaire à titre systématique, ni tomographie par émission de positons couplée à la tomodensitométrie (TEP-TDM), ni radiographie pulmonaire, ni recherche de marqueur. Tentants à prescrire, ce d’autant que demandés par des patientes croyant y trouver un passeport de bonne santé pour le futur, les marqueurs sont, en ce qui concerne les marqueurs du cancer du sein, peu fiables. Prescrits à titre systématique, sans support symptomatique, ils sont alors pourvoyeurs d’anxiété majeure, entraînant la patiente dans un cercle infernal d’examens sans fin. Il n’en demeure pas moins que chacun a dans son vécu de consultations de rares cas isolés de révélation de métastases totalement silencieuses par le CA 15-3, mais les réfé­rentiels restent formels sur ce point, dans une balance bénéfices-risques. Il est plus utile de passer du temps avec la patiente, à la recherche de signes, par l’interrogatoire, qui, s’ils sont anormaux, justifient une prise en charge adaptée. Ce temps dédié permet également de mesurer l’impact de certains effets indésirables des traitements, qui altèrent la qualité de vie, menaçant l’observance ­ultérieure de la surveillance.

Principaux effets indésirables

 

Fatigue

Un des premiers signes rapportés, avec ou sans hormonothérapie, est la fatigue, qui est souvent mal comprise par l’entourage. Celle-ci semble nettement améliorée lorsque, pendant les traitements, notamment la chimiothérapie, la pratique d’une activité physique a pu être mise en œuvre, et ce malgré la tendance au renfermement spontané rapporté par les patientes. Il faut donc valoriser toute activité, que ce soit seule ou en groupe souvent, et les pouvoirs publics et associations de patientes ont fait de nombreuses avancées en ce sens, allant jusqu’à prescrire le sport sur ordonnance.32-34 Il faut en parler et inciter à cette pratique, même si cela peut paraître déplacé lors des entretiens initiaux définissant le ­programme personnalisé de soins. Cela a le mérite de ne pas faire de cette période une parenthèse de vie, ­synonyme de repli sur soi et d’isolement.
Cette fatigue est également le corollaire des effets indésirables des traitements reçus ou en cours, avec la place importante des troubles climatériques chez les femmes non ménopausées lors du diagnostic, qu’elles reçoivent ultérieurement ou non une hormonothérapie complémentaire.
Il importe de caractériser la fatigue, car sous ce symptôme peuvent se dissimuler beaucoup d’autres causes :35 dépression réactionnelle, perte de confiance en soi, tant auprès de collègues de travail qu’auprès des siens, par incapacité de reprendre l’activité domestique antérieure, celle de mère sursollicitée par leurs enfants, celle d’épouse ayant peur de ne plus être la femme que le conjoint a aimée et désirée.36

 

 

 

Prise de poids

Elle est fréquente, liée aux traitements en cours de chimiothérapie, au changement de statut hormonal et à d’autres facteurs comportementaux. Elle confère une perte d’estime de soi et un découragement, et nécessite écoute, à défaut de solutions miracles : les plus efficaces sont la décision de s’adonner au sport, en groupe de préférence, en utilisant le temps libre avant une reprise de travail. L’activité physique, la lutte contre la sédentarité, l’amaigrissement ­programmé et le suivi, le changement d’habitudes alimentaires sont efficaces chez les patientes que l’on arrive à convaincre, mais il faut y mettre une vraie conviction et y revenir sans cesse.37 D’où l’efficacité de débuter tôt, en cours de traitement, et il ne faut pas hésiter à confier les patientes à des psychologues habitués à ces états post-traitements, favoriser les rencontres avec d’autre ­patientes dans le cadre des associations de patients. Trouver un nouvel enjeu, comme l’art graphique, l’écriture, le chant ou la relaxation,constitue une proposition qui est très efficace, pour peu que l’on y croie et que l’on en parle.

 

 

 

 

Troubles de la concentration

Ces troubles, souvent allégués après chimiothérapie, effraient les patientes, notamment dans la perspective de reprise de responsabilités professionnelles. Il faut arriver à les faire formuler et orienter, si nécessaire, vers des consultations dédiées de plus en plus développées dans les soins de support.38 Il est important de les considérer dans un cadre global de fin de traitements, souvent angoissant et relié à un sommeil altéré et à une fatigue banalisée. Il est difficile de ne pas comparer l’avant, toujours idéalisé, et l’après, vu subjectivement. Mais, et c’est la force de l’exercice de la médecine générale de pouvoir comparer, beaucoup de symptômes sont communs à une tranche d’âge, et ne sont pas nécessairement à terme imputables aux traitements reçus.

 

 

 

 

Signes liés aux traitements antihormonaux

Les effets indésirables différés des traitements effectués et ceux des traitements antihormonaux en cours se conjuguent et nécessitent davantage de temps que de connaissances, pour les entendre et les identifier.39 Les reconnaître et les analyser représentent la moitié du chemin, dans le cadre d’une réhabilitation progressive. Une équipe, partant du constat de la difficile adhésion des patientes aux thérapeutiques antihormonales, initiale et au cours du temps, a exploré le rôle que peut jouer le médecin traitant à l’aide de support social, à travers des interviews semi-structurées de 22 patientes, réparties harmonieusement en âge de moins de 45 ans à plus de 65 ans. Le rôle du médecin traitant apparaît fondamental dans la réexplication des traitements à l’aide de supports d’information, rappelant sans cesse le but et les bénéfices en termes de diminution du risque global de récidives, en écoutant avec empathie et en conseillant associations de patientes et activités physiques ou mentales adaptées.40, 41 On n’insistera jamais assez sur le rôle, au fil des années, du médecin traitant sur la question fondamentale de l’incitation à la poursuite des traitements, pour lesquels lassitude, diminution de la peur de la récidive et perte de motivation sont en cause dans l’abandon des traitements.42 Cela représente un des atouts majeurs dans l’après-cancer, d’autant plus efficace qu’il aura été mis en place un suivi en alternance.

 

 

 

 

Patientes sans traitement ultérieur

C’est le cas des tumeurs ne présentant pas de récepteurs hormonaux (RH-). S’il n’y a pas de surexpression de la protéine HER2, ces tumeurs sont volontiers appelées « triples négatives » (RE-, RP-, HER2-).
Le fait d’avoir reçu une chimiothérapie induit le plus souvent, chez une femme non ménopausée, un arrêt plus ou moins temporaire du fonctionnement ovarien, que la patiente n’identifie pas forcément, compte tenu du nombre grandissant de femmes n’ayant plus de règles du fait de leur contraception. Ces signes s’additionnent à ceux déjà évoqués plus haut, mais nécessitent d’être explicités, surtout si la probabilité est forte que ce soit définitif (fréquent après 40 ans).
Chez une femme déjà ménopausée, ces signes climatériques ne sont pas présents, mais il est fréquent que ceux liés à la chimiothérapie soient au premier plan, avec fatigue, arthralgies, problèmes cutanés et dysesthésies. Vérifier le taux de vitamine D est toujours utile, nombreuses sont les femmes en vraie carence et qui béné­ficient grandement de la supplémentation.43

 

 

 

 

Patientes jeunes sous traitement par tamoxifène

La prise du tamoxifène, dont les explications sur le ­mécanisme d’action et surtout le bénéfice en termes de pronostic peuvent manquer, va souvent majorer ces signes, devenant une raison de consultation précoce après les traitements. Les explications du mode d’action, et de la situation hormonale sont indispensables, un ­arrêt très temporaire peut même être envisagé, pour y voir plus clair dans les troubles allégués. Par définition, il s’agit d’une patiente non ménopausée lors du diagnostic, cumulant les signes liés à la toxicité ovarienne de la chimiothérapie (qu’il ne faut pas assimiler à une ­ménopause) et les signes du traitement, qui peuvent être majorés par des avis circulant sur les blogs ou lors de rencontres entre patientes, et par l’état décrit précédemment de fatigue et de perte de confiance.42
Les cycles peuvent reprendre ou se poursuivre sous tamoxifène, qui agit en compétition avec les estrogènes. Il n’est pas contraceptif, et peut donner lieu à des kystes ovariens, le plus souvent asymptomatiques et spontanément régressifs. Ressemblant à un estrogène, il en partage le risque aggravé de phlébites. Il ne nécessite pas autre chose qu’un suivi gynécologique annuel ; les cancers de l’endomètre redoutés par les patientes n’existent pas chez les femmes non ménopausées, à la posologie actuelle de 20 mg.41

 

 

 

 

Patientes ménopausées au diagnostic sous traitement par inhibiteurs de l’aromatase

Si les inhibiteurs de l’aromatase sont généralement bien supportés, ils peuvent induire, dans 30 à 40 % des cas, une altération majeure de la qualité de vie en raison d’une perte de tonus et d’énergie, s’accompagnant de douleurs ostéoarticulaires très vives, ubiquitaires, inquiétantes dans le contexte par leur intensité. Dans ces cas de figure, il faut prendre le temps de définir avec la patiente le type de troubles ressentis, tenter les « petits moyens » La communication optimisée avec l’oncologue ou la personne coordinatrice du parcours de soins devrait permettre de répondre aux symptômes persistants. Une ostéodensitométrie est toujours réalisée en début de traitement compte tenu de l’effet délétère des inhibiteurs de l’aromatase sur la densité osseuse, agissant en supprimant toute source d’estrogènes résiduelle (surrénale et tissu graisseux).41

 

 

Toutes les autres raisons de consulter…

Tout peut justifier des demandes de consultation à son médecin traitant, ce d’autant plus que de nombreuses ­incertitudes subsistent et des effets indésirables apparaissent :44 trouble physique comme une anomalie palpée, un bras qui paraît gonflé, des inconforts de tout ordre, mais surtout des signes psychologiques, climatériques. Les questionnements sur l’avenir, suscités souvent par des informations collectées sur internet, blogs et réseaux sociaux, l’hétérogénéité des attitudes du corps médical en termes de mode de suivi, malgré des référentiels actualisés et accessibles, sont encore plus embarrassants et les ­réponses non univoques : « J’ai un cancer triple négatif, j’ai lu sur internet que j’étais en danger, que peut-on faire ? Pourquoi ne puis-je avoir un scanner tous les 3 mois ? Et les marqueurs, pourquoi n’en ai-je pas ? Tous ces signes, cela va durer longtemps ? Suis-je guérie ? Comment s’organise-t-on pour le suivi ? Ma fille peut-elle aussi avoir un cancer du sein ? Plus tard, pourrais-je avoir un autre enfant ?... »
Cet inconfort serait moindre en optimisant la communication entre médecins, dans un lien ville-hôpital prioritaire et personnalisé ; c’est une des gageures du concept de la consultation de fin de traitement, entre oncologue et patiente, confortée si besoin par un entretien avec les infirmiers de coordination, dans le cadre des recommandations des consignes du Plan personnalisé d’après-cancer (PPAC), transmis et partagé entre médecins.45, 46

Communication et travail en équipe, coopération et convergence

Quinze ans après l’appel à considérer l’après-cancer comme un temps faisant totalement partie du parcours du patient, où en est-on ? Le principe du suivi, ayant le mérite épidémiologique de permettre une évaluation tant carcinologique que socio-psycho-économique des résultats obtenus, est certes acquis. Cependant, dans sa réalisation pratique, les opinions semblent continuer à diverger, peinant à se structurer, nous confrontant aux mêmes questions qu’alors.47 Ce questionnement présenté dans l’encadré ci-contre étant universel, The Lancet Oncology a dédié, en 2017, un numéro à l’après-cancer.48 Il est difficile de trouver meilleure analyse des questions soulevées par l’après-cancer, même si ces articles datent de trois ans et relatent une vision américaine de la prise en charge.50-54
Forts d’une longue réflexion sur ce thème du partage de suivi (plus de 500 carnets de suivi en alternance avec les gynécologues pour des patientes dans les années 2010) et dans une logique de parcours sein, les acteurs du parcours, grâce à un secrétariat dédié et renforcé par l’action des infirmiers de coordination, ont mis en circulation un classeur de PPAC depuis début 2019, dont l’évaluation, à travers des questionnaires patientes (anonymes) et médecins traitants est en cours. Il a pour but une prise en charge du suivi par une patiente informée et actrice, et surtout une communication facilitée avec les médecins par des adresses mails et numéros téléphoniques efficaces. Toute une série de conseils et de renseignements pratiques sont également disponibles dans ce même ­classeur, informations remises à jour tous les 3 mois, grâce à l’implication des services de l’information et de l’espace de rencontres et d’information, en lien avec les associations de patientes.
Les attentes des uns et des autres sont aussi diverses que leur perception de la définition de ce temps, vu plus haut, mais le dénominateur commun passe par une optimisation de la communication, qui ne semble pas avoir trouvé la voie royale, malgré l’avènement des moyens de communication par internet, ou intelligence artificielle.
Une demande régulière de transversalité avec les équipes traitantes est formulée, dans la logique d’un parcours de soins et de santé, qui ne s’arrête pas aux portes de l’hôpital. Il semble logique, dès l’instant où le médecin remplit, au diagnostic, les protocoles de prises en charge en affection de longue durée qu’il participe activement au suivi de l’affection et à l’organisation de la suite.56
Cet équilibre a d’autant plus de chance de s’installer qu’il existe un mutuel respect de l’exercice des uns et des autres, rassurant la patiente qui est ainsi replacée au centre de la relation.

un parcours à optimiser

Les évolutions exposées dans le programme « Ma ­santé 2022 », la déclinaison en parcours, leur visibilité et leur efficience commencent à émerger. L’espoir est donc permis d’optimiser de mieux en mieux ce temps de l’après-cancer qui appartient avant tout à la patiente antérieurement traitée et à son interlocuteur privilégié qui n’est autre que son médecin. Tout élément d’une sorte de « boîte à outils » permettant au médecin de famille d’être en capacité de réponse et surtout d’incitation à poursuivre des traitements en cours sera le bienvenu… En attendant, la disponibilité d’un responsable de ­parcours reconnu comme tel et joignable reste un atout majeur et incontournable.
Le concept de cours en ligne, sous forme de modules courts et didactiques permettant en quelques minutes d’avoir la réponse à un point précis des problématiques de l’après est prometteur.
Voilà autant de conditions pour les médecins de se saisir des PPAC pour les adapter en fonction de leurs besoins pratiques et pour répondre aux attentes de leurs patients. 

Encadre

« Qui surveille quoi et comment ? »

Qui surveille ? quelle collaboration entre professionnels ? qui fait quoi ? peut-on déléguer à des infirmières, dans la suite logique des infirmières de coordination, concept ayant suivi celles d’annonce ? qui décide de l’organisation ultérieure ? et sur quels critères ?

Que surveille-t-on ? la survenue d’une nouvelle manifestation de la maladie locale ou à distance ? le suivi des effets secondaires des traitements, passés ou/et actuels ? l’évaluation des comorbidités, de la qualité de vie, de la prise en charge du mode de vie (sédentarité, surpoids, tabac…) ?

Comment surveille-t-on ? Les référentiels existent mais sont beaucoup plus hétérogènes dans leur implémentation que ceux des traitements. Trop, pas assez ? pendant combien de temps ? en fonction du risque ultérieur, mal évaluable ?

Avec quel support et pendant combien de temps ? Idéalement, le PPAC, défini sur le site de l’INCa depuis 2012, devrait répondre à ces questions48… sauf que :

◗ Qui fournit le support et quel support ? classeur papier, support internet, applications mobiles (pour mémoire, les patientes sont majoritairement âgées et souvent en pleine campagne ou lieu reculé)

◗ Qui établit cette synthèse et le calendrier ?

• Quels éléments doivent figurer sur la synthèse ?

• Ont-ils été explicités à la patiente, afin qu’elle les comprennent ?

• Le calendrier, bien que théorique, doit tenir compte des correspondants et des dates déjà engagées de contrôle, notamment pour la mammographie, sinon il ne sert à rien.

◗ Qui contrôle la qualité des données transcrites ?

◗ Qui définit la consultation de fin de traitement, sa date et le médecin la réalisant ? En dehors d’une organisation centralisée de type parcours, on voit mal quel secrétariat ou médecin pourrait se charger de ce travail.

◗ Comment est-elle expliquée aux patientes ? Est-elle aussi faisable par les infirmières coordinatrices ? Tient-elle compte des cas de fragilité sociale, comme recommandé par les institutionnels ?

◗ À quel moment le médecin traitant intervient-il dans ce schéma ? Comment se situe-t-il par rapport aux autres interlocuteurs médicaux – voire paramédicaux – habituels de la patiente ?

◗ Est-on certain d’avoir partagé et mutualisé l’outil entre interlocuteurs médicaux ? Sont-ils tous bien renseignés ?

◗ Comment être sûr de l’utilité pour la patiente et du respect des propositions organisationnelles si le calendrier n’a pas été établi en concertation et si sa diffusion à l’ensemble des intervenants de tous les secrétariats n’est pas assurée ? Quelle évaluation et sous quelle forme ?

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Résumé

La période qui commence avec la fin des traitements initiaux du cancer du sein (en règle générale à la fin de la radiothérapie), dite « après-cancer », correspond à la notion anglo-saxonne de survivorship.Compte tenu des taux d’incidence du cancer du sein toujours en hausse et de son pronostic très favorable, de nouveaux enjeux apparaissent, concernant à la fois les patientes et leur entourage, les médecins toutes spécialités confondues et le personnel paramédical. De cette prise de conscience ressort la notion que le temps de l’après fait partie intégrante du parcours du patient. Cela nécessite une optimisation dans la communication et une mutualisation des savoirs afin de définir les rôles de chacun en complémentarité. Les médecins traitants doivent connaître les difficultés rencontrées par leurs patientes, liées ou non aux traitements passés ou actuels de leur cancer, ainsi que la conduite à adopter face aux demandes des femmes traitées pour cancer du sein. Un partage élaboré dès le début du suivi, et concrétisé par la remise d’un document personnalisé lors d’une consultation identifiée par tous comme de « fin de traitement », peut être une piste à optimiser. Il faut pour cela une volonté de tous, intervenants médicaux et paramédicaux, et patientes, de prioriser les attentes et besoins des uns et des autres, en complémentarité et transparence. Tel est l’enjeu des années à venir.